Douce Dibondo (Journaliste) – « Collectivement, nous avons une force»

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Quelle diversité dans les médias ? Quelle place pour les femmes noires dans les médias français ? Quelles opportunités pour les personnes racisées dans le secteur du journalisme ? Tant de sujets que nous avons abordé avec notre QUEENSPIRATION de la semaine, Douce Dibondo. Journaliste/pigiste, fondatrice du podcast Extimité, afroféministe queer radicale, elle nous parle de son parcours, ses difficultés, ses victoires et sa vision pour un autrement.

Portrait Douce Dibondo

RTM | Bonjour Douce, nous sommes ravies de t’accueillir sur RTM. Avant de commencer, peux-tu te présenter à nos lectrices et lecteurs ?

Douce | Bonjour, je m’appelle Douce Dibondo. J’ai 27 ans  et je suis journaliste indépendante. Je me définis comme afroféministe queer radicale. Je suis congolaise.

RTM | Comment la vie te mène au journalisme ?

Douce | Plus jeune, j’avais trois projets professionnels. Je voulais être attachée de presse, journaliste ou pratiquer une activité en rapport avec la sociologie.

Je me souviens qu’au collège, mon professeur principal voulait absolument que je m’oriente vers un lycée professionnel, mais j’ai finalement  réussi à poursuivre en général en obtenant un BAC littéraire.

A la suite de cela, j’ai validé une licence en sociologie mais je me suis vite rendue compte qu’étant une femme noire, il allait être difficile d’en faire un métier.

J’ai ensuite fait un crochet en master de science politique à Bordeaux. Ce n’était pas du tout stimulant, trop théorique, trop consensuel, trop répétitif.

Finalement je me suis orientée vers un master d’Information et  communication, mon stage de fin de master 2  m’a amené à Paris.

En janvier 2017,  j’ai entamé un stage de 6 mois au sein du média afrocentré Nothing But The Wax, qui raconte les histoires des personnes noires et afrodescendantes.

C’était une belle expérience. Le projet naissait, j’avais l’impression d’accompagner ce flot de créations. Cette période m’a également permis de découvrir ce qui me plaisait en termes de lectures, d’histoires à raconter. Ca pouvait aller de l’interview d’une artiste londonienne noire au vécu d’une réfugiée ougandaise lesbienne.

Ce stage m’a permis de prendre conscience de la réalité du journalisme dans la capitale et de rencontrer Anthony qui écrivait également bénévolement pour le média, avec qui j’ai créé quelques mois plus tard le podcast Extimité.

C’était l’avènement du podcast, il y avait beaucoup de contenus tenus par des féministes blanches qui relataient selon moi un féminisme blanc mais où il manquait nos voix à l’intersection. Il manquait nos intimes éminemment politiques, inscrits dans le social. 

En parallèle, je rédigeais des piges pour Komitid, un média LGBTQ, Paulette, Censored Magazine….

RTM | Quels conseils aurais-tu aimer recevoir à tes débuts dans ce milieu ?   

Douce | Avec le recul, j’ai pris conscience du poids du réseau. Faire une école de journalisme permet, lors de ses différents stages, de se construire un réseau, de se faire des contacts, qui permettront potentiellement de décrocher un CDD puis peut-être un CDI. En tant que journaliste/pigiste qui vient d’une formation universitaire, et étant auto-didacte, je vois la différence.

Ma chance a été de pouvoir compter financièrement, à mes débuts sur Paris, sur la personne avec qui j’étais en couple. Elle m’exemptait de pas mal de frais, ce qui me permettait de prendre le temps de participer à des tables rondes, des conférences sur le féminisme, l’afroféminisme, des évènements et de construire ce dit réseau.

A Paris, il faut pouvoir se montrer. Il faut avoir fait quelque chose. Être journaliste, c’est bien, mais avoir un livre à présenter, un podcast, un blog, un compte, c’est mieux.

Le journalisme, malgré tout l’aspect virtuel est un métier du réel. C’est d’ailleurs pour cela que les portes sont si difficiles à faire exploser pour les femmes noires, car nous n’appartenons pas à ces cercles, on ne nous voit pas, on ne se souvient pas de nous parce qu’on n’existe pas dans leurs têtes. Il faut donc s’imposer.

