Maëliza Seymour – “Les révolutions doivent passer par des zones d’incubations, que représentent les collectifs.”

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C’est la rentrée chez Reines Des Temps Modernes. Nous sommes ravies de vous retrouver pour une nouvelle saison de portraits de femmes noires inspirantes. On ne pouvait rêver mieux que de commencer par notre QUEENSPIRATION de la semaine, Maëliza Seymour. Entrepreneure, co-fondatrice de CodistAl, nommée parmi les 20 femmes de la TECH à suivre en France en 2020,

RTM | Bonjour Maëliza, nous sommes ravies de t’accueillir sur RTM. Pour commencer, peux-tu te présenter à nos lectrices et lecteurs ?  

Maëliza | Bonjour, je suis Maëliza Seymour. J’ai 28 ans. Je suis guadeloupéenne. Je suis la co-fondatrice de la société CodistAl, que je gère actuellement depuis la France hexagonale. Et je nourris l’envie de rentrer très rapidement en Guadeloupe (sourire).

RTM | Peux-tu revenir sur ton parcours ? Quelles sont les étapes de vie qui t’ont mené à la création de CodistAl ?

Maëliza | Je suis née, j’ai grandit et j’ai fait toutes mes études en Guadeloupe. A 16 ans, j’ai eu envie d’aller voir ailleurs. Je suis donc partie faire ma prépa à Paris, une prépa ingénieur, à la suite de laquelle j’ai commencé à travailler dans le secteur de la banque. Un parcours très typique : école d’ingénieur, poste de cadre… Sauf qu’à peine ai-je commencé à travailler, que la désillusion est arrivée. J’étais chef de projet informatique. Je débarquais fraichement dans un secteur vieillissant, où la moyenne d’âge avoisine les 45 ans, très blanc. J’étais une femme noire de 21 ans. Je vous laisse imaginer le choc. J’ai tenu quelques années, alors que je croyais encore à la fameuse intégration, assimilation.

Puis, il y a eu le documentaire : « Ouvrir la voix » d’Amandine Gay, et j’ai eu comme éveil. Ce documentaire m’a beaucoup touché  car il correspondait à une période également où je m’intéressais à l’indépendance économique, financière à l’autonomie politique et l’afroféminisme. Cette période coïncide avec une phase de murissement où j’ai pris conscience de ce que je voulais sur le long terme et notamment en termes d’actions collectives.

Tout en continuant à travailler dans le secteur de la banque, j’ai fait un double diplôme en Math appliqué et en 2018, j’ai quitté le secteur de la banque pour rejoindre un incubateur basé à Londres « Entrepreneur First ». Le concept : « tu n’as pas d’idée, pas de projet, tu veux entreprendre, rejoins-nous ».  J’ai postulé et j’ai été accepté. En 2018 donc, je monte ma première entreprise, entre la France et le Kenya, qui faisait de la réduction d’erreurs médicamenteuses, afin de fournir aux médecins kenyans une intelligence artificielle capable d’identifier toutes les prescriptions à risque. Malheureusement, nous n’avons pas réussi à lever l’argent nécessaire. J’ai dû fermer.

En 2019, après un break, ils m’ont proposé de revenir. Et c’est ainsi qu’est née cette seconde structure CodistAl toujours dans l’intelligence artificielle que j’ai fondé avec un co-fondateur.

RTM | Que propose cette structure CodistAl ?

Maëliza |  Nous faisons de la traduction automatique de code. Tout comme un Google Translate capable de traduire d’une langue à l’autre, nous traduisons de manière automatique du code informatique en français ou en anglais. La structure est jeune mais nous sommes très fières des résultats que nous parvenons à atteindre, des résultats qui n’ont jamais été atteint même par la recherche. Nous avons levé un premier tour de table de 100 000euros. Nous avons été nomminé par plusieurs journaux comme Challenges, ou les Echos. On continue le développement avec mon co-fondateur.

RTM | Quel est l’enjeu pour ce type de solution ?

Maëliza | Un développeur travaille généralement à partir d’un code existant. Faire évoluer ce code, le prendre en main, le modifier, nécessite une compréhension de ce qui est écrit. Pour cela, avoir une documentation qui est à jour est essentiel.  C’est comme si tu voulais monter un meuble Ikea sans notice, c’est possible mais tu vas galérer, si je te donne une notice avec des schémas, des numéros, tu iras beaucoup plus vite. C’est ça la documentation du code, c’est la notice du meuble Ikea. Dans ¾ des cas, cette documentation n’est pas présente. Avec CodistAl, nous créons des algorithmes, une intelligence artificielle qui crée automatiquement cette documentation pour permettre aux développeurs de réellement coder.  Quand tu es développeur, on te fait rêver pendant ta formation que tu vas coder, créer des choses, révolutionner le monde et finalement tu te retrouves concrètement en entreprise à devoir décrypter du code qui a des fois, 10 ans 20, 30 ans sans aucune aide. Des situations que mon co-fondateur et moi avons rencontré lors de nos parcours respectifs, moi dans le secteur bancaire et lui en ayant travaillé chez Google, par exemple.

