Tous les chemins mènent à vos rêves. Faire confiance à la vie, à ses intuitions, à sa petite voix. Notre QUEENSPIRATION du jour s’est autorisée à emprunter de multiples voies jusqu’à trouver la sienne. Pour RTM, Lovely Euphrasie-Chlotilde, docteure en Sciences de l’Univers et ingénieure en énergies renouvelables est revenue sur ses débuts, son parcours, ses réussites et ses moments d’apprentissages.

 

Portrait Lovely / Crédit photo : Nicky Mariette

RTM | Bonjour Lovely, pour commencer quelles seraient les trois mots que tu choisirais pour t’introduire ?

Lovely | Le premier mot serait ténacité. C’est un trait de caractère qui m’accompagne depuis pas mal de temps. Ensuite, je dirai persévérance. Ce sont deux mots très proches mais qui ne veulent pas dire la même chose selon moi. La ténacité est une réaction vis-à-vis des évènements de la vie. C’est une forme de réaction. Tandis que la persévérance est une action qui vient en amont. Et enfin, le troisième mot que je choisirai est dynamique.

RTM | En effectuant mes recherches sur ton parcours, j’ai découvert qu’à l’origine tu ne te prédestinais absolument pas à travailler dans le secteur scientifique.

Lovely | C’est même pire que ça. Si tu interroges les différents professeurs qui m’ont accompagnée tout au long de mon cursus, ils te diront que je m’étais même promis de ne jamais me tourner vers la recherche (Sourire).

RTM | Justement, revenons à tes débuts. De quelle carrière rêvais-tu plus jeune ?

Lovely | Plus jeune, je n’avais pas de vision claire sur mon avenir. Je n’étais pas comme ces enfants qui se projetaient dans un ou des métiers particuliers. Ma seule conviction était de bien travailler à l’école. Un objectif qui m’a certainement été transmis par ma grand-mère, qui m’a élevée. J’avais des facilités dans les matières scientifiques. Je me suis donc naturellement orientée avec vers un bac scientifique.

À la suite de l’obtention de mon bac, je me sentais un peu perdue. Je ne savais pas vers quel domaine m’orienter. J’ai quitté la Guadeloupe et je suis partie m’installer en France hexagonale. J’ai tenté de m’inscrire dans des universités. Mais rapidement les portes se sont fermées pour cause d’arrivée tardive sur le territoire. J’ai commencé à me poser des questions. J’ai tenté de m’inscrire en psychologie, sans succès.

Finalement, il me restait 2 choix d’universités : l’hôtellerie restauration ou l’histoire géo. J’ai choisi de m’orienter vers l’hôtellerie restauration. Et c’est ainsi que j’ai entamé une année à Bordeaux, à Talence. Comme tu peux le constater, ça n’avait strictement rien à voir avec le bac que je venais de passer, ni l’orientation que je prendrais par la suite.

RTM | Justement comment on passe de Lovely qui entame des études en restauration à Lovely doctorante en sciences ?

Lovely | Cette année en hôtellerie a été très enrichissante. C’était la première fois que je vivais hors de la Guadeloupe. J’ai eu une très belle année. J’ai réussi mon année dans cette école reconnue comme la meilleure d’Europe. En revanche, j’ai également compris que je ne ferais absolument pas cela de ma vie. J’ai compris que je n’étais pas sur ma voie. J’ai donc décidé de rentrer en Guadeloupe à la fin de la première année.

A défaut de ne pas savoir ce que je voulais faire, je commençais à découvrir ce que je ne voulais pas faire. Je décide donc de m’inscrire à l’Université des Antilles Guyane. Je vais à la rencontre d’une conseillère d’orientation à qui je fais part de mes inquiétudes. Je lui explique que je ne sais absolument pas ce que je veux faire. Elle décide donc de me faire passer des tests. Ces tests révèlent que j’aime bien les matières scientifiques et tout particulièrement la biologie. Cette conseillère me fait part d’un cursus biologie disponible à l’université. Je décide donc de m’inscrire dans un parcours général qui propose des maths, de la physique, de l’informatique et de la chimie. J’y ajoute des options en biologie. Et là l’histoire se répète. Je me rends compte que je déteste la biologie.

RTM | Quel a été le déclic ?