Grâce au podcast, j’ai commencé à être inviter à des tables rondes pour parler des féminismes et petit à petit j’ai pu me faire une expertise sur certains sujets.

Il faut être multitâche pour s’en sortir en tant que journaliste sur Paris. Les travers de notre société capitaliste…

RTM | Comment survis-tu à cette réalité du métier ?

Douce | Pendant un an et demi, je n’ai évidemment pas pu vivre uniquement du journalisme. Comme je te le disais, au début j’étais en couple avec une personne qui m’allégeait financièrement. Au bout d’un moment, j’en ai eu un peu marre. J’ai trouvé un CDI en tant qu’hôtesse à plein temps. C’était une période compliquée, car je pensais avoir le temps d’écrire en parallèle, mais j’étais exténuée. Cependant financièrement, j’ai pu souffler un peu, sortir de Paris, prendre des vacances. Au bout d’un an, j’ai pu être au chômage, toucher mes allocations et augmenter le rythme des piges.

Le monde des pigistes est assez particulier. On sent qu’on est la dernière roue du carrosse et en même temps c’est grâce à nous que les rédactions trouvent des sujets originaux, des angles spécifiques. Mais la reconnaissance ne suit pas. On se voit régulièrement payé en facture et non en pige salariale, ce qui ne permet pas de déclarer ses piges et par exemple de prétendre à une carte de presse.

C’est compliqué. On apprend à jongler.

J’ai pu néanmoins dégager du temps pour le podcast. Nous avons organisé un festival en auto-financement, participé à des tables rondes. Il y a un équilibre à trouver entre utiliser le système et ne pas se laisser bouffer.

RTM | Peut-on parler d’évolution ou d’amélioration dans ce secteur ? 

Douce | Le métier de journaliste en lui-même est bouché de chez bouché. Il y a les vieux dinosaures qui restent à leurs places et qui ne veulent pas bouger. En tant que personnes racisées, nous faisons partie de la niche de la niche. Nous sommes loin de ce plafond de verre qu’on ne cesse de nous vendre. Nous avons les pieds bien ancrés au sol.

Le problème de la représentation en France, c’est que l’on reste dans l’exception, dans l’exceptionnalité: une Rokhaya Diallo, un Harry Roselmack, une Kareen Guiock. L’exceptionnalité essentialise nos vécues. Une seule femme noire ne peut parler du vécu pluriel des femmes noires et de la complexité de nos identités.

Quelle représentation nous propose-t-on en France ? Rokhaya Diallo par exemple est contactée pour discuter de tous les sujets qui touchent les noir.es. Elle a une vision très journalistique qui aurait également besoin d’être nuancé en termes de radicalité par exemple. Toutes les femmes noires ne pensent pas comme elles. Il y a pas mal de choses à décortiquer.

Les médias ne font pas le travail de déconstruction nécessaire sur ce qu’est le racisme, ce que devrait être l’anti-racisme et comment écrire des articles anti-racistes. Des écoles de journalismes aux rédactions, il nous faut des personnes à des postes clés pour prendre les bonnes décisions.

Il nous faudrait les moyens d’agir plutôt que de réagir. Mais c’est très compliqué. On nous dénie le pouvoir de nous rassembler, de mener des actions, d’avoir une puissance collective sous couvert du danger du communautarisme.

Nos identités sont perçues comme les ennemies de l’intérieur. Le chemin est encore long.

RTM | Parlons du podcast Extimité que vous avez lancé avec ton collaborateur. Que souhaitiez vous raconter ?

Douce | Le podcast a été lancé le 30 septembre 2018 en collaboration avec Anthony Vincent. J’avais envie de lancer ce projet de podcast pour raconter nos voix silenciées, qui sont généralement prises comme un bloc monolithique, sans aucune nuance. Je souhaitais qu’à travers l’intime, à travers la voix, à travers le « je », qu’on comprenne à quel point c’est très personnel de vivre des discriminations raciales, queerphobes, validistes etc. pour montrer à quel point, dans leur singularité, ces vécus  dépassent la sphère individuelle.

Anthony a eu l’idée ce mot d’Extimité, le fait de rendre visible une partie de sa vie intime pour mieux l’appréhender et la comprendre. Extimité, ce sont des histoires parfois dures, complexes, prenantes qui au final rassemblent malgré les différences qu’ils semblent y avoir au départ.

