Laura Nsafou (Auteure) – “La question du « Care » des femmes noires et des femmes militantes en générale est très importante. “

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Aujourd’hui je vous propose de découvrir une jeune blogeuse que l’on surnomme Mrs Roots. Connue sur la toile pour son blog littéraire et son engagement afro féministe, Laura est aussi une jeune écrivaine qui s’apprête à sortir deux ouvrages au cours de l’année 2017.

Je vous propose aujourd’hui de découvrir le parcours d’une jeune femme pleine de conviction. Laura, de son vrai nom, est notre Reine Des Temps Modernes de la semaine.

Wendie – Qui se cache derrière la blogueuse afroféministe Mrs Roots ?

Laura – Je m’appelle Laura. Je suis originaire d’une ville dans le Loiret. Je suis issue d’une famille moitié martiniquaise, moitié congolaise. Depuis toute petite, je baigne dans un univers littéraire. J’ai grandi dans une famille où mes oncles débattaient dans la même pièce sur des thématiques liées à l’Afrique. Donc j’ai très vite été sensibilisée aux sujets liés à la colonisation ou au racisme … Un enseignement qui venait combler le manque d’informations que l’on peut avoir sur ces thématiques dans les sphères scolaires.

Je pense que c’est d’ailleurs grâce à cet environnement familial que j’ai très vite pris goût à la lecture et à l’écriture. Car j’ai commencé à écrire mes premières histoires dès l’âge de 12 ans.

A mes 20 ans, au cours de ma licence, je suis partie vivre 1 an en Finlande. C’était après le débat sur l’identité nationale, les manifestations de la Manif pour tous. C’était une période durant laquelle je me sentais blasée par le climat politique général. Je venais d’une ville majoritairement blanche et bourge, où j’avais été la seule noire de ma classe pendant plusieurs années. J’avais vraiment envie de prendre l’air et de voir autre chose.

Ce voyage a été un vrai déclic. C’était la première fois que lorsque l’on me demandait « D’où viens-tu ? » et que je répondais « De France ». On me répondait simplement « Ah ok ». Alors que je m’attendais toujours à la fameuse question « Non, mais vraiment ? »

C’est une expérience très libératrice dans le sens où je me suis retrouvée dans un pays qui ne remettait pas en question mon identité.

Wendie – C’est d’ailleurs suite à ce séjour en Finlande que tu lances ton blog Mrs Roots. Quelle a été la genèse de ce blog ?

Laura – Lors de mon séjour en Finlande, j’ai fait la connaissance d’une militante congo-belge, Po Lomami, qui m’a initié au militantisme. J’ai découvert les termes de transphobie, d’intersectionnalité. J’ai été sensibilisée au mouvement des LGBT.

A mon retour en France, nous étions en pleines manifestations contre le mariage homosexuel. Je me suis rendue compte que l’on était sans cesse dans le rejet et qu’on aimait bien, ici, descendre dans les rues pour décider de qui était assez français ou non en fonction de sa religion, de sa couleur de peau ou de son orientation sexuelle. Cette année à l’étranger m’a confirmé qu’en France, certaines de nos valeurs étaient complètement archaïque et « excluantes ».

C’est à ce moment que j’ai commencé à m’intéresser de plus en plus à la littérature afro. Le déclic, je l’ai eu en lisant l’ouvrage « Tar Baby » de Toni Morrison. C’était la première fois qu’une héroïne d’un livre m’était si familière. Cela m’a frappé car j’avais fait des études de lettres et pourtant tous les livres que j’avais eu à lire ne me proposaient que des héros ou héroïnes blanc(he)s.

J’ai décidé de lancer mon blog Mrs Roots à cette période. Au départ, c’était un peu mon journal intime qui me permettait de décortiquer et de mettre à plat mon identité au fil de mes lectures. Puis naturellement, en découvrant des auteurs tels que Frantz Fanon ou Leonora Miano, j’ai commencé à écrire des critiques d’œuvres.

Wendie – Comment es-tu passée de blogueuse littéraire à blogueuse littéraire afro féministe ?

Laura – Ça s’est fait progressivement. Suite aux conseils d’une amie « This is Keyemis » , je me suis inscrite sur Twitter. Elle m’avait dit qu’il y avait des conversations intéressantes autour de ces thématiques. C’est comme cela que j’ai découvert le premier blog afroféministe français « Mrs Dreydful ». Ça a été une vraie révélation.

