Qu’est-ce qu’être une femme noire dans la Tech en France et en Angleterre ? Quelles sont les actions à mener pour réduire le manque de représentation mais également le manque d’opportunités pour les personnes racisées dans ce secteur ? Deux jeunes femmes, Awa et Tolúlọpẹ́, ont décidé de lancer une initiative et ainsi tenter de proposer une solution. Elles sont les fondatrices du festival Akwaaba Fest, premier festival Afro Tech à Paris. Elles sont nos QUEENSPIRATION de la semaine.

RTM | Bonjour Awa. Bonjour Tolúlọpẹ́. Nous sommes ravies de vous accueillir sur RTM. Commençons par les présentations.

Tolúlọpẹ́ | Bonjour, je m’appelle Tolúlọpẹ́. J’ai 22 ans. Je suis basée à Londres. Je suis anglaise d’origine nigérianne. J’ai une double licence en Math et info. Je suis passionnée de langues et informatiques, plus précisément le traitement automatique des langues naturelles. Je m’intéresse également aux questions de diversité dans le secteur des Nouvelles Technologies, ce qui m’a poussé à fonder l’association Corders of colour, à Londres, qui permet aux jeunes racisés d’acquérir gratuitement des compétences numériques. 

Awa | Bonjour, je suis Awa. Je suis sénégalaise. Je suis installée en France depuis une dizaine d’années maintenant. J’évolue dans le secteur de la Tech également. Je travaille dans l’administration où j’y traite des sujets liés à l’innovation. J’anime deux podcasts, Tête à Tech qui parle naturellement de Tech, et The Spot, qui propose des interviews. Je fais partie de l’association Diversidays qui milite pour plus de diversité dans la Tech et avec Tolúlọpẹ́, nous avons créé l’association Akwaaba Fest, qui souhaite organiser le premier festival AfroTech à Paris.

RTM | Comment vous êtes-vous rencontrées ?

Awa | En 2019, je devais participer à l’évènement AfroTech Fest de Londres. Je leur avais proposé une intervention qui avait été accepté par l’équipe. N’étant pas française, pour des raisons de Visa, j’ai dû annuler mon séjour. Quelques temps après, Tolúlọpẹ́ partageait un tweet demandant pourquoi il n’y avait pas d’évènements équivalent à Paris. L’équipe d’AfroTech Fest nous a mis en contact. Nous nous sommes vues à peine trois fois. Il ne nous en fallait pas plus. C’était le début de l’aventure.

“Les gros évènements parisiens de la Tech se ressemblent beaucoup. Il y a très peu de diversité.”

– Awa

RTM | Vous évoluez toutes les deux dans la Tech dans des pays différents.  Tolúlọpẹ́ en Angleterre et toi Awa, à Paris. Quelle est et a été votre expérience en tant que femme noire dans ce secteur ?

Awa | Le monde de la Tech ressemble à beaucoup d’autres secteurs en France. Le manque de diversité y est flagrant. C’est un secteur très masculin et très blanc. Le système des Grandes Ecoles rend ce secteur encore plus élitiste, car bien souvent ceux et celles qui travaillent dans ce milieu sont passés par de grandes écoles et ont des diplômes d’ingénieurs. La culture des bootcamp et autres programmes courts et rapides ne sont pas encore démocratisés ici. Tu retrouves souvent les mêmes personnes dans les évènements, que ce soit au niveau des intervenants ou du public. En tant que femme noire qui participe à beaucoup d’évènements Tech à Paris, je vois rarement des personnes qui me ressemblent. Et pourtant ces personnes là existent, notamment en entreprises. Beaucoup de développeurs viennent du Mahgreb, de l’Afrique subsaharienne ou des Caraïbes. Mais on ne les retrouve malheureusement pas dans les évènements de networking, les conférences, les meet-ups. Ces évènements sont pourtant importants car ils permettent de construire sa carrière, de se créer un réseau.

Etre une femme noire dans la Tech à Paris, c’est se voir demander si tu es la serveuse ou la femme de ménage à un événement. Personne ne te demande si tu es là pour intervenir sur une thématique ou si tu es simplement intéressée par le sujet.

Tolúlọpẹ́ | Etant jeune diplômée, je parlerais de mon expérience en tant qu’étudiante noire en Angleterre. Dans le monde universitaire et scolaire, ce manque de diversité est également présent. Sur une promotion de 260 étudiants en Informatique, j’étais la seule noire. Pendant mon Master en Math Info, nous étions 4. Ces années étudiantes n’ont pas été simple pour moi, je ne me sentais pas à l’aise, et pas intégrée. Je me suis beaucoup questionnée, car nous avions pourtant les mêmes centres d’intérêts mais les étudiants ne m’adressaient pas la parole. Pareil pendant les hackatons, que j’ai commencé à fréquenter il y a 5/6ans. J’ai vécu cette expérience de l’inconnu qui te demande si tu es la femme de ménage. Depuis que j’ai créé l’association Coders of Colour, j’ai trouvé ma place, j’évolue au sein d’une communauté de jeunes noir.es intéressé.es par la Tech et je m’y sens bien. Bizarrement, l’expérience scolaire que j’ai le mieux vécue est mon année Erasmus à Paris, où j’ai la chance d’évoluer avec des profs qui ne prêtaient pas attention à ma couleur ou à mon genre. En termes d’éducation, j’ai préféré Paris, je trouve cette ville plus cosmopolite.

