@fiora lumbroso
Rencontre avec une Artiste avec un grand A. Auteure, compositrice, interprète, musicienne, notre Queenspiration du jour s’appelle Célia Wa. Originaire de la Guadeloupe, cette jeune artiste fait vibrer tant par sa voix qu’à travers la flûte traversière, son instrument de prédilection, des textes conscients. Après la sortie d’un premier EP intitulé « Wa Ep », l’artiste prépare actuellement la sortie de son premier album.
RTM | A quel moment as-tu décidé de faire de la musique ton métier ?
Célia | J’ai commencé la musique à l’âge de 9/10 ans. Au départ, c’était essentiellement un hobby, une passion qui m’aidait à trouver mon équilibre. Je n’avais pas dans mon entourage d’exemple de musicien professionnel. Ayant grandit en Guadeloupe, j’ai toujours vu ma famille et mon entourage pratiqué une activité artistique, mais personne n’en vivait.
A mon arrivée à Paris en 2003, j’ai arrêté la musique pendant 4 ans. J’avais perdu ma famille musicale, mes repères. Je me sentais seule. Le goût de la musique est resté derrière moi. Je me suis mise à la danse, au Hip-Hop. Je me suis rapidement rendue compte que l’on pouvait être payé pour une pratique artistique. J’ai touché mon premier cachet en tant que danseuse. Les choses se sont enchainées rapidement, j’aimais la danse mais au fur et à mesure je me suis rendue compte que je ne voulais pas en faire mon métier. Je voulais garder le plaisir de la danse, et je commençais à le perdre. C’est suite à la comédie musicale Kirikou, que j’ai pris conscience que je ne me sentais plus à ma place. J’ai voulu reprendre une formation musicale pour me professionnaliser.
En 2009, j’ai intégré une école de Jazz à Paris, l’American School of Modern Music.
J’avais décidé que je vivrais de la musique. J’avais envie de me former. En Guadeloupe, j’avais pu acquérir un bon niveau instrumental, mais j’avais quelques lacunes en théorie. Il y a beaucoup d’écoles de musique en Guadeloupe, mais aucun conservatoire à l’heure actuelle. Ca va bientôt faire 10 ans que j’ai pris la décision de vivre de ma passion.
« Toutes les musiques ont besoin d’être défini à un moment donné pour avancer et évoluer. Je pense que les artistes qui se reconnaissent dans un style hybride caribéen ont besoin de se définir. »
RTM | Tu es auteure, compositrice et interprète. Ton instrument de prédilection est la flûte traversière. Un instrument rarement mis en avant. Comment as-tu choisis ton instrument ?
Célia | Au départ, je m’orientais vers le piano. Ma mère en avait fait plus jeune, et nous avions un piano à la maison. Dans l’école de musique où ma mère nous avait inscrit, tous les enfants souhaitaient faire du piano. Il n’y avait donc plus de place. Je faisais déjà du Ka (tambour guadeloupéen) mais je devais choisir un deuxième instrument. J’ai vu des enfants qui jouaient de la flûte traversière. Je me rappelle avoir entendu le son et j’ai eu un coup de foudre. C’est comme cela que j’ai commencé. Ensuite les choses ont été assez vite. Je pense que l’on a tous des affinités avec des instruments parfois inattendus.
RTM | Comment définirais-tu ton style musical ?
Célia | La question ! Je m’inspire beaucoup des rythmes traditionnels, du Gwo ka. J’ai également écouté beaucoup de hip-hop, de reggae, de dance-hall en étant dans la Caraïbe. Mon style, c’est un mixe de tout cela. J’essaye de faire des choses qui me plaisent, avant tout, qui groove. C’est assez difficile de définir mon style musical. Je pense que nous sommes plusieurs de ma génération à avoir du mal à trouver notre place. « Groove caribéen », « Neo soul Carib », ou « Neo Groove Caribéen », il y a une nouvelle scène caribéenne qui a besoin d’être défini. Toutes les musiques ont besoin d’être défini à un moment donné pour avancer et évoluer. Je pense que les artistes qui se reconnaissent dans un style hybride caribéen ont besoin de se définir.
« C’est grâce à la musique que j’ai assumé le fait d’être Guadeloupéenne avec tout ce que cela implique. »
RTM | Justement, comment réussir à se faire une place sur la scène musicale francophone ?
