Notre QUEENSPIRATION du jour s’appelle Sandy Alibo. D’origine martiniquaise, elle est installée depuis plus de 3 ans au Ghana. Son rêve : développer l’entrepreneuriat sportif en Afrique. En 2016, elle lance le projet Surf Ghana afin de mettre en lumière les skateurs et surfeurs noir.es du Ghana. 5 plus tard, Surf Ghana Organization, c’est une ONG, une Skate House, des compétitions de surf et de skate à travers le Ghana. Inspiration au rendez-vous !
RTM | Bonjour Sandy, nous sommes ravies de t’accueillir sur RTM. Pour commencer, quels sont les mots que tu choisirais pour te présenter ?
Sandy Alibo | Je dirai généreuse, patiente et persévérante.
RTM | Commençons par parler de ton parcours. Qui est Sandy ? D’où viens-tu ?
Sandy Alibo | Je suis d’origine martiniquaise. J’ai grandi en France hexagonale. Après des études en communication et marketing digital, je suis rentrée chez Orange France, en régie publicitaire, où j’ai obtenu un poste au département sponsoring. J’avais à charge l’activation des sports de glisse pour la marque Sosh.
C’est ainsi que je me suis retrouvée à gérer toute la stratégie sponsoring sportive pour cette même marque autour des sports de glisse. J’allais sur le terrain, j’organisais des évènements sportifs, je créais du contenu digital. Je me suis éclatée pendant plusieurs années.
Naturellement quand tu rentres dans l’univers des sports de glisse, tu deviens un peu accro. Tu deviens même passionnée. En tout cas, c’est ce qui s’est passé pour moi. Ce qui m’a plu, c’est la culture « Do it yourself » que l’on peut retrouver dans ce milieu où il y a finalement très peu d’argent.
À chacun de mes voyages, j’allais à la rencontre de surfeurs, de skateurs un peu partout dans le monde. Puis en 2015, j’ai fait un voyage en Afrique du Sud qui a changé ma vie.
RTM | Parle nous de cette expérience !
Sandy Alibo | Ce voyage a été un véritable de déclic. Ma première réaction a été « on nous a menti ». J’ai découvert une Afrique que je n’imaginais pas. Étant martiniquaise, c’était également important pour moi de me rapprocher de notre grande famille dont on a été séparé. J’avais envie de me reconnecter à l’Afrique à travers des vacances sportives.
RTM | En 2016, tu fais un second voyage sur la terre mère qui viendra complètement modifier tes plans de vie …
Sandy Alibo | Oh que oui. En 2016, je pars au Ghana avec des copines. Le plus beau voyage de ma vie, l’ambiance, le tourisme, l’histoire du pays, son rapport à l’éducation. En France, pour apprendre des choses il faut aller au Musée, lire des livres… En Afrique, tu discutes avec les gens, tu apprends par l’échange.
Lors de ce voyage, j’ai rencontré des surfeurs sur place. J’ai pris conscience qu’il y avait énormément de potentiels mais ils étaient invisibles. Je travaillais encore à Orange à cette époque mais quelque chose m’appelait clairement au Ghana. J’ai d’abord lancé une page Instagram. Mon objectif était d’améliorer la représentation des personnes noires, des africains dans les sports de glisse, qu’on ne voyait pas, qui étaient invisibilisés et qui donc ne bénéficiaient pas de sponsors ou autres.
Au départ, j’ai simplement lancé cette page Instagram où je racontais les histoires des jeunes surfeurs. Je postais des photos, de belles images, j’allais sur le terrain. J’ai rapidement eu de jolis retours, et je me suis surtout rendu compte qu’il y avait un intérêt à la fois pour les locaux et également pour la diaspora, les voyageurs, les touristes…
RTM | Comment d’une simple page Instagram, tu en viens à lancer le projet Surf Ghana ?
Sandy Alibo | Au fur et à mesure la communauté de sports de glisse a commencé à se réveiller. Je recevais des encouragements, et des personnes ont commencé à me dire « pourquoi ne pas collecter du matériel ». C’était un peu une évidence, car si on voulait voir plus de personnes pratiquer il nous fallait du matériel.