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RTM | Comment vous êtes vous rencontrés avec ton co-fondateur ?

Maëliza | Par le biais de l’incubateur. Mon co-fondateur, est un indien de 40 ans qui habite dans le 13ème. Je suis une guadeloupéenne de 27 ans qui habitait Montreuil. Il y avait peu de chance au départ que l’on se croise. Nous nous sommes rencontrés via l’incubateur. Nous avons discuté pendant 3h non stop et c’était parti ! C’était un peu comme un mariage arrangé qui devait absolument fonctionner.

Nous sommes très alignés et avons la même vision de ce que l’on veut apporter. À moyen/long-terme, il aimerait retourner en Inde pour développer d’autres projets et moi, je souhaite retourner en Guadeloupe pour également y développer des projets. Dès le départ, nous nous sommes mis d’accord sur le fait que cette société soit un moyen et non une fin en soi. Ca nous donne de la force pour avancer. CodistAl, pour tous les deux, c’est un tremplin pour la suite.

RTM | Comment envisagez-vous l’évolution de CodistAl ?

Maëliza | Nous avons démarré par la traduction du langage Python. L’idée c’est de créer des algorithmes du langage de programmation, quelque soit le langage (il y en a à peu près 150), que l’on pourrait traduire en langage naturel du type français, anglais. Aujourd’hui nous avons commencé à proposer nos solutions à des early adopters, qui sont des développeurs à fond dans la pratique du Machine Learning, dans la découverte des dernières tendances. Par la suite, nous voulons étendre notre base, en proposant des conférences, des publications scientifiques pour des écosystèmes dédiés aux développeurs dans le domaine.

Nous souhaitons également développer des partenariats avec des écoles de codes, des éditeurs de logiciels. Pour le moment nous nous concentrons sur la partie Tech, et ensuite on étend notre base d’utilisateurs et de partenaires afin de devenir l’acteur par défaut dans le domaine de la documentation du code. Ensuite on se fait racheter et je rentre en Guadeloupe J.

RTM | On sent que rentrer en Guadeloupe est une étape importante pour toi. Pourquoi est-ce si important de rentrer ?

Maëliza | Je n’ai jamais eu l’intention de ne pas rentrer en Guadeloupe. J’en parlais récemment à une amie. La Guadeloupe, c’est une évidence. Quand je suis ici, je sais que je suis à ma place, mes compétences, mon énergie sont utilisées à des fins utiles, pour une communauté, pour un peuple qui est le mien. J’ai travaillé en Thaïlande, à Singapour et c’est cool, mais ce n’est pas la Guadeloupe, ce n’est pas chez moi ! Ma base, mon terreau c’est la Guadeloupe.

RTM | Tu nous parlais de cette période déclic où tu t’interrogeais sur l’indépendance financière et économique. L’entrepreneuriat était-ce la suite logique ?

Maëliza |  Quelques calculs mathématiques permettent de se rendre compte qu’en aucun cas le salariat est un moyen d’émancipation, d’un point de vue économique. Le concept de Rat Race le prouve, le salariat ne permet pas de libérer de revenu complémentaire. Avant même l’entrepreneuriat, j’ai ressenti le besoin d’acquérir une éducation financière. Ce n’était pas simple au départ parce qu’on n’est pas élevé dans la culture de l’argent, il y a une pudeur autour de l’argent dans nos communautés. Cette éducation financière, je l’ai ensuite couplé à une dimension politique et à une vision sur le long terme. C’est ainsi qu’en pensant à la notion d’autonomie, je me suis rendue compte par des calculs basiques qu’indépendamment du montant du salaire que tu touches, le salariat ne permet pas de devenir autonome.

RTM | Comment t’es tu formé ?

Maëliza | J’adore les livres. J’ai été à la fnac et j’ai acheté des livres. Ma mère dit toujours qu’il faut commencer par un livre. Les livres et internet m’ont beaucoup aidé. J’ai participé également à quelques webinars mais la vision ultra capitaliste ne collait pas à mes valeurs. J’ai infusé des concepts économiques et financiers pour réussir à être à l’aise avec ce que je faisais.