Célia | Au début, on me disait qu’il fallait peut-être mieux écrire et chanter en français pour toucher le plus de monde. Mais ça ne m’intéresse pas. Si j’ai envie d’écrire en français, j’écris en français. Je n’écris pas en français pour que ça plaise. Je fais de la musique avant tout pour exprimer ce que je ressens, pour faire passer mes messages et non pas pour me conformer aux attentes d’un public. Et à quel public ? Sachant que l’on ne peut pas plaire à tout le monde. J’ai envie de montrer qu’il y a des richesses dans la Caraïbe en général et en Guadeloupe en particulier.
RTM | Comment la musique t’a t-elle rapproché de ton identité guadeloupéenne ?
Célia | J’ai grandi dans le 10ème arrondissement de Paris jusqu’à l’âge de 6 ans, date à laquelle nous sommes partis nous installer en Guadeloupe avec mes parents et mon petit frère. Mon père est guadeloupéen et ma mère est blanche. Pourtant, c’est ma mère qui a insisté pour que nous connaissions notre culture antillaise. Elle nous a inscrit au Gwo Ka. Nous allions dans les Lewoz. C’est grâce à la musique que j’ai accepté de vivre en Guadeloupe. Au départ, ce n’était pas simple. J’étais une petite urbaine qui débarquait dans le Saint-François rural.
La musique m’a ouvert l’esprit et j’ai appris à découvrir ce qu’était l’identité guadeloupéenne. Lorsque l’on a dit 10 ans et que l’on chante du Guy Conquet, on ne se rend pas compte mais en grandissant ça laisse ses marques, ça te donne une certaine force parce que tu chantes ces textes militants, indépendantistes, anticolonialiste. C’est grâce à la musique que j’ai assumé le fait d’être Guadeloupéenne avec tout ce que cela implique.
L’identité dans toutes ces colonies est très complexe. La langue, la musique font parties des rares choses auxquelles nous pouvons nous raccrocher.
RTM | Comment ton entourage a-t-il finalement accepté ton choix de carrière?
Célia | J’ai pris le temps de les rassurer. A mon arrivée en France, j’ai fait une école d’éducation spécialisée. L’année de l’obtention de mon diplôme, je suis rentrée dans la compagnie Kirikou. J’ai commencé à toucher mes premiers cachets. J’avais 21 ans, donc il ne se faisait pas trop de souci. Mes parents étaient assez ouverts. Ils savaient que l’époque n’étaient plus la même. Ils ne m’imaginaient pas forcément faire cela professionnellement, mais ils l’ont bien accepté.
« Je ne fais pas de la musique éphémère. Je souhaite faire de la musique qui dure et qui perdure. »
RTM | D’où te vient ton engagement que l’on peut ressentir à travers tes textes et ta musique ?
Célia | Mes deux parents sont hyper militants. J’ai grandi dans une famille de militants. A l’époque, mon père était membre du parti communiste et ma mère de Lutte ouvrière, Extrême gauche. J’ai fait des manifestations très jeune que ce soit à Paris ou en Guadeloupe. Du coup, mon engagement se retranscrit dans ma musique. J’ai clairement hérité de leur engagement.
Je pense que la musique est un moyen de faire passer des messages au plus grand nombre.
RTM | C’est plus difficile de se faire une place ou de faire connaître sa musique, lorsque l’on a de fortes convictions ?
Célia | Tout dépend des raisons pour lesquelles on fait de la musique. Tout dépend également de ses objectifs. Si ton objectif, c’est de passer à la télé et/ou à la radio assez rapidement, en effet, ça va être difficile. Mais ce n’est pas mon objectif, parce que ça ne veut rien dire pour moi en 2018 de « passer à la télé ou à la radio ». Combien de groupes tournent mondialement et ne sont pourtant pas médiatisés ?
L’important, c’est d’être en accord avec soi-même et d’apporter sa vision, son point de vu, son vécu. Je ne fais pas de la musique éphémère. Je souhaite faire de la musique qui dure et qui perdure. Chacun doit être en accord avec sa définition de la réussite.
RTM | En tant que femme dans l’industrie musicale, quelle a été la plus grosse difficulté à affronter ?
Célia | Lorsque l’on est une femme dans l’industrie musicale, et encore plus une femme instrumentiste professionnelle, on est en minorité. Ajoutée à cela le fait d’être une femme noire, on se compte sur les doigts d’une main.
Ma règle d’or a toujours été de ne pas mélanger le personnel et le professionnel.