Lovely | C’est à la suite de ce nouveau constat que je commence petit à petit à m’intéresser à la physique. J’étais surtout rassurée par le cadre que m’offrait mes professeurs. Je ne vais pas te mentir, c’était très difficile et challengeant. Mais j’aime les défis et l’excellence. Je me sentais à ma place. Je suis donc allée au bout de mon parcours, licence, puis master. Et à la fin de mon master, je ne me voyais absolument pas faire de thèse. Je ne comprenais pas celles et ceux qui se lançaient dans des thèses. Je me suis donc tournée vers l’enseignement. J’ai fait une première année en tant que professeur de physique-chimie dans un collège/lycée qui s’est très bien passée. Mais une fois de plus, j’ai compris que ce n’était absolument pas pour moi.

Je pense que ça a été mon déclic. J’ai compris que ce qui m’intéressait c’était la recherche. Autant te dire que mon entourage n’a pas compris. A cette époque j’étais déjà maman d’un petit garçon. Mon envie puis mon choix de retourner faire des études semblaient complètement fous. Mais j’avais encore cette soif d’apprendre, de découvrir des choses. C’est ce qui m’a manqué pendant ces années d’enseignement. J’ai donc repoussé les portes de Fouillole en disant à mes professeurs : « Hello, c’est moi. Je souhaite finalement faire une thèse ».

 

Portrait Lovely / Crédit photo : Nicky Mariette

 

RTM | Peux-tu d’ailleurs nous présenter le sujet de ta thèse de manière simple et accessible ?

Lovely | Ma thèse porte sur l’étude d’un phénomène naturel qui existe depuis la nuit des temps et qui continuera d’exister. Ce phénomène permet l’équilibre de la planète. Il s’agit du transport des poussières désertiques. C’est un phénomène qui contribue au refroidissement climatique, en opposition au réchauffement climatique que l’on connaît.

Pourquoi ? Cette masse de poussière, lorsqu’elle est soulevée dans le désert du Sahara va agir comme un couvercle qui va bloquer le rayonnement solaire. Lorsque ces poussières sont en altitudes, elles sont transportées au-dessus de l’Atlantique et viennent affecter toute la zone caribéenne dans un premier temps, puis les États-Unis.

C’est d’ailleurs la principale source de pollution aux Antilles. Ma thèse consiste à comprendre comment sont transportées ces poussières, par quel courant. Puis d’examiner les particules qui composent les poussières désertiques et les aérosols marins.

Ces études permettent d’avoir une connaissance fine et plus performante des différents modèles météorologiques de la zone caribéenne afin de mieux prédire l’arrivée des cyclones par exemple. Et très récemment nous avons pu également montrer qu’il contribuait également au réchauffement localisé de la surface de la mer.

RTM | Après l’obtention de ta thèse, tu rejoins le Laboratoire indépendant Karusphère fondé par le dr Thomas Plocoste. Quelles ont été tes motivations ? 

Lovely | Je passe ma thèse non sans difficultés. Je soumets mes travaux à la communauté internationale. J’obtiens mon doctorat et là je me dis « mais qu’est-ce que je vais bien faire de ma vie désormais ? ». Quand on arrive au bout de sa thèse, on a accompli tellement de choses. Cela nous a demandé tellement d’énergie. C’est un peu comme finir un marathon, mais à la fin tout le monde s’en fou (rire).

Je repars donc de zéro. Je commence à postuler. Je me tourne vers le service public. Je suis embauchée par une structure de l’État, l’ADEME (direction régionale de Guadeloupe). Je découvre ainsi un tout nouveau domaine : l’énergie renouvelable, la mobilité durable. Absolument rien à voir avec la pollution atmosphérique.

En parallèle de cette nouvelle activité, je poursuis la recherche comme un hobby. J’écris des articles. Je tente d’être publiée dans un journal international mais ma publication est dans un premier temps refusé.

Pendant la période de ma thèse, j’avais rencontré le docteur Thomas Plocoste qui a soutenu sa thèse quelques années avant moi. Nous partagions le même bureau, ce qui nous a permis d’avoir de premiers contacts. En 2019, Thomas a décidé de monter son laboratoire indépendant.