“Certaines entreprises permettent même de prendre 10 à 20% de son temps pour se former sur de nouvelles compétences.”

– Tolúlọpẹ́

RTM | C’est intéressant car dans l’imaginaire français, l’Angleterre est le pays de la diversité et de l’intégration des personnes racisées.

Tolúlọpẹ́ | Je pense qu’il est important de préciser qu’il s’agit d’une expérience particulière, à savoir une expérience estudiantine, que peu de noirs, malheureusement ont la chance de poursuivre pour diverses raisons économiques. La scène Tech à Londres par exemple est géniale. Il y a énormément d’associations, de meet-ups, d’activités pour les personnes noires et racisées, tels que Girls in Tech, ou encore Coding Black Female. Il y a énormément d’espace safe où l’on peut s’exprimer et se sentir à l’aise. L’expérience étudiante est complètement différente.

RTM | Ensemble, vous avez décidé de lancer l’initiative Akwaaba Fest. Pouvez-vous nous présenter le projet ?

Awa | Akwaaba Fest, c’est une association qui s’est donnée pour mission de créer un moment de rencontres entre les professionnel.les de la Tech noires de France et d’Europe continentale. Comme le disait Tolúlọpẹ́, les anglais n’ont pas besoin de nous. Akwaaba Fest, c’est le premier festival Afro Tech à Paris. Un espace SAFE de rencontre et d’échange.

C’est un festival qui se veut inclusif. Les billets seront les moins chers possible, d’où notre recherche intensive de sponsor. Pourquoi ? Car bien souvent les évènements Tech sont très chers. Quand on n’a pas une entreprise prête à nous financer notre place, on réduit fortement le taux de participation. L’inclusion c’est aussi permettre aux personnes sourdes et malentendantes de participer, en essayant le plus possibles d’intégrer des conférences et des workshops interprétés en langue des signes. L’événement aura également lieu en week-end afin de permettre au maximum de personnes de se déplacer.

Il sera également bilingue.

Ce festival, c’est un miroir de nos valeurs. Nous nous disons féministe et intersectionnelle, le festival le sera également.

RTM | Pourquoi est-ce important d’avoir ce type d’événement pour la communauté ?

Awa | Les évènements TECH sont hyper importants.  On y découvre de nouveaux outils, de nouveaux produits, de nouvelles notions, de nouvelles technologies, de nouvelles façons de travailler, networker. On peut y rencontrer des personnes très influentes dans le milieu. C’est aussi l’occasion pour celles et ceux qui le souhaitent de monter sur scène et de montrer leurs expertises, de partager leurs connaissances, les projets sur lesquels ils travaillent. C’est l’occasion de se mettre en avant, de se faire recruter par une boîte, et de trouver de potentiels investissements. C’est tout aussi enrichissant pour les participants que les speakers. Les gros évènements parisiens de la Tech se ressemblent beaucoup. Il y a très peu de diversité.

Tolúlọpẹ́ | Ayant grandi avec les nouvelles technologies, j’ai pu voir l’importance des évènements Tech tout au long de mon parcours. Dès 16 ans, mes parents me laissaient participer à mes premiers hackatons. J’avais la chance d’avoir accès à Internet et c’est ce qui m’a permis d’apprendre à coder. La diversité et l’égalité dans la Tech sont nécessaires, et ça passe également par ces initiatives. 

Awa | Je rajouterai également que Paris est une ville au rayonnement international, qui valorise depuis quelques années la FrenchTech. Cette promotion du secteur des nouvelles technologies, ne peut se faire sans intégrer ces questions de diversité.  Les programmes et les initiatives existantes ne laissent que peu de places et d’opportunités aux personnes racisées.

Toutes les études montrent que ces secteurs sont problématiques, qu’il y a un problème. Il peut y avoir des problèmes, mais il faut être orienté solutions.

Les festivals permettent de créer des moments de rencontres et de discussions autour d’une thématique commune sans le côté condescendant. On ne dit pas que ce festival est LA solution. Mais il est une proposition.

Toutes les initiatives sont nécessaires. FANMTECH, c’est nécessaire. Noire et Tech ou encore les écoles Hello Ada sont nécessaires. Il nous faut autant d’initiatives que de noires dans la Tech J.

