Jay Asani (Activiste) – “La première façon de militer, c’est de repenser sa consommation.”

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Aujourd’hui nous rencontrons Jay Asani. Une jeune femme martiniquaise engagée pour son île. Lors de son passage en Guadeloupe, nous avons discuté de son parcours, son retour en Martinique, le lancement de sa marque de bijou, son activisme et ses prises de positions suite au scandale du chlordécone qui fait rage en Guadeloupe et en Martinique. Je vous laisse découvrir notre QUEENSPIRATION de la semaine.

RTM | Bonjour Jay, avant de commencer pourrais-tu te présenter à nos lectrices et lecteurs ?

Jay | Bonjour RTM, je m’appelle Jessye, mais je préfère qu’on m’appelle Jay. Jay Asani plus précisément. Asani, c’est le nom que je me suis donnée quand j’ai commencé à me pencher sur mes racines africaines. Je voulais m’offrir un nom que l’histoire ne m’aurait pas imposé. J’ai choisi Assani, qui signifie rebelle en swahili.

« Je préfère galérer et rester ici, que laisser ma place à quelqu’un d’autre. »

RTM | En parlant de tes racines africaines, quel a été ton cheminement ? 

Jay | J’ai toujours été sensible aux questions qui touchent au monde noir et ce depuis petite. Au départ, mon intérêt se portait essentiellement sur les problématiques afro-américaines. Je me sentais très américaines. J’étais très Malcom X et Martin Luther King.

C’est ce qui m’a permis de prendre conscience du problème de la suprématie blanche et de l’appliquer à mon échelle, à l’échelle martiniquaise.

C’est suite à mon séjour à Paris, où j’ai vécu pendant 5 ans, que j’ai voulu être radicale dans mes positions et ma façon de consommer. Déjà à l’époque mon économie était orientée « Black Business ». Mais c’était essentiellement pour des choses relativement superficielles. 

Ma prise de conscience s’est concrétisée à mon retour en Martinique en 2014. J’ai toujours entendu parler de la place des békés sur nos îles, du contexte colonial, mais je n’en avais pas réellement conscience. Le retour a été violent.

Je me suis questionnée sur la place que je souhaitais avoir dans cette plantation 2.0 dans laquelle nous vivons. Est-ce que je voulais avoir le rôle de l’esclave qui subit et qui ne dit rien ou est-ce que je voulais influencer d’autres martiniquais à prendre conscience qu’il était possible de vivre différemment sur nos îles…

RTM | Pourquoi était-ce important pour toi de rentrer en Martinique ?

Jay | Tu sais quand je suis rentrée en Martinique, je travaillais pour une jeune auto-entrepreneuse martiniquaise. J’ai travaillé avec elle pendant 4 ans. Cette expérience m’a permis de prendre conscience du système dans lequel on vivait, du monopole des békés sur notre île. A ce moment là, je me suis dit que je ne pouvais pas envisager d’être ailleurs qu’en Martinique.

J’avais lu Aimé Césaire qui parlait du génocide par substitution. Je ne veux pas laisser mon île dans les mains d’autrui. Et aujourd’hui l’affaire du chlordécone, c’est un nouveau génocide auquel nous faisons face.  J’ai le sentiment que l’on essaye de nous supprimer, de nous remplacer et c’est un sentiment que je ne peux accepter en tant que martiniquaise. Je suis chez moi. Je préfère galérer et rester ici, que laisser ma place à quelqu’un d’autre.

RTM | Tu es à l’initiative de la marque Fanm Ata, une marque de perles de taille. Peux-tu nous parler de ce projet ?

Jay | Pour Fanm Ata, j’ai été influencée par la marque Mela_nine, qui est une marque de maillot de bain à l’initiative de mon frère et de sa copine. Une marque consciente par des martiniquais pour des martiniquais.

De manière personnelle, je veux porter des choses qui me touchent, qui me parlent. Je veux pouvoir consommer en sachant où va mon argent. Je voulais proposer un projet qui aille en ce sens. Je voulais proposer un produit qui a une histoire, qui raconte quelque chose.

J’ai toujours porté des perles de taille. Lors d’un séjour au Sénégal, j’ai eu la chance de rencontrer des femmes qui m’ont raconté l’histoire des bin-bins. J’ai pris conscience que c’était bien plus qu’un simple bijou de séduction, c’est avant tout un bijou d’empouvoirement. C’est un bijou que les femmes égyptiennes portaient déjà à l’époque. C’est un véritable bijou ancestral que j’ai souhaité réintroduire dans la culture martiniquaise, réintroduire cette culture de l’Afrique de l’ouest dont nous sommes majoritairement originaire.

Fanm Ata, c’est un héritage.

RTM | Que signifie le mot Ata ?