Plus jeune, j’ai vite appris à mes dépends que certains hommes ne me voyaient malheureusement pas comme une musicienne, ils voulaient autre chose.
En tant que femme, il faut également tout le temps faire ses preuves. On nous sous-estime souvent. Le plus parlant, c’est lors des balances avant les concerts, lorsque certains ingénieurs du son veulent t’apprendre ton métier car ils ne s’imaginent pas qu’en fait c’est ton concert. Il faut toujours être sûr de soi, s’affirmer, savoir ce que l’on veut pour ne pas laisser les autres faire à sa place et être exigeante avec soi même car c’est un monde de mec et il n’y a pas le droit à l’erreur.
Aujourd’hui, j’ai déjà pas mal d’années d’expériences et surtout je ne laisse plus rien passer. J’ai aussi la chance de travailler avec des musiciens que j’ai choisi. J’ai rencontré beaucoup de personnes et beaucoup d’hommes qui ont été bienveillants, qui respectaient mon travail.
Eric Delblond, Sonny Troupé, Nickylars, Freepon, sont tant d’artistes qui m’ont poussé et boosté.
RTM | Depuis 1 an, tu fais partie de la compagnie 30 nuances de noires. En quoi était-ce important pour toi de participer à ce projet ?
Célia | Après t’avoir parlé des difficultés à être une femme, et une femme noire dans le secteur musical, ce projet ambitieux était en parfaite cohérence avec mes convictions. Je trouvais cela vraiment cool de pouvoir être dans une fanfare avec d’autres femmes noires, musiciennes et danseuses.
Nous nous sommes cependant rapidement confrontés à une réalité, à savoir qu’il y a très peu de musiciennes instrumentistes, notamment pour les instruments à vent.
C’est un projet qui m’a énormément appris sur moi même. On se confronte à pas mal de problématiques : l’estime de soi dans un groupe, la pédagogie de transmission, la sororité, la patience, le rapport de classe, la non-mixité…
Ce n’est pas toujours facile et en même temps c’est normal car c’est un projet ambitieux qui ne s’est jamais fait.
Faire partie de ce projet, m’a permis de faire évoluer mon positionnement sur bon nombre de questions. Notamment sur la question de la non mixité que j’ai appris à découvrir. Au départ, je ne comprenais pas. Et mine de rien, on est quand même formatée. Il y a toujours une partie de soi qui a peur de ne pas être vu comme le « noir gentil ». On a besoin de ces espaces.
Lorsque l’on parade et que l’on voit les yeux des petites filles s’émerveillés, je comprends pourquoi ce projet est si important.
« On ne peut pas plaire à tout le monde, ce ne sera jamais parfait, mais au moins on fait, on existe. Il faut être dans l’action et arrêter de se trouver des excuses. »
RTM | As-tu grandis avec des modèles ?
Célia | L’une de mes premières influences est la chanteuse Sade. J’aimais beaucoup sa voix grave. J’adorais le fait que des hommes chantent plus haut qu’elle et qu’elle, chante en voix de tête. Adolescente, il y a eu TLC et Aliyah pour l’attitude et le Girl Power.
J’aime beaucoup l’artiste Billie Holiday même si j’ai mis du temps à comprendre sa sensibilité artistique.
J’apprécie également beaucoup de chanteurs de reggae, notamment Denis Brown. En GwoKa et Bèlè, il y a respectivement Guy Conquet et Eugène Mona, pour tout ce qu’ils ont apporté, leur présence sur scène, leur charisme et leur énergie. J’aime les personnes qui innovent à leur époque. Ce sont des personnages qui m’ont beaucoup accompagné dans ma musique.
RTM | Une petite citation qui te booste ?
Célia | « On a pas le time ». (Sourire). Cette année, je suis en mode action.
Il faut faire et arrêter d’avoir peur. Je me suis rendue compte que j’étais un peu perfectionniste. Ça a ses bons côtés mais ça peut aussi nous bloquer.
On ne peut pas plaire à tout le monde, ce ne sera jamais parfait, mais au moins on fait, on existe. Il faut être dans l’action et arrêter de se trouver des excuses.
RTM | Qu’est ce qui fait de Celia Wa une RTM ?
Célia | Je pense que le privilège que j’ai, c’est de pouvoir faire quelque chose que j’aime et de m’épanouir en le faisant. Ce qui n’est pas forcément évident aujourd’hui. J’ai la chance de pouvoir donner, partager, transmettre, toucher, faire du bien, et tout cela grâce à ma musique.
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