A l’époque, il n’y avait même pas de shop de surf ou de skate au Ghana. Toutes les planches de surf que l’on pouvait trouver, c’était un peu au bon vouloir des touristes qui laissaient leur planche. Je trouvais cette dynamique très colonialiste. J’ai donc proposé aux jeunes de s’organiser. Et c’est comme cela qu’en 2016, je crée l’ONG « Surf Ghana Collective ». Je ne vivais pas encore au Ghana à l’époque, mais j’avais dit aux jeunes qu’ils devaient s’approprier le projet et être force de proposition. C’est ainsi que l’on s’est organisé, que l’on a commencé à collecter du matériel, des planches de skate, des T-shirts pour surfer…
Notre premier évènement phare, ce fut une mini compétition de surf et de skate que l’on a organisé à Bezoua, dans un village. J’avais également envie de donner aux jeunes le goût du roadtrip qui est intrinsèque à la culture skate. Les jeunes au Ghana ont besoin de penser à autre chose qu’au travail qu’ils ou elles font pour aider leurs parents. Ils n’ont pas de « jeunesse légère ». J’avais envie qu’ils puissent avoir ces petites échappatoires grâce au sport. Lors de cette compétition, on s’est retrouvé à 30 skateurs avec tous les gens du village, pour moi c’était le début de la plus belle histoire du skate en Afrique de l’Ouest.
“Quand je vois ce que l’on mange en Afrique et ce que l’on mange aux Antilles, je me dis que nos ancêtres sont partis avec des livres de cuisine.”
RTM | C’est cet évènement qui te pousse à quitter la France et à partir t’installer au Ghana pour développer Surf Ghana ?
Sandy Alibo | Après cet évènement, je me suis dit « j’ai trouvé ma voie, je sais ce que je veux faire ». J’ai décidé que ce que je voulais c’était travailler dans le milieu associatif, aider les jeunes, faire du social et faire ce qui me fait kiffer. Je décide donc de partir m’installer au Ghana. En août 2017, on participe au festival Chale Wate qui réunit près de 2000 personnes qui viennent découvrir la culture skate au Ghana.
Le Skate étant plus accessible que le surf, les Ghanéens se le sont rapidement approprié. Accra étant une ville, le skate est devenu un moyen de transport qui répond à d’autres besoins. Aujourd’hui on a plus de 100 skateurs au Ghana alors que l’on n’a toujours pas de skatepark. Le roadtrip nous a permis de lancer le projet. Ce qu’on voulait et ce que je voulais c’était valoriser le Ghana à travers le skate, à travers les yeux des skateurs et filmakers ghanéens. On s’est organisé, on a monté une équipe, skateurs, filmakers, blogueurs, écrivains et on a lancé le premier skate trip au Ghana. C’est comme cela d’ailleurs que l’on a été contacté par Virgil Abloh en 2017.
Nous avions été contacté en amont par le magazine Vogue US qui venait au Ghana et qui souhaitait faire un sujet sur nous. Virgil Abloh ainsi que d’autres artistes, et d’autres marques nous ont contacté à la suite de cet article pour des collaborations.
C’est la raison pour laquelle je crois beaucoup aux réseaux sociaux. Ça prend du temps certes, mais en 5 ans, on a fait énormément de choses alors qu’on partait avec zéro réseau et zéro tune. Je sais très bien que si j’étais restée en France, je n’aurais jamais pu faire un projet comme celui-là. Mon rêve, c’était que le Ghana devienne une destination skate. On n’a jamais voulu copier le skate européen. L’idée justement c’était de dire aux jeunes, « vous avez votre culture, vos musiques, vos plats, votre lifestyle, montrez-le au monde ! »
RTM | Tu nous disais au début, que tu avais l’impression que l’on t’avait menti quand tu as été pour la première fois en Afrique. Maintenant que tu vis au Ghana depuis 3 ans, de quoi as-tu pris conscience vis-à-vis de l’Afrique ?
Sandy Alibo | Quand tu grandis en France, l’histoire de l’Afrique commence avec l’esclavage. Depuis que je suis arrivée au Ghana, j’ai découvert l’histoire propre aux différents pays, aux différentes tribus, les royaumes qu’il y a pu y avoir. Des histoires que tu as envie d’écrire et de raconter à tes enfants. Je ne glorifie pas pour autant cette histoire mais il y a plein de choses que l’on ne sait pas. J’ai compris que la transmission et l’éducation se font de manière complètement différentes ici.