Jay | Ata signifie magique, mystique en Kriba. Le Kriba, c’est une langue crée par Sakaba. Quand j’ai entendu parler de ce jeune martiniquais qui créait sa propre langue, j’ai trouvé ça exceptionnel. C’était cohérent avec la démarche de décolonisation dans laquelle je me plaçais, une décolonisation qui passe également par la langue que l’on parle. J’aimerais, comme un Eli Domota qui ne parle qu’en guadeloupéen, ne parler qu’en martiniquais. Comme dit Fanon, il faut tuer le colon qui est en nous. Je l’ai tué dans certains aspects, mais il est encore dans ma bouche.

« La première façon de militer, c’est de repenser sa consommation. »

RTM | Le 12 octobre dernier, vous étiez plusieurs jeunes et collectifs à vous mobiliser en Martinique suite au scandale du chlordécone. Quel a été le déclencheur ?

Jay | Les déclarations d’Eric Godard ont été le déclencheur. Nous sommes un groupe d’ami.e.s très sensibles aux problématiques qui touchent notre île, et donc forcément l’affaire du chlordécone nous interpellait depuis un certain temps.

Ce qui nous a poussé à nous rassembler ce 12 octobre, c’est le manque de considération de la population pour ce qui se passe sur notre territoire. On parle du chlordécone, de l’empoisonnement volontaire de la France et personne ne bouge, personne ne dit rien. Il aura fallu attendre la prise de parole d’un homme blanc, Eric Godard, qui dénonce le chlordecone en pleurs, pour que la population prenne conscience de ce que les militants dénoncent depuis des années. Donc suite à ces déclarations et à l’émoi que cela a provoqué, nous avons appelé à la mobilisation pour justement informer le peuple de l’ampleur du scandale.

De la manifestation du 12 octobre, s’en est suivi des blocages, des boycotts.  Certaines personnes ne sont pas d’accord avec la manière, mais ce qu’il faut bien entendre, c’est que cette affaire ne date pas d’hier, s’il fallait simplement laisser faire la justice, il ne se passerait rien. Depuis 2007, une plainte a été déposée, nous sommes en 2019 et toujours rien… Pendant que la loi prend son temps, nos habitants souffrent et sont empoisonnés sans aucune solution ou réparations proposées.

Tous les blocages que nous faisons se font de manières pacifiques, il n’y a pas de violences. La violence en revanche vient de la réponse de l’Etat et de ses 400 gendarmes déployés lors des derniers blocages.

Se faire empoisonner sciemment, c’est violent. Mais ça n’a pas l’air d’émouvoir grand monde.

RTM | Le chlordecone qui est également un perturbateur endocrinien pourrait être à l’origine des taux records d’endométrioses sur nos îles. Il y a d’ailleurs une story qui regroupe des témoignages de jeunes femmes qui prennent la parole …

Jay | Ce pesticide porte également atteinte aux corps de nos femmes. Il y a ce concept de Poto Mitan qui voudrait que nos femmes antillaises puissent tout encaisser. Etre une femme forte, ne signifie pas tout subir et devoir s’éduquer à souffrir en silence.

Les chiffres de grossesses prématurées, d’endométrioses, de cancer du sein atteignent des records sur nos îles. Nous sommes toutes touchées, toutes atteintes et donc toutes concernées. Nos femmes souffrent, nos hommes souffrent et il faut que les responsables payent. Je rigole doucement lorsque j’entends parler d’indemnisation à hauteur de 15000€. Qu’est-ce que 15000€ pour des personnes dont les terres sont empoisonnées pour les 700 prochaines années ?

RTM | Comment ces mobilisations se sont-elles mises en place ?

Jay | Nous avons d’abord pris le temps de contacter les associations et collectifs sensibles à ces questions, afin qu’ils se joignent à nous pour le rassemblement.

Certaines ont suivi, d’autres ne sont pas pour ces formes de protestations. Ce que je peux entendre d’ailleurs. L’important selon moi, c’est d’agir. Pour nous, il s’agissait de la meilleure manière de se faire entendre et d’attirer l’attention de notre peuple sur ce qui se passe.  C’est notre manière d’agir, chacun doit agir à son niveau. Nous n’avons juste plus le droit de rester immobile et inactif.

RTM | Qu’est-ce que tu dirais à un jeune qui souhaite agir mais qui ne sait pas par où commencer ?

Jay | La première façon de militer, c’est de repenser sa consommation. Par exemple, je ne mets plus mes pieds dans les centres commerciaux qui appartiennent aux békés. Je consomme alternatif quand c’est possible de le faire. Je fais attention à qui je donne mon argent. Il y a des martiniquais qui pense que c’est impossible, impensable de consommer différemment. C’est clair que l’on n’a pas le choix dans certains aspects de nos vies, mais dans beaucoup d’autres aspects c’est possible, notamment la nourriture.

Souvent on ne se sent pas légitime de faire, d’agir. Je pense qu’il est important de se défaire de ses peurs. On a le droit de se faire entendre, on a le droit de manifester. La peur ne peut pas nous immobiliser.