Je découvrais un mouvement qui ne me demandait pas de choisir ma lutte. C’est avec ce blog que je découvre qu’il y a un terme pour nommer mon expérience et que je redécouvre ces notions d’intersectionnalité qui souligne l’importance de toutes nos identités et leurs interactions.

J’ai commencé à échanger avec elle et avec les autres femmes afroféministes de la toile. J’ai ensuite voulu partir à leur rencontre. Je prenais mon sac à dos et je partais en covoiturage leur rendre visite l’intant d’un week-end. Quand tu grandis dans une ville où tu vois très peu de noirs et qu’il n’y a personne qui te ressemble, rencontrer des jeunes femmes qui ont les mêmes expériences, les mêmes références et les mêmes souffrances que toi, c’est une véritable explosion !

Wendie – Quels ont été les événements qui t’on poussé à devenir engagée ?

Laura – A l’époque de l’affaire autour de l’exposition « Exhibit B » au 104 à Saint-Denis en 2014. Un jour, une jeune femme afro-britannique me contacte et m’informe de l’existence de cette exposition qui faisait référence aux Zoos Humains de l’époque coloniale en France notamment. Elle m’envoie le lien de l’expo et là je n’en croyais pas mes yeux.

Finalement l’exposition « Exhibit B » débarque en France et là, deuxième claque, tous les médias qui en parlaient, ne voyaient absolument pas le problème de cette « performance ». Les médias, les institutions validaient et légitimaient une exposition mettant en avant des femmes et des hommes noirs enchaînés que l’on réduisait au statut d’animal. Personne ne voyait le problème. On nous faisait comprendre que nous n’arrivions pas à saisir « l’art ».

Po Lomami et moi même, nous avons rédigé un article pour expliquer en quoi cette exposition était raciste. Nous avons aussi été manifester à Saint Denis devant le lieu de l’exposition, et une fois de plus la presse, les médias, qu’ils soient de Gauche ou de Droite, nous ont traité avec un racisme, un sexisme et un mépris de classe indéniable.

C’est à ce moment que mon blog s’est posé en porte-à-faux, que j’ai décidé de prendre la parole et de ne plus me taire.

Wendie – Te considères tu comme militante aujourd’hui ?

Laura – J’ai très peur de ce mot parce que tu n’es jamais assez militante aux yeux des autres. Tu ne seras jamais assez militante comparée à « Angela Davis » par exemple. Je ne sais plus qui disait cela mais il y a une forme de militance de la performance.

Il y a différentes formes de militantisme notamment avec l’avènement des réseaux sociaux. On a souvent tendance à dévaloriser ce militantisme là, mais à mes yeux il s’agit là d’un faux débat. On peut prendre l’exemple de la réalisatrice Amandine Gay qui a réussi a approcher des femmes afro féministes grâce à un tweet et qui aujourd’hui, après plusieurs mois et années de batailles, s’apprête à sortir son film « Ouvrir la voix » en salle. Le début s’est fait sur les réseaux sociaux. Pour moi tous les militantismes sont complémentaires.

En ce qui me concerne je me considère plutôt comme une afroféministe engagée.

Wendie – En parlant de ce « militantisme digital », comment fais-tu face aux réponses ou retours qui sont parfois très violents, agressifs ou encore racistes ?

Laura – La question du « Care » des femmes noires et des femmes militantes en générale est très importante. Tant que l’on a pas établi sa routine « Care » on ne peut pas envisager d’être engagée sur le long terme. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Ms Dreyful a fermé son blog et a quitté les réseaux sociaux, suite aux harcèlements des personnes de Gauche notamment sur les réseaux.

J’ai décidé de me créer des espaces de « répit ». Au début j’étais vraiment 24h/24 sur les réseaux sociaux et Twitter notamment, mais maintenant je n’y vais quasiment plus le week-end. J’essaye aussi de rencontrer les personnes dans la vraie vie, on essaye un peu de sortir de la Twittosphere pour se voir dans la vraie vie . C’est important de s’autoriser une « Routine Care ».

Wendie – Si on parlait de tes projets pour cette année 2017. Tu as deux beaux projets en préparation. Peux-tu nous en dire plus ?

