Tsiporra – « On peut être femme sans être mère »

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Notre QUEENSPIRATION de la semaine s’appelle Tsiporra. Elle est la fondatrice du podcast et de la page instagram “Tant que je serai noire”, sur lesquels elle interroge le désir et le non-désir de maternité des femmes noires dans notre société. Elle nous parle de son parcours, de la genèse du projet et de son rapport aux questions de maternité.

RTM | Bonjour Tsiporra, nous sommes ravies de t’accueillir sur RTM. Peux-tu te présenter à nos lectrices et lecteurs ?

Tsiporra | Bonjour à toutes. Je m’appelle Tsiporra. J’ai 30 ans et je suis la fondatrice du podcast « Tant que je serai noire » que j’ai lancé en janvier 2020. En parallèle, je travaille dans le secteur du digital, dans la transformation digitale plus précisément.

RTM | Ton prénom n’est pas commun. Quelle est son histoire ?  

Tsiporra | Tsiporra, c’est un dérivé de mon véritable prénom. Tsiporra, c’était la femme de Moise, la seule femme noire de Moïse qui a été oublié de l’histoire. Mon père aimant tout ce qui a attrait à la religion, a beaucoup étudié la bible, et la religion musulmane, qui est ma religion d’origine. Il s’est ainsi amusé à transformer ce nom qu’il m’a dédié.

RTM | Il y un autre nom qui m’intéresse, c’est celui que tu as choisi pour ton podcast. « Tant que je serai noire », c’est également le nom d’un ouvrage de Maya Angelou. Peux-tu nous parler de ce choix et de la référence ?

Tsiporra | Je me rends compte depuis le lancement du podcast, que le nom du podcast peut déranger, et même au sein de la communauté. Certaines personnes trouvent qu’il fait cliché. Pour ma part, je souhaitais rompre avec cette image du noire qui a été construit et qui n’existe pas. Je voulais un titre qui fasse réfléchir, qui titille et qui dérange. D’où mon choix J.

RTM | A travers ce podcast, tu abordes la question du désir de non-maternité. Un sujet qui fait débat tant le ventre des femmes noires fait parler … Quel est la genèse de ce projet ?

Tsiporra | Tout part de ma vie à moi. Le désir de non-maternité, n’est pas un sujet commun. En grandissant, j’ai rapidement compris que je n’avais pas envie d’avoir d’enfant, mais je ne voyais pas de femme comme moi dans mon entourage, ou en France plus largement. En France, il y a quelques femmes blanches qui abordent ce sujet, mais elles restent une minorité.

J’avais envie de trouver des gens comme moi, de savoir si ces femmes, souvent considérées comme des sorcières, existaient. Puis avec le temps, j’ai voulu aller à la rencontrer de celles qui en voulaient et plus largement interroger ce désir.

J’ai commencé par questionner des amies, en leur demandant pourquoi elles sont devenues mères. Je me suis rendue compte que je n’avais pas de réponses concrètes. Je voulais interroger cette notion de désir de maternité de manière générale, tout en mettant l’accent sur les femmes qui n’en veulent pas.

RTM | Qu’est-ce que tes différents entretiens t’ont enseigné depuis la création du podcast ?  

Tsiporra | Dans un premier temps, je dirai que ce que je retiens, c’est que nous sommes toutes des femmes, que l’on soit maman ou non. Nous avons toutes des expériences communes. Je retiens également que l’on fait beaucoup d’amalgames entre désir de maternité et désir de transmission, surtout au sein des communautés afro-descendantes.

Le désir de maternité, c’est j’enfante mon enfant, je deviens maman. Tu deviens alors responsable d’un être humain, d’une vie. Alors que le désir de transmission, peut avoir lieu sans devenir mère.

« Il faut tout un village pour éduquer un enfant », j’aimerais qu’on revienne à cette définition qui met en avant la possibilité de transmettre à d’autres, sans être nécessairement mère. Je peux transmettre à mes neveux, nièces, cousins, cousines par exemple. Certaines femmes veulent transmettre et pensent qu’elles doivent obligatoirement passer par la maternité.

Dans les familles africaines par exemple, il n’est pas rare qu’une tante, un oncle, une grand-mère élèvent un enfant qu’elle n’a pas enfanté. C’est une notion qui existe depuis des années, et avec l’occidentalisation de nos sociétés, on a un peu oublié tout ça.

J’ai compris également que la notion de parentalité était très hétérocentrée, alors qu’il y a plusieurs types de parentalités. On peut être parent dans un couple lesbien, gay… Cette question de la diversité de la parentalité au sein des communautés afros n’est pas bien prise en compte.

J’ai appris qu’il nous fallait être plus indulgent avec notre communauté au vu de  tous les traumas que nous avons, de tous les modèles qui nous ont été imposés.