Quand je vois ce que l’on mange en Afrique et ce que l’on mange aux Antilles, je me dis que nos ancêtres sont partis avec des livres de cuisine.
Je sais que les choses changent. Il y a une prise de conscience et une révolte dans la génération qui arrive que nos parents ne pouvaient pas se permettre. Nous avons à la fois un devoir de mémoire et un devoir de reconnexion avec la diaspora. Depuis que je vis au Ghana, je me sens africaine tous les jours. On ne nous dit pas que vivre en Afrique, c’est bien. Accra, c’est le seul endroit où je ne me suis jamais fait voler mon téléphone. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de difficultés, mais même les difficultés redonnent un goût aux choses simples.
Si chaque personne de la diaspora passait au moins une fois en Afrique, l’économie en serait positivement impactée.
On a tellement à apprendre de l’Afrique. Ca me fait rire quand je vois la tendance de l’upcycling en France. J’ai envie de dire, venez en Afrique, vous verrez, nous sommes des pros de l’upcycling. Au Ghana, on a le plus grand marché au monde de seconde main. L’upcycling c’est notre vie.
RTM | Comment évolue et se développe le projet « Surf Ghana » ?
Sandy Alibo | Aujourd’hui Surf Ghana, c’est également une Skate House que j’ai créé, une maison d’hôte où les jeunes peuvent venir skater, se connecter à internet. C’est une maison culturelle et sociale qui propose également du tourisme durable (slow tourism). On propose également des chambres en location pour les touristes. On accueille des personnes qui veulent visiter le Ghana différemment, qui veulent avoir une expérience unique. On accueille pas mal de personnes qui viennent du secteur de la culture.
C’est le tourisme que j’ai envie de promouvoir. Des échanges, des rencontres, des discussions sur ce qu’est l’Afrique, comment avoir un impact en local avec son porte-monnaie, quel contenu ils vont créer à partir de leurs voyages.
C’est un business model qui est assez nouveau, mais fonctionne super bien. C’est ce qui permet de financer tous les projets et initiatives sportives.
RTM | Vivre en occident, c’est être bercé par une vision capitaliste du business. Comment le Ghana est-il venu challenger ta vision du business ?
Sandy Alibo| Chez Orange, j’avais 1 millions d’euros de budget. Quand tu passes de 1 millions à 0 euros, tu es obligé de repenser ta manière d’envisager le business (sourire). Tu fais du do it yourseilf, tu contactes tes potes. J’ai également compris que beaucoup d’argent égale beaucoup de politique. Je t’avoue que ça ne m’a pas stressée, j’étais excitée de repartir de zéro, de faire pour moi, pour la communauté.
Et puis, je suis aussi arrivée avec beaucoup d’humilité. J’avais certes appris des choses chez Orange mais je suis arrivée avec beaucoup de respect de leur manière de faire. J’avais envie de grandir avec eux, le rapport est donc naturellement différent.
RTM | Comment as-tu réussi à t’intégrer justement professionnellement ?
Sandy Alibo | C’est la persévérance qui a fait la différence. Être entrepreneur au Ghana, c’est difficile, beaucoup abandonnent, lâchent l’affaire. Il faut beaucoup de motivation et de patience. Sans argent, un projet qui aurait pu prendre 1 an, va prendre 5 ou 10 ans à se mettre en place. C’est une réalité. Et puis, il faut prendre en compte les us et coutumes du pays. On ne vit pas à Accra comme on vit en France ou aux États-Unis. Il y a une façon de vivre, un côté cool que certains étrangers ne comprennent pas. Ça permet également de questionner les habitudes européennes que l’on pouvait avoir. Le rapport à l’argent est différent, le management est différent, le rapport aux technologies est différent.
Au Ghana, il n’y a pas 40 000 applications mobiles pour que tu saches ce que tu manges, si c’est sain si c’est bio. Les gens se parlent. Tu peux aller directement chez le fermier. Il y a un rapport humain qui est complètement différent. Rares sont les jeunes qui ont un iPhone. La plupart des jeunes ont un 3310, les jeunes passent donc moins de temps sur leur téléphone. Il n’y a pas de problème de batterie, et ils sont plus souvent dehors à vivre. Vivre, c’est prendre le temps pour sa famille, profiter des moments simples. Toutes ces choses que l’on a beaucoup perdu en Europe.