Par exemple, l’immobilier est clairement un moyen d’atteindre une forme d’autonomie financière. J’ai donc investit dans l’immobilier, non pas pour faire de l’argent à outrance, mais avec une dimension sociale. Je loue uniquement à des personnes qui ont un seuil de revenu inférieur à ce qui est normalement attendu par les propriétaires. J’essaye un maximum d’être aligné avec mes valeurs.

Il y a les principes énoncés dans les livres et il y a mes valeurs. Je fais les deux coïncider.

RTM | Tu nous parlais du documentaire Ouvrir la voix en début d’interview, et de l’impact qu’il a pu avoir sur toi. Qu’est ce que ce film a changé ?

Maëliza | J’ai pris conscience que mes questionnements étaient partagés. Quand tu atterris dans une salle où 500 femmes noires sont venues écouter Amandine Gay, la réalisatrice, présenter et parler de son film, tu te rends compte que tu n’es pas seule. Il était là le déclic. Se rendre compte des convergences. De là, je me suis intéressée à l’afroféminisme, aux organisations qui existaient, aux manifestations… C’est un monde entier qui s’est ouvert à moi. Ça a été une expérience exceptionnelle.

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RTM | L’un des travers du capitalisme est justement cette individualisme prôné qui peut nous donner l’impression du caractère singulier de nos expériences. Comment cette prise de conscience du pouvoir du collectif a-t-elle fait évolué ton positionnement ?

Maëliza | Etre résilient seul, c’est épuisant. C’est possible, mais mentalement, ce n’est pas viable sur le long terme. On nous a trop fait croire qu’une révolution, un changement pouvait être à la portée d’une seule personne, on nous a fait croire à l’homme providentiel, sauf que cela, selon moi, tue tout espoir de faire réellement changer les choses. Le collectif permet d’expérimenter ce en quoi tu crois, que ce soit sur l’auto-organisation, la gestion des ressources, la solidarité, l’entraide mentale, matérielle, le collectif permet d’expérimenter à petite échelle.

Les révolutions doivent passer par des zones d’incubations, que représentent les collectifs. C’est le meilleur moyen de voir si la théorie est vraiment applicable. Le collectif, c’est une convergence de force, de créativité.

RTM | Comment perçois-tu la révolution ?

Maëliza | La révolution ne se produit pas à un instant T, la révolution c’est un processus. L’esclavage a été un processus de près de 400 ans, il ne faut pas espérer en sortir en un claquement de doigts. La révolution se construit de génération en génération, brique par brique. Quand mon père me parle de ses actions dans les luttes indépendantistes armées de Guadeloupe, c’est une brique. La révolution, c’est l’accumulation de brique. C’est un processus long mais réalisable à condition de le faire collectivement et d’être résilient.

RTM | La lutte comme héritage de génération en génération ?  

Maëliza | Je considère que mes parents m’ont transmis cet héritage malgré la pudeur. Nous emmener en Léwoz les vendredis soirs, nous apprendre la grammaire créole, nous apprendre l’histoire de l’esclavage et de la décolonisation à la maison, toutes ces choses là ont infusées en moi.

RTM | La révolution passe-t-elle également par une prise en main des nouvelles technologies ?

Maëliza | Je pense qu’il y a un véritable intérêt à se former aux nouvelles technologies afin de ne pas enfermer nos territoires, Guadeloupe, Martinique, Guyane, dans une économie verte, bleue uniquement tournée vers l’agriculture et donc une économie coloniale. Le numérique peut nous permettre de nous libérer du joug économique de la France. Aujourd’hui un développeur peut travailler depuis la Guadeloupe avec quelqu’un en Thaïlande, en Chine… Le numérique abolit les frontières. L’agriculture est importante, mais elle ne doit pas être notre seule ressource.

La Guadeloupe a besoin de politique de financement forte. Lorsque l’on voit la politique de financement de la BPI en Guadeloupe, c’est une grosse blague. L’enveloppe est quasi inexistante en Guadeloupe, on fait miroiter des enveloppes de 2000 à 5000euros pour des projets agricoles ou de transformations… En France hexagonale, pour les mêmes projets, on est sur des enveloppes de minimums 30 000euros. Parce que je suis basée à Paris, et incubée à Station F, je demande des bourses qui vont de 90 000 à 600 000euros. Il nous faut les mêmes opportunités pour la Guadeloupe.

Nous avons également besoin de formation à la Data sur le territoire. Ouvrir des filières qui permettraient aux jeunes de rester et travailler sur place, et de ne pas uniquement dépendre d’un emploi en France, en Europe ou au Canada.

Le numérique est clairement une porte vers plus d’autonomie, ce n’est pas la seule voie, ce n’est pas celle qu’il faut forcément emprunter, mais c’est une des portes.