RTM | Dans nos sociétés, la féminité passe également par la maternité. Comment définis-tu cette notion de féminité ?  

Tsiporra | Je m’intéresse de plus en plus au féminin sacré, qui selon moi peut être une solution. Parler du féminin sacré, c’est affirmer que nous sommes toutes des femmes, et que nous avons toutes une puissance féminine.  Lorsque l’on parle de Gaïa, de la terre mère, il y a plusieurs notions qui cohabitent. En tant que femme nous sommes toutes « mères », « mères » de projet, d’œuvres, de production …

La femme et la féminité sont créations, au sens de donner l’existence.

La notion de création est le don des femmes. Une femme même infertile reste une femme mère de création. Il nous faut changer de paradigme et sortir de cette vision limitante de la femme qui l’a réduit à ce que son utérus peut produire ou non.

RTM | Comment ce non-désir de maternité a-t-il été reçu dans ta famille ?

Tsiporra | C’est un sujet que j’avais abordé dès le départ avec mon compagnon. Je pense qu’au début il se disait que ça allait surement changer avec les années, sauf qu’au bout de 7 ans, je n’ai toujours pas changé d’avis (sourire). Et même lui aujourd’hui me dit qu’il ne pourrait pas en avoir. C’est important d’être sur la même longueur d’onde avec son compagnon.

Ma mère, elle a encore du mal. Je suis l’ainé de la fratrie. Nous sommes cinq. Ma mère a peur que mes frères et sœurs suivent la même voix. Elle a peur que ce soit contagieux (rire).

Mon père, c’est différent. Je l’avais raconté à Mrs Roots lors d’une interview. Mon père a un regret d’être père. Le jour où mon père m’a accompagné à Grenoble pour mon installation, nous avons fait le trajet en voiture. Pendant ce trajet, nous avons discuté de choses et d’autres, et de fil en aiguille, il s’est confié en me disant qu’il regrettait d’avoir eu des enfants dans une société qui va mal.  Etant issu de l’immigration, les choses n’ont pas été simples pour lui, qui s’est retrouvé au fin fond de la Haute-Savoie en tant que sénégalais. Il m’a dit que si c’était à refaire il n’aurait certainement pas eu d’enfants dans ce contexte là. Il a conclut en me disant qu’il ne nous demandait pas d’être parent, qu’il s’agissait d’une véritable réflexion à avoir et qu’il faut pouvoir être là pour ses enfants. A ce moment là, je me suis dit que je n’étais pas folle, on pouvait ne pas vouloir d’enfant. C’est mon père qui m’a confirmé ce choix.

Ma belle-mère, elle espère. Depuis la sortie du podcast, elle ne m’embête plus. J’ai ouïe dire qu’elle a compris. Au point d’en faire un podcast, d’en parler, elle s’est dit que je ne risquais pas de changer d’avis. Elle regrette un peu.

J’ai aussi la chance d’avoir des ami.e.s qui me soutiennent. Elle me trouve courageuse. J’ai la chance d’être soutenue.

https://www.instagram.com/p/CEi6HAYInam/

RTM | A quel moment ce désir de non-maternité s’est fait ressentir chez toi ?

Tsiporra | Très jeune, dès 12/13 ans. A l’époque où je devais m’occuper de mes frères et sœurs et assumer les corvées. Chaque fois que ma mère se plaignait, je lui disais « tu vois, pourquoi faire des enfants si tu es là à te plaindre ?! ». Je n’étais pas très sympa. Mais je me demandais pourquoi s’imposer ces charges.

Je disais à ma mère « en plus tu en as fait 5, au bout du 2ème, tu aurais pu te dire c’est bon j’arrête ».

Puis plus tard, quand j’ai commencé à lire sur le féminisme, sur le fait qu’on pouvait être femme sans être mère surtout en tant que femme noire.

J’ai grandit en voyant toutes mes tantes avoir des enfants, celles qui n’en avaient pas, c’était uniquement parce qu’elle ne pouvait pas. Je n’avais jamais entendu des femmes de ma famille parler du non désir de maternité. Je me suis dit que je serai la première.

RTM | Quelles sont tes envies de création ?

Tsiporra | J’ai évidemment envie de continuer les interviews avec « Tant que je serai noire » et de m’ouvrir à d’autres profils. J’ai interviewé beaucoup de femmes issues plus ou moins d’un même milieu social. J’ai envie de m’ouvrir à des mamans qui n’ont pas eu le choix, des mamans de la génération de nos mères.

J’aimerais aller en province également, où la maternité est différente. Et si un jour j’ai les fonds nécessaire, j’aimerais faire un documentaire pour laisser une trace. J’aimerais interroger une mamie qui nous expliquerait comment elle a vécu sa maternité, qui nous parlerait de ses regrets ou non.