Il ne faut pas hésiter à relayer l’information, en parler autour de soi, se rassembler, se faire entendre. Il faut penser à nos enfants, je ne veux pas qu’ils se disent « Mais personne n’a rien fait ? personne n’a rien dit ? »

« Quand on me voit, je ne matche pas avec le stéréotype du militant soi disant parce que je ne corresponds pas à une certaine forme de droiture qu’on imposerait aux militants. »

RTM | En parlant d’alternatives de consommations, il y a un aspect des mobilisations qui ne sont pas assez mises en avant selon moi, ce sont les producteurs locaux et bios que vous mettez en avant lors des boycotts ou dans votre communication …

Jay | Clairement, les médias font le choix de ne mettre l’accent que sur les blocages. Or, il y a toute une démarche de valorisation de nos producteurs bios martiniquais qui est aussi mise en place. Je comprends que certaines personnes soient un peu paumées. Nous avons été élevés dans la culture du caddi et du supermarché.

Je pense qu’il ne s’agit que d’une question d’éducation. Il faut se faire violence pour faire autrement. On ne peut pas encourager ceux qui nous ont empoisonnés en consommant leurs produits.

Lors des blocages nous avons eu des agriculteurs qui venaient proposer leurs fruits et légumes sur le parking. Samedi dernier, il y a eu un marché bio que nous avons relayé. On essaye de montrer qu’il y a des alternatives. Certains martiniquais n’ont pas attendu le chlordécone pour penser alternatif. On ne dit pas qu’il faut arrêter d’importer des produits, mais nous ne pouvons pas consommer principalement des produits importés. Il faut que l’on apprenne à consommer lokal.

RTM | A travers cette jeunesse qui se mobilise, on voit aussi apparaître une nouvelle forme d’engagement. Un militantisme plus libre, moins normé… Qu’en penses-tu ?

Jay | On se fait une certaine idée du militantisme. D’ailleurs personnellement je préfère le mot activiste. Quand on me voit, je ne matche pas avec le stéréotype du militant, soi disant parce que je ne corresponds pas à une certaine forme de droiture qu’on imposerait aux militants. Je pense que le plus important c’est de se sentir libre de faire ce que l’on veut. Je ne quitte pas la prison du colonialisme pour en intégrer une autre… Je veux pouvoir être libre de faire ce que je veux, tant que je reste cohérente.

https://www.instagram.com/p/B0mPEI9D5rc/

RTM | Quelles sont les femmes qui ont inspiré Jay Asani ?

Jay | Ma mère m’inspire énormément. Ma deuxième maman aussi, ma sœur, m’inspire beaucoup. Je la vois un comme un modèle. Elle est cette femme qui me permet d’être tout ce que j’ai envie d’être, sans jugement. Si je suis aussi bien dans ma peau et dans mon corps, c’est grâce à elle. Elle m’a montré comment faire face. Elle a toujours veillé sur moi, elle s’est toujours assurée que je sois totalement libre de faire ce que je veux.

Quand je regarde son parcours, ce qu’elle est devenue. Elle a toujours cru en ses rêves et s’est battue pour. Elle manie le cheveu afro et aujourd’hui elle est reconnue pour son travail.

Dans Formation, Beyoncé dit cette phrase « My sister told me I should speak my mind ». C’est exactement ce qu’elle me dit au quotidien. Si un jour j’ai commencé à prendre mon téléphone et à m’exprimer, c’est parce que ma sœur m’a poussé à le faire.

Sinon il y a le docteur Frances Cress Welsing, auteure de The Isis Papers ou encore Angela Davis.

RTM | En parlant d’auteur.e.s, que lis-tu en ce moment ?

Jay | Les puissances d’argent en Martinique de Guy Cabort Masson et un livre de l’avocat Monutoka, A Dieu ! le code noir ! : L’assimilation juridique : un crime contre l’humanité.

RTM | Qu’est-ce qui te donne la force de ne pas laisser tomber ?

Jay | J’ai le sentiment en tant que femme noire sur cette terre, dans ce contexte, que l’on veut m’éliminer, que ma voix ne compte pas, que je n’existe pas. Sauf que je refuse cela. Ma force, je la puise dans le fait que ma voix compte, ma vie compte. Je compte bien me faire entendre jusqu’à ce que mort s’en suive. Ils ne m’élimineront pas.

RTM | Qu’est ce qui fait de Jay une RTM ?

Jay | Je dirai mon ancestralité. Mes ancêtres se sont battus, ils m’ont tout donné pour qu’aujourd’hui je mène le combat que je mène, avec ma couronne.

7 Commentaires

  1. Bonjour
    Je viens de découvrir les vidéos de Jay et je suis agréablement surpris de voir cette femme parler librement de tous ces sujets.
    J’espère pouvoir avoir un échange avec toi un jour notamment sur la place historique de nos politiques dans ce contexte mortifère.
    Merci d’exister Jay
    Bondié béniw

  2. Un peu déçu, jusque-là je n’avais vu que la tête rebelle, en voyant le corps il y a un parfum d’en bourgeoisement (le correcteur me suggère « embonpoint « )
    Lol

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