RTM | La place des femmes dans le secteur de la Tech, et notamment des femmes noires est quasi inexistantes. Comment renverser la balance ?  

Maëliza | C’est au niveau des institutions que les choses doivent évoluer. C’est au niveau des institutions qu’il faut repenser les orientations qui sont faites. Le changement systémique ne pourra se faire sans les institutions. Aujourd’hui Internet permet notamment à des femmes noires influenceuses dans la TECH de changer la narrative, et c’est aussi important.

RTM | Qu’envisages-tu après CodistAl ?

Maëliza | Je considère que l’éducation est la clé du changement. Mon rêve, c’est de monter une école qui de bout en bout forme un enfant à devenir un citoyen, un militant, à œuvrer pour la Guadeloupe pour plus d’autonomie, du panafricanisme, la liberté du peuple noir avec grand P. Je veux que les élèves apprennent des notions de Maths radicales (non pas des conceptis abstraits, mais contextualisés par des faits historiques). Je veux que l’on puisse former une jeunesse révolutionnaire, et l’éducation c’est la clé.

RTM |  En quoi le panafricanisme est-il une solution pour plus d’autonomie ?

Maëliza | L’indépendance de la Guadeloupe ne peut se faire seule. Toujours dans cette dynamique collective, nous devons prendre conscience que nous ne sommes pas les seules à être oppressés par une puissance coloniale. Il y a un véritable enjeu à comprendre notre culture commune, nos valeurs communes liées à l’afro descendance. Nous vivons une domination commune et le panafricanisme est une réponse pour en sortir.

Le panafricanisme est une réponse collective à un problème de domination coloniale et capitaliste. Pour moi, il s’agit d’une évidence au service de plus d’autonomie pour la Guadeloupe. Il faut évidemment le penser dans un contexte caribéen, et plus généralement en termes d’Etats-Unis d’Afrique.

RTM | Crois-tu en la possibilité de voir une Guadeloupe indépendante ?  

Maëliza | On nous a fait croire que nous n’étions pas capable de nous gérer nous même, de nous nourrir nous même. On nous a fait croire que l’on était capable de rien. Il nous faut sortir de cette vision complètement fictive de l’homme et de la femme guadeloupéenne, si l’on souhaite réellement construire quelque chose. L’indépendance est complètement possible. Il nous faut nous débarrasser de tous ces formatages présents depuis près de 400 ans. Il faut qu’on arrête de prendre les guadeloupéens pour des enfants. A l’époque d’An tan sorin, la Guadeloupe a atteint l’autonomie alimentaire. Tout est possible à condition de changer de prisme.

RTM | Si tu devais citer trois ouvrages qui ont construit ta pensée politique ?

Maëliza | La prochaine fois le feu de James Baldwin. Il a l’art de manier les mots. Il sait mettre les mots justes sur des sentiments, des frustrations.

Africa unite, que je lis par bribe, qui met la lumière sur des mouvements  qui ont tenté des choses aux fils des années. Il est très dense, très riche.

Et …., que j’ai fini récemment sur la sociologie des mouvements de grève en Guadeloupe. Il met en avant la capacité que l’on a à s’organiser tout en respectant les règles de la République, contrairement à ce qu’on veut nous faire croire et à l’image de sauvage que l’on veut nous donner.

RTM | Si tu devais donner un conseil à une femme noire qui se sent seule dans ses réflexions. Que lui dirais-tu ?

Maëliza | Identifie des groupes physiques ou virtuels, des espaces où tu pourrais prendre la parole librement. Mets des mots sur ce que tu ressens, c’est une première forme de libération. Tu verras que tu n’es pas seule. Ose prendre la parole, ose prendre de l’espace pour exister, met de côté la légitimité. Les réseaux sociaux ont ça de bien, tu peux t’exposer sans nécessairement mettre en avant ta personne physique.

RTM | Qu’est-ce que tu ne voudrais pas qu’on oublie de toi ?

Maëliza | Mon optimisme. C’est ce qui me fait avancer tous les jours et j’ai beau péter des câbles régulièrement, m’énerver, c’est la capacité à se dire qu’on peut toujours aller de l’avant qui maintient. Il faut de l’optimisme pour militer, pour espérer le changement, c’est la base pour faire changer les choses. C’est parce que tu crois que les choses peuvent aller mieux que ca le sera vraiment.

RTM | Et qu’est-ce qui fait de Maëliza une Reine Des Temps Modernes ?

Maëliza | Mon ancrage technologique qui me donne une légitimé forte dans le milieu. Mon assertivité, le fait de ne plus avoir peur de déranger, de dire mon désaccord. Le fait d’être sortie de ce besoin de reconnaissance !

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