Ces récits-là, on ne les entend pas à la radio ou dans les médias, forcément ça secoue. Mais on le fait par nous, pour nous. Une sorte de soin collectif des nôtres.

Podcast – Extimité

RTM | Comment réussissez-vous justement à intégrer de la complexité à nos expériences ?

Douce | Anthony est un mec cis noir gay et queer dont les parents sont martiniquais. Je suis une femme noire queer. Nos vies, nos vécus font que nous avons un regard différent. Parce que l’on part toujours de soi. En lançant ce podcast nous nous sommes demandé.e.s s’il existait des contenus qui parlaient des identités plurielles des personnes LGBTQI.

Quand tu es issue de la marge, c’est facile de prêter l’oreille aux angles morts des personnes discriminées. Les sujets sur le handicap, la transidentité, sont des sujets pour lesquels on s’engage à écrire en tant que journaliste. C’était l’occasion de les incorporer.

On fait simplement ce qui est une des premières démarches dans le militantisme, on tend le micro. On écoute, on s’intéresse à ce que l’autre dit, sans chercher du sensationnalisme. Ecouter pour simplement comprendre la complexité des personnes qui sont expertes d’un vécu, d’une discrimination ou de leur thérapie.  

Je ne sais pas si on peut considérer ça comme une sorte de militantisme diffus que de s’imposer et donner la voix, mais je pense que c’est une première étape, dire nous sommes des personnes individuelles mais regardez nos histoires sont collectives. A partir de là, on peut se regrouper en collectif et craignez nous en fait. Parce que collectivement, nous avons une force.

RTM | Quel est ton rapport à la notion d’universalisme ?

Douce | Je rejette l’universalisme français, l’universalisme du pays des lumières éteintes où l’on nous parle de la République une et indivisible, qui n’accepte pas et ne regarde pas en face son passé colonial, son histoire esclavagiste.

Cet universalisme là ne sert qu’à lisser, gommer, assujettir les personnes racisées. L’universalisme français est né d’un voyeurisme, d’une volonté d’assujettir les autres peuples, de les coloniser. Une volonté jamais égalée dans l’histoire de l’humanité vu qu’elle s’est réduite par des siècles et des siècles de servitude, de morts, d’éradication culturelle, cultuelle. Un universalisme violent sous couvert d’un racisme dit angélique de civilisation.

En tant que personne racisée, nous avons droit à l’universel. Un universel qui pour moi est un lieu de puissance et de flamboyance.

En tant que femme noire, en tant que femme queer, je me dis, et j’écris pour les personnes qui sont concernées par mon histoire. Je n’ai pas besoin de m’adresser à la majorité, car à la marge nous avons notre universel. Nous nous devons de faire de notre marginalité le centre. L’anti-racisme est un universalisme comme dirait Madame Fatou Niang maîtresse de conférence franco-sénégalaise, réalisatrice du film Mariannes Noires.

RTM | Tu te définis comme une militante afroféministe. Quel est ton rapport au militantisme ?

Douce | Avant, j’étais une journaliste engagée du fait des sujets que j’écrivais. Je pensais qu’il s’agissait de militantisme.

Plus j’évolue dans mon engagement, plus mon rapport au militantisme évolue également. Le militantisme pour moi aujourd’hui, c’est le collectif,  c’est faire communauté, dans le but de créer des communes ponctuelles ou durables. Des lieux de transmission, d’actions, d’entraide dans le monde réel. C’est donner un peu de sa force vive à un collectif et travailler sur un projet à court, moyen ou long terme.

Avec les réseaux sociaux, tout le monde se croit militant en repostant, en alertant, en vulgarisant. C’est très bien, mais ce n’est pas suffisant.

C’est quand il y a des manifestations, quand Assa Traoré nous rassemble le 2 puis le 13 juin 2020 qu’il y a des choses qui se passent.

En Martinique, on déboulonne des statues, c’est du concret, c’est du réel. Il y a un besoin de ramener les choses dans la réalité, sur le terrain.

Et le terrain peut être multiple. Organiser une manifestation, préparer des sandwichs, faire des maraudes, être assistantes sociales, éducateurs sociaux, c’est du terrain. C’est aussi tous ces métiers dévaluées et précaires dont on ne parle pas.

Il y a un besoin de déconstruire ce militantisme virtuel, qui alimente aussi une précarisation des personnes qui le font. C’est un réel travail journalistique que l’on consomme gratuitement, en toute banalité.

