Ma couronne créole.

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Il y avait des soirs où j’allais me coucher en priant dans l’espoir qu’à mon réveil mes cheveux auraient repoussé, qu’ils seraient devenus plus souples, plus soyeux, plus beaux. Comme ceux de mon frère. 

J’ai décidé de couper mes cheveux lorsque j’avais seize ans. J’avais les cheveux longs jusqu’au épaules et dorés comme ma peau. Mais j’avais aussi les cheveux défrisés et je n’aimais pas ça. Je n’aimais pas aller au salon de coiffure avec les autres femmes qui avaient toujours un commentaire à faire sur ma tignasse. Celle-là avait les mêmes cheveux que moi lorsqu’elle avait mon âge, l’autre me disait que mes cheveux étaient trop secs et que je devrais mettre de la brillantine ­— et mon crâne qui commence à me piquer —, une autre encore me trouvait trop timide. Si ce n’était pas un commentaire sur mes cheveux c’était sur mon attitude parce que d’après cette dame, une enfant qui ne parlait pas donnait l’air d’être bête — et mon crâne qui me pique un peu plus. Enfin on me rinçait la tête et c’était avec un grand soulagement que je quittais le salon avec maman et l’estomac dans les talons. Les matinées au salon de coiffure me semblaient interminables. J’aurais préférer passer mon samedi matin devant la télé comme mon frère.

Lorsque que j’ai décidé de couper mes cheveux, j’étais d’abord curieuse de me découvrir au naturel mais je ne savais pas qu’ils ressembleraient à ça. Ils étaient très courts, chaque brin serré à côté d’un autre. J’avais une petite moquette brune au sommet du crâne. J’avais une quantité impressionnante de cheveux, mais une quantité de cheveux que je n’aimais pas. Ma mère n’aimait pas mes cheveux. Mon père n’aimait pas mes cheveux. Mon frère se moquait de moi. J’entendais ma mère parler à ma cousine : « c’est une phase, tu sais à cet âge là… ». Et ma cousine de répondre que les garçons n’aimeraient pas ma coupe mais que le meilleur moyen de me faire accepter était d’assumer entièrement mes petits cheveux crépus.

Au lycée quelques camarades me tournaient le dos, d’autres avaient la gentillesse de ne rien dire, mais je lisais de la compassion dans leurs yeux. Et puis il y avait cette même question qui revenait encore et encore : « mais pourquoi tu as fais ça ? ». Les mères de mes camarades me demandaient : « mais où sont passés tes beaux cheveux ?». Très vite mes cheveux n’étaient plus mes cheveux. Ils étaient les cheveux de tout un chacun et tout un chacun exprimait son opinion à leur propos : que j’aurais du faire ceci, que je n’aurais pas du faire cela, qu’il faudrait maintenant faire encore autrement. Et à la maison ce n’était pas mieux. Je finissais par me demander pourquoi mes parents ne m’aidaient pas à m’accepter tel que j’étais ? Pourquoi était-il normal pour tant de monde que j’essuie la honte à cause de mes cheveux crépus? Mais surtout je me demandais comment en vouloir à tous ces gens alors que j’étais la première à souhaiter qu’ils disparaissent du sommet de mon crâne ?

Curieusement aussi, je ne pouvais pas me résoudre à retourner me faire tartiner le crâne de défrisant qui pique. Je ne voulais pas non plus me faire poser des rajouts. Je crois qu’au fond je ne voulais pas donner raison à toutes ces personnes qui n’aimaient pas mes cheveux. Alors je me battais contre moi-même. Je faisais semblant d’assumer en me répétant qu’à force je m’habituerais. Je ne me suis jamais habitué. J’ai fais mieux, j’ai appris à aimer mes cheveux et à en prendre soin. J’ai appris toute seule à aimer mes petits cheveux serrés, mes petits cheveux grainés. Et lorsque j’entends certaines personnes dire qu’elles ont fait la découverte de leur épiderme au contactes des blancs de la métropole — puisque je viens des Antilles —, je rigole doucement au fond de moi. Je n’ai pas attendu de partir pour découvrir mon patrimoine génétique. Mes propres gens m’ont mis devant le fait bien assez tôt. Si bien que j’ai été très surprise la première fois où mon amie Pascaline et mon ami Camille m’ont dis aimer mes cheveux. Je n’ai pas compris. J’ai été prise de court, presque un peu sonnée. J’en avais les larmes aux yeux. Ils l’ont bien vu mais eux non plus n’ont pas bien compris ce qu’il se passait. Comment une fille et un garçons, blancs, pouvaient aimer ce que mes gens trouvaient de si vilain sur moi ? Et pourtant ces deux la étaient sincères. Si ils avaient su…

Si ils avaient su que parfois le soir, j’avais été me coucher en priant pour que mes cheveux soient plus souples. Si ils avaient su que de temps à autres j’écrasais une larmichette ou deux au coin de mon œil en me disant : « ils ne sont peut-être pas beaux mais ils me rendent plus forte ». Si ils avaient su que bien souvent, lorsque je la voyais, ma tante me demandait : « alors et les cheveux ? » au lien de s’inquiéter de ma bonne ou de ma mauvaise humeur. Si ils avaient su, ces gens aux cheveux lisses et bouclés que c’est un peu grâce à eux que j’ai commencer à me regarder différemment.

Aujourd’hui les cheveux crépus, mes cheveux, sont mis à l’honneur dans les salons afro. Ils font l’objet de tutos beauté de youtubeuses branchés. Ils défilent sur les catwalk de la fashion week à Paris, à Milan ou à New-York. Maria Borges porte mes cheveux crépus, Christelle Yambayisa porte tantôt mon afro, tantôt mes petits choux, Zohara Even arbore ma couronne de reine, Solange chante le respect qu’on doit à mes cheveux crépus. Aujourd’hui ma mère est la première à m’aider à prendre soin de mes cheveux. Elle est ma fan numéro un… Et moi ? Et bien moi, aujourd’hui, je suis fière de ma couronne dorée et j’assume sans faux-semblants ma petite touffe de créole.

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