Anaïs Verspan (Artiste visuelle) – “Naitre artiste, c’est naitre en extraterrestre. C’est voir le monde avec des lunettes 3D”

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L’universel exige la reconnaissance des identités particulières. Une certitude affirmée par l’écrivain Aimé Césaire. Une affirmation que l’on retrouve dans l’art façonné par notre QUEENSPIRATION de la semaine. Anaïs Verspan, artiste visuelle guadeloupéenne, compose son art, écrit ses images avec un bout de sa culture, un bout de son histoire et la totalité de son être.

Crédit : Manu Dorlis
RTM | Bonjour Anaïs, la première question qui me vient à l’esprit est : artiste visuelle ou artiste sensorielle ?

Anaïs | Cette question est assez perturbante. Les deux sont justes.

Je me présente avant tout comme une artiste visuelle, mais je ne me limite pas à la peinture. L’image m’inspire. Je m’autorise depuis peu à explorer différents médiums. Anaïs Verspan est une artiste visuelle qui fait de l’art sensoriel. Je veux proposer un art vivant, qui a une âme, qui permet l’interaction.

RTM | Pour celles et ceux qui ne te connaissent pas, peux tu revenir sur ton parcours ?

Anaïs | Mon parcours est à la fois logique et atypique. J’ai toujours dessiné. J’ai appris à dire « je suis » par le dessin. Ayant été malade très tôt, j’ai eu la chance d’avoir une maman qui me donna les outils (crayons et feutres) pour m’exprimer autrement que par la parole. Donc naturellement, j’ai orienté mes études en ce sens. J’ai fait une License d’art classique. Et j’ai poursuivi mes études en Martinique, en école d’art, la seule des Caraïbes. Je devais partir au Canada, mais je voulais rester dans les Caraïbes. Je suis restée 3 ans en école avant de claquer la porte.

Avec du recul, j’ai fait une école d’art mais je suis une autodidacte. J’ai dû faire table rase de tout ce que j’avais appris pour proposer un art qui soit réellement moi. Les écoles d’art formatent les étudiants, j’avais besoin d’un reformatage.

Je suis rentrée en Guadeloupe, et je suis devenue enseignante en Art Appliqué. Ca a duré 2 ans. C’était une expérience intéressante. J’ai pris conscience qu’il fallait être sincère lorsque l’on est dans la transmission. J’étais encore en devenir. En 2006, je décide de lancer mon entreprise « Afroexcentrique » qui a tenu jusqu’en 2011. En 2011, je ferme ma boîte et je pars m’installer à Paris pour travailler dans le domaine de la brosserie* (toute ce qui est en lien avec les pinceaux d’arts) et de l’artisanat.

C’est à cette même période que l’on me fait la commande de ma première exposition personnelle à Sainte-Rose. Jusqu’à cette période, je ne me considèrais pas encore comme une artiste. Je trouvais que le poids d’être artiste était trop lourd à porter, trop douloureux.

Je pense que le déclic, je l’ai eu le jour où j’ai appelé mes parents pour leurs annoncer que je comptais démissionner pour devenir artiste professionnelle. Ce à quoi ils ont simplement répondu : « Ah, enfin. Depuis que tu es née on sait que tu es une artiste, on ne voulait pas te bousculer». Ca a été le premier électrochoc.  Je me considère artiste professionnelle, depuis 2013. Depuis 2013, je vis grâce à l’art, des expositions, des collaborations, des salons…

Crédit : Anaïs Verspan
RTM | Dans une de tes interviews, tu parles d’écriture plastique. Aurais-tu pu être écrivaine ?

Anaïs | Le fantasme d’être écrivaine ! J’utilise le terme “écriture plastique” car j’utilise les mêmes techniques que les écrivains ou les cinéastes. Je cherche à rendre l’histoire palpable. Je lis aussi beaucoup. Je pense qu’il y a énormément de similitude entre l’écriture et la peinture, et que les deux sont liées. Lorsque certains écrivains disent qu’ils aimeraient peindre leurs mots, ce n’est pas anecdotique.

RTM | La quête de son soi est-elle importante pour réussir à se définir en tant qu’artiste ?

Anaïs | Il existe plusieurs catégories d’artistes. En ce qui me concerne, en tant qu’Anaïs Verspan, c’est important. L’être que je suis est en rapport avec la peinture que je crée. L’être guadeloupéenne que je suis évolue en même temps que son art. Pour moi, ça va de pair. Je ne voulais pas peindre pour peindre, je souhaitais arriver sur le marché de l’art justement avec une écriture propre. Etre artiste, c’est être sincère. Une véracité brute, qui transparait et éclate d’elle même.

RTM | Ton art est-il politique ?