RTM | Tu considères qu’il ne peut y avoir de militantisme virtuel ?

Douce | Franchement non. Sur les réseaux sociaux, il peut y avoir des prises de consciences digitales, de l’information qui circule, de la vulgarisation  mais on reste dans un entre-soi. C’est de l’engagement, pas du militantisme. Il faut des répercussions physiques, que les lignes bougent. La CAAN par exemple, c’est un collectif militant présent sur les réseaux sociaux et qui mène des actions concrètes sur le terrain en faveur des migrants par exemple, avec les collectes.

Nous avons besoin d’un « nous ». C’est le « nous » qui est la force. On nous fait croire via nos profils individuels qu’il y a un changement qui s’opère, mais c’est du vent. Pour ma part, j’ai rejoins le collectif de Collage Afrofeministe et de MWASI récemment, car j’ai besoin de structure politique qui agisse directement. Le fait de s’allier enlève un peu le blues du « à quoi bon ».

RTM | D’un point de vue santé mentale, comment parviens-tu à garder le cap ?

Douce | Il y a un an, je suis partie au Sénégal avec une amie. Pendant ce séjour, on a vécu des choses très fortes et intenses. Mon amie a retrouvé un père qu’elle ne connaissait pas. J’ai fait des rencontres qui ont bouleversé ma vie. Et à mon retour, j’ai eu une sorte de nuit noire de l’âme. Je me suis revue, j’ai vu tous les écueils, tous les masques que je portais pour survivre et je me suis effondrée. Je ne sais pas si c’était une dépression, mais c’était un moment très dur.

Je me suis dit « tu es une femme noire, mais tu as le droit de ne plus en pouvoir, de te retrancher, de ne plus vouloir voir personne, de ne plus être sur tous les fronts » et ça a été très bénéfique. La dernière étape, ça va être une thérapie avec une professionnelle. Je sais désormais quand mettre un frein, quand mettre un frein aux réseaux sociaux, pour pouvoir me recentrer par exemple. Je prends le temps d’appeler ma mère, ma famille, je m’autorise une forme d’insouciance.

Il s’agit de petites stratégies comme celles que je mets en place en toute conscience. Le fait d’y penser, ça te permet d’avoir les bons réflexes. Prendre le temps de lire des romans et pas que des essais purs et durs. Ecouter de la musique d’artiste noir.e, queer, lire des articles sur Medium, respirer, écrire, beaucoup.

Je m’envoie de l’amour, je me « date » et ça fait du bien.

RTM | SI tu devais proposer 3 contenus qui te font du bien ?

Douce | Les poèmes de Audre Lorde, qui sont d’une telle musicalité. Ils me coupent le souffle.

Les vidéos Colors, que tu écoutes ou que tu regardes les artistes passés, il y a un truc, une aura, je me sens vraiment connectée. Les récits qu’ils proposent, ça résonnent en moi.

Et le fait de se retrouver en sororité. C’est quelque chose qui a révolutionné mon rapport à Paris. Il fut un temps où je pensais retourner à Nantes mais le fait d’avoir rencontré les meufs de Collage Afrofeministe et puis maintenant MWASI, il y a une vraie solidarité qui se met en place. Être en sororité, entourée de personnes flamboyantes, être en osmose, ça fait du bien et c’est 100% thérapeutique.

RTM | Qu’est-ce qui fait de Douce une Reine Des Temps Modernes ?

Douce | Ça a été très progressif. J’ai vu qu’il y avait une couronne quelque part, là-bas, derrière moi qui trainait par terre. Je ne la regardais pas trop. Puis j’ai réalisé que j’avais tellement de choses à dire, à faire, à montrer. J’ai décidé de la ramasser en toute honnêteté, sans filtre, sans masque. Je pense qu’il est là le côté royal des femmes noires. On passe par plein d’étapes dans notre vie, mais cette couronne-là, qui n’est pas une couronne d’orgueil, est juste une lumière que l’on porte en nous et que l’on accepte de dévoiler.

Il y a de la place pour tout le monde, et c’est ce que je retrouve dans les milieux engagés solidaires. On connaît notre valeur malgré ce que l’on dit de nous. J’ai une force de reine grâce à toutes ces femmes noires lumineuses.

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