Agy, co-fondatrice de l’association La Rue Tourne

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Pour notre premier QUEENSPIRATION de l’année, rencontre avec Agy, une femme d’action et surtout d’engagement. Elle est la co-fondatrice de l’association La Rue Tourne, une association qui souhaite déconstruire les stéréotypes et poser un nouveau regard sur les personnes vivant dans la précarité.

 

 

RTM | Bonjour Agy, peux-tu te présenter pour nos lectrices/lecteurs ?

Agy | Je me fais appeler Agy. J’ai fraichement eu 32 ans. Dans la vie de tous les jours, je suis chef de projet dans la conduite du changement et en parallèle, je coordonne l’association La Rue Tourne que j’ai cofondé avec cinq camarades.

RTM | Quels ont été tes premiers contacts avec le monde associatif ?

Agy | J’ai un grand frère de 10 ans mon aîné. Petite, il me laissait le suivre un peu partout. Il était engagé dans une association d’arts martiaux en tant que bénévole. J’ai très vite compris ce qu’était l’engagement en le voyant faire et en le suivant dans ses différentes missions.

Je n’avais jamais été dans une association auparavant. Les associations qui existaient ne me correspondaient pas. J’aidais comme je pouvais quand je croisais quelqu’un dans la rue mais mon envie de m’engager, et finalement de créer une association, est venue avec le temps. J’aime être opérationnelle et mobiliser une équipe. Mon déclic, je l’ai véritablement eu il y a 4 ans.

 

“A l’époque personne ne faisait de portraits de sans abri comme on le faisait.”

 

RTM | Quel a été ce déclic justement ?

Agy | Une tierce personne avec qui j’ai cofondé une première association qui s’appelle « Sans A » qui est aujourd’hui devenue un média. On s’est rencontré il y a quelques années. Il avait une vingtaine d’années, moi un peu moins de 30 ans.

J’avais commencé à faire une série photo sur la thématique de la solitude. Et la première chose qui m’est venue à l’esprit ce sont les sans-logis J’ai donc commencé une série de photos avec des sans-abris et il rédigeait les portraits.

Ce qui est assez drôle, c’est que nous venions de mondes complètement opposés mais nous étions complémentaires en termes de compétences.

C’est lui qui m’a poussé à me dire qu’il fallait peut-être créer une association. A l’époque personne ne faisait de portraits de sans-abris comme on le faisait. Nous proposions beaucoup de contenu, qui est rapidement devenu viral sur la toile et dans les médias.

Avec le temps, j’avais envie de concrétiser notre action sur le terrain. Je trouvais ça sympa de faire des témoignages mais ça n’était pas suffisant. Pour moi, la partie média devait se nourrir du terrain et non pas l’inverse. J’ai proposé que l’on organise des maraudes en complément du travail des associations qui existent déjà. Par exemple, distribuer du chocolat pendant les fêtes. Et c’est à ce moment-là qu’il y a eu séparation. Nous avions un désaccord quant à l’évolution de l’association et de ses actions.

Je suis partie avec une partie des bénévoles car nos valeurs et mes convictions ne coïncidaient plus avec le projet. Ce fut un choix difficile car à mes yeux on avait un peu créé l’association idéale. Avec 5 autres camarades, on a décidé de recréer une nouvelle association avec de nouvelles missions. C’est ainsi qu’est née La Rue Tourne, il y a maintenant 3 ans.

 

 

RTM | Parlons de la Rue Tourne. Peux-tu nous présenter cette association ?

Agy | La première mission de la Rue Tourne ce sont les maraudes que nous effectuons sur Paris. Nous essayons toujours d’associer une thématique à chacune de nos maraudes : distributions de chocolats pendant les périodes de fêtes, distribution de livres, de gâteaux fait maison, de fruits pendant l’été … On prend le temps de s’asseoir, de discuter, de jouer, d’écouter du bon son. A chacun de nos passages, on tente d’apporter une énergie positive. Notre crédo, c’est la jovialité. Il ne faut pas oublier que ce sont des missions difficiles. La rue, c’est violent, c’est dure. On ne peut pas se permettre d’ajouter de la misère à la misère.