Lorsque mon article se voit refusé, Il me contacte pour me proposer son appui. C’est la seule personne qui m’a encouragé à persévérer. Nous avons retravaillé l’article ensemble et une fois soumis, il a été publié. C’était incroyable. C’est comme cela que notre collaboration a commencé. Il m’a ensuite proposé de rejoindre le Laboratoire KaruSphère. C’était une évidence.  J’ai tout de suite cru en sa capacité à mener des projets à bien. Nous avons tous les deux un véritable amour pour la recherche. Cela fait maintenant 2 ans et demi que l’on travaille ensemble.

RTM | Quelle est la mission du laboratoire KaruSphère ?

Lovely | Dans un premier temps, le but du laboratoire KaruSphère était de faire de la vulgarisation afin d’expliquer à la population nos travaux scientifiques en français et également en créole. Ensuite, être un laboratoire indépendant nous permettait également d’être libre scientifiquement parlant. A l’époque de mon passage à Fouillole, je regrettais justement ce manque de transversalité entre les compétences pour des questions politiquement correctes. Chacun était cloisonné dans son domaine, les mathématiciens d’un côté, les physiciens d’un autre. Lorsque j’ai commencé à travailler avec Thomas, il n’y avait aucune barrière. Cela nous a permis d’aller là où d’autres n’osaient pas aller. Et c’est ainsi que nous nous sommes faits connaître dans la communauté scientifique. Nous avons connecté les matières, les compétences. On utilise par exemple des modèles mathématiques pour interpréter les données sur la pollution.

Ce que je déplore en revanche c’est le manque d’accompagnement des institutions. Thomas a été frapper à toutes les portes, à la recherche de subventions. Personne n’a cru en ce que nous faisions. Personne ne comprenait l’intérêt de nos recherches. On nous demandait sans cesse de nous conformer. Nous avons toujours refusé mais nous sommes encore là malgré tout.

Portrait Lovely / Crédit photo : Nicky Mariette

RTM | En 2021, tu remportes le prix des jeunes Talents France porté par l’entreprise l’Oréal et l’Unesco. Raconte-nous cette aventure.

Lovely | A l’époque de ma thèse, chaque année l’école doctorale nous envoyait des informations à propos de ce prix. Mais je ne m’étais jamais sentie légitime de postuler. Par hasard, en 2019, alors que j’avais déjà terminé ma thèse, je reçois à nouveau un e-mail à propos de ce prix. Je devais encore être dans leur base de données. J’en parle à Thomas. Je lui dis et si je tentais. Évidemment, Thomas ne me dit jamais non. Donc je me lance. Rapidement, je me rends compte que j’avais sous-estimé le travail et le parcours du combattant que représentait le montage de dossier pour un prix de cette envergure. Thomas m’aide à monter le dossier et parmi les pièces demandées il me fallait 3 lettres de recommandations de scientifiques reconnues à l’international.

Je me tourne vers une grande professeure qui faisait partie du jury de ma thèse. Elle accepte. Je me tourne vers Fouillole. Aucune réponse. Et enfin, je demande à Thomas de me faire également une lettre. Résultat des courses je postule avec non pas avec trois mais deux lettres. Les mois passent et je reçois un appel d’un membre du jury qui m’explique que je fais partie des 100 candidates sur 800 présélectionnées. Malheureusement je ne suis pas retenue dans la short List des 35 mais il me dit que mon projet a particulièrement touché le jury et m’invite à postuler à nouveau l’année suivante.

A ce moment-là, je me demande ce que j’avais bien pu croire. J’avais le sentiment de ne pas être au niveau des autres participantes qui travaillaient entre autres pour le CNRS ou la NASA.

En 2020, j’avais clairement autre chose à faire. Je ne pensais plus à ce prix. Un jour je reçois une relance par mail pour postuler au concours, tout en sachant que la deadline était deux jours plus tard. J’en parle à Thomas qui me dit : « écoute, on va renvoyer le même dossier mais que cette fois il va falloir que tu ailles chercher cette 3ème lettre ».

Je décide donc de mettre mon orgueil de côté. Je savais que je pouvais avoir cette 3ème lettre, mais je ne voulais pas demander à l’époque. Finalement je contacte un météorologue de Dublin que j’avais rencontré à l’occasion d’un congrès avec qui j’avais tissé des liens d’amitié très fort qui accepte de me faire cette 3ème lettre. Je postule et peu de temps après je reçois ce fameux coup de téléphone m’annonçant la réponse. Je n’y croyais pas. Je ne pensais pas que c’était possible. Je pense avoir mis pas moins de 3 mois à réaliser.