J’ai aussi une envie de BD. Ce sont des gros projets que j’aimerais faire pour clôturer le projet.

RTM | Tu as une activité principale à côté. Comment jongles-tu entre les deux ?

Tsiporra | Ce n’est pas toujours évident. En août, j’ai pris un mois de vacances qui m’a fait énormément de bien. J’ai également fait une coupure d’Instagram. J’avais besoin d’une vraie pause surtout après le confinement, black lives matter… émotionnellement ce n’était pas facile.

Avec le boulot, je suis obligée de travailler la nuit, les week-ends. Pour la saison 2, j’ai tout fait en 2 mois et c’était rude. J’ai enregistré 24 épisodes. Ca m’a demandé beaucoup d’énergies. J’essaye de m’organiser au mieux en planifiant les publications, et essayant aussi de toujours prendre du plaisir.

J’apprends beaucoup grâce à ce projet et c’est très enrichissant. Cette envie de transmission me permet de ne pas lâcher. Et le boulot ? On fait avec (rire).

RTM | Qu’est-ce que tu dirais aux femmes qui liront cette interview qui ne désirent pas d’enfants mais on du mal à l’accepter ?

Tsiporra | N’ayez pas peur. Essayez de t’entourer au maximum de personnes bienveillantes. Je sais que c’est facile à dire mais avoir des potes sur qui compter, c’est important.

Je leurs dirai également de ne pas céder. Avoir un enfant, c’est une grosse responsabilité. Ca peut paraître égoïste sur le moment, mais pensez à ce futur enfant.

J’avais interviewé Gaelle, qui est haitienne et militante afroféministe, qui avait fait une analogie intéressante. Elle disait qu’elle avait envie de laisser ses enfants jouer avec la barbe de dieu, qu’elle ne voulait pas les déranger et qu’ils y sont bien.

Tant que tu n’es pas prête, laisse les là bas. Tout le monde n’est pas fait pour être parent, ce n’est pas grave. Ca ne fera pas de mal si quelques couples décident de ne pas faire d’enfants.

RTM | Quels outils conseillerais-tu aux femmes qui ne veulent pas d’enfants ?

Tsiporra | D’écouter le podcast (rire). Et surtout, de consulter. Si tu n’es pas à l’aise avec le sujet et que tu n’as personne à qui en parler, parles en à un psy. Ca peut aider et débloquer certaines situations. Consulter, lire des récits de femmes qui ont vécu les mêmes situations, les mêmes problématiques. Ca rassure.

Créer aussi. Transmettre autrement.

J’ai aussi envie de dire à ces femmes, qu’elles ont également le droit de changer d’avis. C’est aussi ok.

RTM | Tu te définis comme afroféministe. Comment l’afroféminisme t’a permis de trouver des clés par rapport à cette thématique ?

Tsiporra | Je pense que quand on est une femme noire ce n’est pas évident de dire qu’on ne veut pas d’enfants. On a l’impression qu’on fait passer le combat racial en second plan. L’afroféminisme permet de ne pas choisir.

On peut être une femme, être une mère et ne pas être une mère, on peut être artiste, on peut être militante…. Maya Angelou pour moi justement est un bel exemple à ce niveau là.

L’afroféminisme, c’est être complète. C’est me battre pour ma communauté, pour les femmes. C’est me dire que je peux produire, créer, et faire tout ça en même temps, sans que ce soit un problème.

Lire Bell Hooks, Maya Angelou ou encore Le Ventre des femmes de Françoise Vergès ont été de vraies révélations. J’ai pris conscience des traumatismes, des traumatismes intragénérationnelles. J’ai décidé que mon corps servirait à autre chose qu’à enfanter et l’afroféminisme m’a permis de comprendre que c’était ok. 

RTM | Si tu devais nous citer trois ouvrages qui t’ont marqué et aidé dans ta construction ?

Tsiporra | Tant que je serai noire de Maya Angelou, Ne suis je pas une femme de Bell Hooks et dernièrement, le manifeste de Chimamanda, Nous sommes toutes féministes.

RTM | Qu’est ce que tu aimerais que l’on retienne de toi ?

Tsiporra | Tsiporra n’était pas folle ! On peut être une femme noire accomplie sans avoir d’enfants. On peut être plurielle. Il n’y a pas une femme noire, mais des femmes noires.

RTM | Qu’est-ce qui fait de Tsiporra une Reine Des Temps modernes ?

Tsiporra | Je pense qu’une Reine Des Temps Modernes s’assume, elle assume ses positions, et elle transmet autant qu’elle le peut pour laisser une trace quand elle s’en va, ou pas, mais elle fait tout pour faire bouger les choses dans son quotidien. C’est ce que j’essaye de faire avec Tant que je serai noire (sourire).

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