Notre deuxième mission consiste à faire de la sensibilisation en milieu scolaire. Nous sensibilisons les jeunes à la solidarité, à la précarité, en leur parlant des sans-abris. A travers des photos, on essaye d’imaginer avec les élèves la vie qu’ont pu avoir les sans-abris. Le but n’est pas de leur donner une trop grosse gifle de réalité à ces enfants, on essaye simplement de leur expliquer qu’en donnant un peu d’attention à autrui, beaucoup de situations peuvent se dénouer facilement. En partenariat avec leurs professeurs, nous proposons également aux enfants de créer des choses qui pourront ensuite être distribuer aux sans-abris : des cartes de vœux pendant les fêtes par exemple. On ne peut pas emmener les enfants dans la rue, donc on les pousse à l’action différemment, de manière utile afin qu’ils comprennent le sens de l’engagement.

Notre dernière mission, c’est notre volet média. On essaye de raconter les vies, les parcours, les histoires des sans-abris. Je m’occupe généralement des photos, et lorsque l’on peut être accompagnée d’un journaliste bénévole, il ou elle, s’occupe de faire les portraits. Ce storytelling est important selon moi, et j’aimerais qu’il se développe un peu plus.

 

“Quand j’avais 10 ans, il y avait « le clochard » de ma rue. Tout le quartier le connaissait, et tout le monde savait qu’il était là parce qu’ils avaient fait des mauvais choix et pas mal de conneries.”

 

RTM | En trois ans d’existence au contact de la rue, qu’est-ce qui t’a le plus marqué ?

Agy | La situation ne s’arrange pas. Depuis 2010, on constate qu’il y a 50% de sans-abri en plus dans les rues. Quand j’avais 10 ans, il y avait « le clochard » de ma rue. Tout le quartier le connaissait, et tout le monde savait qu’il était là parce qu’il avait fait de mauvais choix et pas mal de conneries. Aujourd’hui, on retrouve encore ce « type » de sans-abri, mais la population s’est complètement diversifiée. J’ai rencontré des hommes et des femmes qui avaient des Masters, qui parlaient 5 langues… Dernièrement, j’ai rencontré un serveur qui s’était retrouvé à la rue parce qu’il pensait sous-louer un appartement à sa mère, qui se disait propriétaire mais en réalité sa mère, elle-même, sous louait l’appartement. Un jour, en pleine trêve hivernale, les huissiers débarquent et le mettent à la rue. Il tente de rentrer en contact avec sa mère pour lui demander des explications, mais elle n’était plus joignable. Ça faisait une semaine qu’il était à la rue lorsque je l’ai rencontré, il venait à peine de trouver un travail.

Je dis souvent que j’ai peu d’espoirs même s’il y a quand même des histoires qui finissent bien. Mais c’est une histoire sur cent et encore je suis gentille. A part pouvoir donner du chocolat, une paire de chaussure et un peu de love, on se rend vite compte que les solutions sont limitées. Ce ne sont même pas les associations qui devraient avoir à apporter ces solutions, mais malheureusement il y a des types au-dessus qui ne semblent pas se sentir très concernés.

 

 

RTM | En quoi cette expérience t’a-t-elle fait grandir sur le plan personnel ?

Agy | J’ai beaucoup appris sur moi et ma relation aux autres. Nos relations humaines sont devenues très compliquées. On s’impose énormément de pression. C’est toujours difficile de voir son entourage, les gens qu’on apprécie. Il faut s’envoyer au moins 15 textos avant de pouvoir se fixer un rendez-vous. Le contact avec la rue, lui il se fait sans filtre. Ma relation avec les sans-abris, elle est simple. Il n’y a pas besoin de se cacher derrière des faux semblant. Quand ça ne va pas, tu dis que ça ne va pas. Etre au contact de la rue, ça te permet de te confronter à tes limites. Je pense que tout le monde devrait faire une maraude au moins une fois pour se confronter à soi-même.