RTM | Qu’est-ce que ce prix a changé pour toi ?

Lovely | Le sentiment d’une mission accomplie. Ça m’a aidé à réaliser que mon travail pouvait être reconnu. Même si au départ, tu ne le fais pas pour la reconnaissance. Tu le fais parce que c’est ton cœur qui parle. Mais ça m’a permis de prendre confiance en moi, de m’autoriser à être encore plus audacieuse dans ma recherche et dans mes travaux.

RTM | Comment vois-tu la suite aujourd’hui ?

Lovely | Aujourd’hui, je ne travaille plus à l’ADEME. Je travaille désormais à la Région Guadeloupe. Le soir, les week-end et les jours de repos je continue la recherche. J’ai compris que cela faisait désormais partie de moi. Je ne pense pas pouvoir arrêter un jour. Certains chercheurs ont la possibilité de travailler à 100% sur leur recherche, ce n’est pas mon cas. Malgré tout, je sais aujourd’hui que je n’ai rien à leur envier. J’ai ma place, j’ai des choses à dire, et des choses à faire.

Avant, je me demandais qui j’étais pour penser révolutionner le monde scientifique. Aujourd’hui je sais que j’en suis capable. La suite logique, c’est de viser encore plus haut. Avec Thomas, nous avons réussi à publier dans beaucoup de revues que nous visions et que nous pensions inatteignables. Nous voulons désormais atteindre la classe de publication supérieure. Parfois je me demande si tout ce que nous vivons est bien réel.

Je garde cependant les pieds sur terre car je sais qu’il ne s’agit que du fruit du travail acharné que nous avons fourni pendant toutes ces années. On ne nous a rien donné, pas même un conseil, encore moins des fonds. Tout ce que l’on a aujourd’hui en termes de reconnaissances, on ne l’a même pas arraché, on l’a volé.

RTM | Le doute, l’échec sont intimement liés à la recherche. Après toutes ces années comment appréhendes-tu le doute et quel conseil donnerais-tu justement à celles qui sont dans le doute ?

Lovely | La recherche, c’est 99,9% d’échec pour 0,01% de réussite. Le sentiment ressentit pour ces 0,01% de réussite est indescriptible. On cherche, parfois toute sa vie, pour ces rares moments. C’est notre moteur. Un chercheur ne travaille ni pour la gloire, ni pour la reconnaissance, du moins pour certains.

On échoue et on recommence. Encore, et encore. Ce qui me plait c’est la possibilité d’exprimer son originalité. La recherche c’est un espace où tu peux développer tout ton potentiel, toutes tes idées. Tu peux leur donner vie. C’est comme un artiste qui écrit une musique. C’est le même processus. Tu exprimes quelque chose qui provient des tréfonds de ton esprit. C’est extraordinaire.  Les échecs ce sont des informations qui te serviront un jour ou l’autre.

RTM | Et enfin qu’est-ce qui fait de Lovely une Reine Des Temps Modernes ?

Lovely | Je dirai ma capacité à mélanger plusieurs axes de recherche. C’est quelque chose qui est très rare. Je suis une personne difficile à canaliser. On me l’a d’ailleurs beaucoup reproché. Mais j’ai toujours eu besoin d’exprimer tout ce qui se passait dans ma tête. Décloisonner, c’est la modernité. C’est la marque de fabrique de nos articles.

La connaissance est accessible désormais à tout le monde. Tout est à portée de main.

Lorsque je traite un phénomène, je vais le regarder via le prisme des statistiques, des mathématiques, de l’optique, des images satellitaires… Je vais démontrer que quelques soient les outils, on arrive à la même observation. C’est du travail. C’est de la rigueur.

Aujourd’hui on a du mal à envisager qu’un dentiste puisse également être coiffeur, cardiologue et gynécologue. Et pourtant. J’ai décidé de ne me mettre aucune barrière.

 

 

2 Commentaires

  1. Merci beaucoup pour cet article très inspirant ! Son parcours est synonyme d’amour-propre avec une bonne dose de confiance et d’estime de soi ! Car il en faut pour continuer de se chercher avec un enfant, si loin de sa première idée de départ (l’hôtellerie) et surtout sans succomber à la pression sociale. Elle y est parvenue, elle a persévéré et a trouvé sa voie, ce qui l’a fait vibrer ! Une vraie reine des temps modernes ✨✨✨✨

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