Laura – Oui bien sûr. Je m’apprête à sortir un roman aux éditions Synapses le 20 Mars prochain qui s’intitule « A main nue ». C’est un roman que j’ai écrit il y a 4 ans. C’est l’histoire d’une jeune femme afro-suédoise haptophobe. L’haptophobie, c’est la peur de toucher et d’être touchée par les autres.

Une maladie qui parasite ses relations amicales et sentimentales.

Un jour, une de ses amies veut lui présenter une de ses connaissances. Le jour où ils se rencontrent, elle fait tomber ses clefs, et un passant a le malheur de lui toucher l’épaule pour le lui signaler. Et là, elle fait une crise devant la connaissance en question. Elle est pétrifiée et surtout elle a honte devant cette connaissance justement.

Il se trouve que la connaissance en question est un danseur allemand qui lui proposera, après avoir compris sa crise, de se réapproprier son corps à travers la danse. C’est un roman qui aborde des thématiques assez transversales.

Le second projet est un livre pour enfant aux éditions Bilibok qui s’adresse aux petites filles noires et qui traite de leurs cheveux. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant. Si ce n’est que l’illustratrice a déjà commencé a dessiner et designer les personnages.

Ce qui est intéressant dans cette aventure, c’est que mes deux éditrices me suivaient sur les réseaux sociaux et connaissent les thématiques qui m’intéressent. Si j’écris un ouvrage, on y verra forcement des femmes noires au niveau de l’illustration, dans les histoires, sur la couverture… Il faut qu’il y ait de la mélanine. C’était intéressant de pouvoir être relativement libre à ce niveau là.

Wendie – Cette expérience dans l’édition te permet d’avoir un peu de recul sur ce secteur. Pourquoi est-ce difficile selon toi pour les auteur(e)s issu(e)s des minorités ?

Laura – Je pense qu’il y a un vrai retard dans le secteur littéraire français. Lorsque tu es un artiste ou un auteur noir, on attend forcement de toi que tu parles des Antilles ou de l’Afrique, tu ne peux pas parler d’expériences, d’expériences de vie. Il y a peu d’auteur(e)s qui ont cette liberté, je trouve. Pourtant, il y a une littérature afropéenne qui est prête et qui ne demande qu’à être mise sur le devant de la scène. Mais les portes sont encore fermées.

Les opportunités que j’ai eues, je les ai eues grâce à mon blog, aux rencontres que j’ai faites et surtout au culot. Il ne faut pas avoir peur d’aller frapper aux portes.

Les livres que je sors sont aussi une critique du secteur de l’édition qui est complètement sclérosé. Cependant, on commence petit à petit à avoir un intérêt pour de nouveaux auteurs mais c’est encore timide. Et heureusement quelques éditeurs qui tentent le pari d’éditer de jeunes auteur(e)s. C’est d’ailleurs le cas de l’éditrice de Bilibok qui se soucie de proposer une littérature jeunesse diverisifiée.

Wendie – Quels conseils donnerais-tu à celles et ceux qui souhaiteraient se lancer dans l’aventure ?

Laura – Je leur dirais qu’il faut être patient et qu’il ne faut pas hésiter à se mettre en avant. Il faut aussi se faire confiance. C’est normal de ne pas se sentir légitime dans sa démarche, mais il ne faut pas hésiter à tenter. Rien n’est jamais parfait.

Le monde de l’édition étant ce qu’il est, il faut essayer de rencontrer les bonnes personnes mais aussi faire comprendre à son entourage que pour avoir une littérature différente, il faut acheter différemment. La notion de lecteur averti est encore trop timide en France.

Il faut savoir changer ses habitudes, ne pas toujours acheter ses bouquins sur Amazon, aller acheter dans la librairie du coin ou chez l’éditeur directement. Ce sont ces petites actions qui permettraient à des petites maisons d’éditions, qui proposent autre chose, de continuer d’exister.

Wendie – Et qu’est-ce que l’on peut te souhaiter pour les mois à venir?

Laura – Je souhaite évidemment que mes projets littéraires plaisent. De la réussite aussi sur le plan professionnel. J’aimerais faire en sorte que mes activités non rémunérées me rapportent quelque chose.

2017 étant très chargée, je pense que c’est déjà un bon début :).

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