RTM | Quel a été le plus gros préjugé que tu as déconstruit depuis le début de l’aventure La Rue Tourne ?

Agy | Ne jamais se fier aux apparences. Dans la rue, les profils sont tellement variés. J’ai vu des professeurs de lettres qui un jour ont pété un câble et se sont retrouvés à la rue pour des soucis mentaux. J’ai rencontré un guyanais qui débarquait de Guyane et qui parlait berbère marocain. Mais même au sein de l’association, il y a beaucoup de bénévoles avec qui je n’aurais jamais discuté dans la vie de tous les jours par exemple. L’habit ne fait clairement pas le moine.

RTM | Comment parviens-tu à jongler entre ton activité professionnelle et ton engagement associatif ?

Agy | J’ai la chance d’avoir un patron, Emmanuel, ultra compréhensif. D’ailleurs, s’il me lit, je lui fais un big up. Il m’a embauché à la fin de mon contrat chez mon ancien employeur en tant que chef de projet et formatrice pour des jeunes « décrocheurs » en mars dernier. On se connaissait déjà car nous avions eu l’occasion de collaborer sur un de ses projets associatifs qui s’intitule Tweets2rue. Il nous avait d’ailleurs beaucoup aidé à la naissance de La Rue Tourne. C’était un peu le tonton qui nous donnait des conseils.

Ce qui est assez cool, c’est qu’il me connaît, il connaît mon engagement, il sait que La Rue Tourne occupe une place importante dans ma vie. Il est vraiment compréhensif. Je m’arrange également pour toujours faire mon taff comme il se doit. Les deux sont tout aussi important, même si c’est un peu physique. J’essaye d’équilibrer le tout avec une vie sociale.

 

 

RTM | Est-ce que tu as un leitmotiv, une citation qui te rebooste ?

Agy | « Il faut toujours faire ce que ton cœur te dit de faire » ou « toujours croire en sa petite voix intérieure ».

Ma petite voix me guide toujours. En tout cas jusqu’ici, elle m’a toujours bien guidé. Dans mes missions avec La Rue Tourne également, je prends toujours le temps de l’écouter. C’est d’ailleurs quelque chose que je répète souvent à mes bénévoles notamment à ceux qui font leurs premières maraudes et qui pensent qu’il faut aller parler à tout le monde. Je leur dis qu’il ne faut surtout pas s’obliger à faire quelque chose que l’on n’a pas envie de faire, encore moins lorsque l’on fait de l’associatif et que l’on prend sur son temps personnel.

RTM | Est-ce que tu as grandi avec des modèles et des sources d’inspiration ?

Agy | Je dirais mon frère. J’étais assez relou pour le suivre partout. Je voulais tout faire comme lui. J’ai fait du sport de combat comme lui, j’aime la survie comme lui. Mon frère, c’est quelqu’un de discret, qui fait les choses quand elles doivent être faites, qui ne parle pas beaucoup de ce qu’il fait, mais qui fait.

Je dirai Daria également. Un personnage de dessin animé. C’est un anti-héros. Elle n’aime rien, ni personne et elle lâche tout le temps de grosses punchlines. J’aime bien les personnages de dessin-animé comme modèle… peut-être parce que je ne suis pas très connectée à la réalité.

 

 

RTM | Qu’est ce qui fait d’AGY une Reine Des Temps Modernes ?

Agy | Mon équipe c’est mon royaume (rires). Je crois que je me définis beaucoup à travers les gens, à travers le regard qu’ils ont sur moi. J’ai beaucoup de mal à avoir un regard sur moi-même. Je crois en la force du collectif. Ce qui fait de moi une Reines Des Temps Modernes : c’est mon Squad. C’est sûr !

 

 

 

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