RTM | Le secteur des nouvelles technologies peut-il être un vecteur d’émancipation notamment pour les femmes noires ?

Tolúlọpẹ́ | Si je prends mon exemple, j’ai commencé à coder à l’âge de 13 ans dans ma chambre. Puis à 16 ans, j’ai eu la chance de participer à mes premiers hackatons. Avoir accès à un ordinateur et avoir des compétences numériques offrent aux femmes des opportunités économiques. L’autre avantage du web selon moi, est la possibilité de pouvoir rester anonyme si elles le souhaitent, de travailler depuis chez elle, et d’éviter certaines agressions liées au monde du travail notamment. Je suis qui je suis aujourd’hui grâce à mon accès à internet. Internet peut aider à changer de vie. On peut acquérir de nouvelles compétences, sans l’aide de professeur, en se plongeant dans l’immensité de ressources à disposition.

Awa | Généralement, les postes dans la Tech offrent des salaires plus intéressant que la moyenne. Bien qu’on lui reproche son racisme, sexisme et autres discriminations, le secteur de la Tech offre des opportunités financières et économiques non négligeables. Donc oui la Tech offre des opportunités, mais essentiellement pour les personnes évoluant dans les pays occidentaux. Je considère que la Tech, c’est aussi les micros-travailleurs, ces personnes basées à Madagascar qui passent leur journée à nourrir les banques d’images par le tracking. Pour ces personnes là, la Tech n’est absolument pas émancipatrice. C’est une nouvelle forme de travail précaire. On forme les petites mains pour les pays développés.

C’est émancipateur pour les femmes noires, mais ça l’est surtout pour les femmes noires occidentales. Il y a un travail conséquent à faire en Afrique pour que ça le devienne. Il y a de plus en plus d’initiatives, notamment en Afrique de l’ouest, mais ça prend du temps.

RTM | Quels conseils donneriez-vous à une femme qui souhaite se lancer ou se reconvertir dans la Tech ?

Awa | Il ne faut pas avoir peur de ne pas savoir. L’avantage de la Tech est qu’il s’agit d’un des milieux les plus propices à l’auto-formation. Il y a 150 000 cours en lignes, bootcamp, vidéos sur Youtube, sites gratuits, moocs, qui permettent d’apprendre par soi-même. Ne pas savoir, ne doit pas être un frein. Personne ne sait tout. Beaucoup de développeurs ne savent pas grand chose, mais Internet c’est tout J. Il faut aussi se rappeler qu’il existe tout plein de communautés sur  Twitter, Insta qui existent si besoin de soutiens ou d’aides.

Tolúlọpẹ́ | Je suis d’accord avec Awa. Certaines entreprises permettent même de prendre 10 à 20% de son temps pour se former sur de nouvelles compétences. Le plus important c’est de croire en soi, rester concentré sur l’objectif final.

Awa | Je dirai également qu’il n’y a pas que le métier de développeurs dans la Tech. On n’est pas nécessairement obligé d’être technique. Si je prends mon exemple, je travaille dans la Tech en tant que chef de projet sur des projets d’innovation. Il y a tellement de métiers différents et hybrides. Et puis surtout il ne faut pas hésiter à poser des questions à des personnes déjà en poste, sur Linkedin notamment.

Tolúlọpẹ́ | Vos compétences existantes peuvent être utiles. La Tech est présente partout et dans tous les domaines.

RTM | Si vous deviez nous recommander vos 3 incontournables outils Tech ?

Tolúlọpẹ́ | Notion, un outil de productivité que j’utilise aussi bien pour ma vie personnelle que professionnelle. VScode, un éditeur de texte que j’utilise pour codage. Et Google Calendar, pour organiser ma vie, mes réunions, mes cours, mes rendez-vous et tout centraliser au même endroit.

Awa | Je commencerai par un site, Product Hunt sur lequel je vais tous les jours, pour découvrir les dernières sorties de produits ou outils. Je recommanderai également les vidéos d’Aral Balkan, un développeur et activiste de la protection des données personnelles sur Internet. C’est mon côté technocritique (sourire). Je finirai par deux outils, Privacy Badger et uBlock Origin qui permettent de bloquer toutes les publicités et cookies qui s’installeraient sur l’ordinateur. Internet sans publicité, c’est génial !

RTM | Qu’est-ce qui fait de chacune d’entre vous une Reine Des Temps Modernes ?

Tolúlọpẹ́ | Je dirai le fait de concrétiser mes idées, de leur permettre de passer du non-palpable au palpable. Akwaaba Fest en est l’exemple.

Awa | Je dirai le fait de réussir à jongler entre 150 000 projets différents, et qu’au final tous ces projets soient tournés avant tout vers l’autre.

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