RTM | Comment souhaites-tu voir grandir Surf Ghana dans les années à venir ?
Sandy Alibo | J’aimerais construire des infrastructures sportives en Afrique qui permettront de développer un tourisme durable. L’objectif c’est de devenir une entreprise sociale et solidaire qui développe des infrastructures durables mise à disposition des jeunes et qui créent de l’emploi afin qu’ils puissent être indépendants. J’aimerais que Surf Ghana participe à construire le futur de l’Afrique dans le domaine du sport.
Je souhaite qu’on puisse créer des opportunités de carrières aux jeunes, qu’il y ait une reconnaissance de leurs compétences. Je ne veux pas que notre ONG fonctionne sur le système du don. Je veux des investisseurs.
Ce projet a été construit comme une marque que les jeunes s’approprient et surtout dont ils sont fièr.es, notamment parce qu’ils font parti.es intégrantes du projet.
Mon souhait pour les années à venir est de développer l’entrepreneuriat sportif en Afrique, et de soutenir des entrepreneurs à Lomé, Abidjan ou encore Legos.
RTM | Si tu devais nous parler de trois initiatives qui se déroulent actuellement au Ghana et que tu aimerais faire connaître au grand public ?
Sandy Alibo | La première, c’est The Slum Studio, une des plus belles marques lancées récemment. Son fondateur, Sal Kofiga, est un artiste multidisciplinaire qui transforme les vêtements usagés qui arrivent en masse au Ghana, dans les marchés de seconde main, en vêtements customisés.
Ensuite, je dirai SuperJazzClub, un collectif de jeunes créatifs ghanéens qui propose une musique alternative. Ils sont tellement talentueux. Les sons sont dingues, l’esthétique également.
Et enfin, le photographe David Nana Opoku Ansah, qui a notamment travaillé avec la marque Gucci récemment. Il fait également des portraits de skateurs, il a gagné un prix. C’est un photographe très prometteur.
Je pense aussi à l’artiste Nana Danso, c’est un peu le Keith Hiring du Ghana ou encore à des amis qui ont lancé une résidence d’artistes « The Noldor Residency » pour soutenir les artistes locaux. Ils étaient basés à Londres et ont décidé de venir s’installer au Ghana.
Toutes les personnes que je t’ai citées sont souvent autodidactes. Elles apprennent tout sur les réseaux sociaux. Elles n’ont pas 30 000 followers mais elles sont sur le terrain, elles font.
RTM | Qu’est-ce que tu dirais à une femme qui croule sous les doutes, qui a l’impression que ses rêves sont trop grands ?
Sandy Alibo | Qui ne tente rien n’a rien. C’est mon leitmotiv. On ne pas se mentir, l’entrepreneuriat, c’est dur. Il faut être prêt mentalement. Il faut être prêt à accepter les challenges. Il faut accepter de ne pas tout réussir. Il ne faut pas craindre de rater. Je recommande la méthode du « test and learn ». Tu tests et tu apprends. L’histoire d’une entreprise ou d’un projet, elle se réécrit sans cesse. Il n’y a pas plus gratifiant que de faire pour soi, de donner une chance à ses rêves, à ses projets. Vous méritez de donner du temps à vos projets.
Je leur dirai de ne pas hésiter à parler à d’autres femmes, à me contacter également. Je suis toujours très contente de pouvoir échanger avec d’autres femmes, de pouvoir partager des conseils qui m’ont aidé au début.
Soyez maître de vos projets, garder la tête haute et affirmez-vous. L’entrepreneuriat donne beaucoup de force.
RTM | Et enfin, qu’est-ce qui fait de Sandy, une Reine Des Temps Modernes ?
Sandy Alibo | Je dirai le fait d’évoluer dans un milieu très masculin, de défoncer des portes, de prendre mon siège et de m’installer. Je m’assieds là où l’on ne m’attend pas. J’évolue dans le secteur du sport où il y a 99% d’hommes, je suis une femme, je travaille au Ghana, et je n’ai pas de budget. C’est un challenge de tous les jours, mais j’ai décidé de m’inviter à toutes les tables et de chahuter un peu tout le monde. Je pense que j’aime bien déranger. Je pense que c’est ce qui fait de moi une Reine Des Temps Modernes.