Anaïs | L’artiste a le pouvoir de parler de choses tabous ou difficile à exprimer, de manière subtile, frontale ou provocatrice. Je considère que mon art est politique au sens premier du termes. Mon rôle est d’interpeller grâce à mon art, grâce à mon esthétique.

Naitre artiste, c’est naitre en extraterrestre. C’est voir le monde avec des lunettes 3D. C’est un pouvoir et une liberté inouïe. Mais c’est aussi une grande responsabilité.

“Dans les arts, comme dans bien d’autres domaines, il faut faire plus que les hommes pour simplement prouver que tu existes.”

RTM | Comment définirais-tu, justement ton art ?

Anaïs | Mon art est. Mon art, c’est un bout de moi. Mon art est, et j’espère qu’il est universel et intemporel.

RTM | « Viv vi aw, pa vann nanm aw ». C’est une citation que tu répètes souvent en interview. Que signifie « ne pas vendre son âme » en tant qu’artiste ?

Anaïs | Pour l’anecdote, cette citation est né lors d’un nouvel an que j’organisais à la maison en 2006. Nous avions fait un grand tableau où il fallait mettre nos 10 résolutions. A la 10ème résolution, nous n’avions plus d’inspiration et j’ai écrit « Viv vi aw, pa vann nanm aw ». Ce slogan n’a cessé de me suivre depuis. J’en ai fait des T-shirts puis je me suis rendue compte qu’il ne résonnait pas qu’en moi. Cette citation a d’autant plus de résonnance quand tu es artiste. Le challenge quand tu es artiste, c’est d’avoir l’opportunité de vivre de son art et en même temps de pouvoir créer dans son laboratoire, d’être libre de créer. Le marché français de l’art et les commandes publiques ont beaucoup altéré la création. La création est beaucoup moins libre. « Viv vi aw, pa van nanm aw », c’est vis ta vie, mais reste vigilent !

RTM | Tu te définis comme femme guadeloupéenne. Que signifie être guadeloupéenne pour toi ?

Anaïs | Quelque chose de très imaginaire, car il n’y a pas de passeport guadeloupéen mais il y a cette culture qui nous réunit. Quand on est tous dans le Mas*, dans le carnaval et qu’on ne forme plus qu’un. C’est tout et rien à la fois. Il y a une manière de vivre à la guadeloupéenne. La guadeloupéenne est paradoxale. Elle est forte. Sé on métrès fanm, on mal nonm. Elle peut avoir les mains dans les poches, porter ses louboutin, être super class, sortir son gros « tchip » et s’asseoir par terre. La femme guadeloupéenne, est une femme qui s’adapte. C’est une femme passionnée, qui n’hésite pas à défoncer des portes. Elle ne baisse pas les bras. C’est une combattante. Une vraie Reine Des Temps Modernes.

Je suis toutes ces femmes, parce que je m’inspire de chacune d’elles.

Crédit : Anaïs Verspan
RTM | Guadeloupéenne plus que caribéenne ?

Anaïs | Je suis fondamentalement guadeloupéenne même si je vis la Caraïbe. Je me sens plus « Guadeloupe West Indies » que « French West Indies ». La Guadeloupe sera réellement caribéenne le jour où elle sera réellement indépendante comme ses frères caribéens. Aujourd’hui les rapports ne sont pas équitables. Nous sommes une île caribéenne, mais française. Nous avons déjà beaucoup de mal à nous dire guadeloupéen ! Les Caraibéens représentent leurs pays fièrement à travers le monde. Nous avons encore beaucoup de conflits internes à régler avant de pouvoir nous sentir caribéen comme un haïtien ou un dominiquais pourrait fièrement le faire.

RTM | La douleur et les cicatrices sont des thèmes que tu n’as pas peur d’aborder. En quoi est-ce nécessaire pour toi de plonger corps et âme dans ces thèmes douloureux ?

Anaïs | Les cicatrices ont toujours fait partie de moi. J’ai des cicatrices partout. Je ne les ai jamais cachées. Je remercie d’ailleurs mes parents pour cette éducation sans complexes. Si je peux par mes œuvres aborder la douleur différemment et permettre à d’autre de le faire sans gêne ni honte, alors j’ai réussi ma mission. Je souhaite décomplexer certaines situations, certains tabous. Le cancer par exemple. Lorsque j’ai eu mon cancer, je me suis rasée la tête. On me disait qu’il fallait mettre une perruque. J’ai refusé, j’ai dis non. Il faut pouvoir être soi et être vrai, quitte à gêner l’autre. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas de tabou par rapport à mon cancer. Il y a beaucoup de personnes qui vivent des choses douloureuses, qui les vivent seules et dans le silence. Je ne veux pas que ce soit mon cas. La vie est belle. Ce qui compte c’est la vie ! 

RTM | La spiritualité occupe-t-elle une place importante dans ton art ?

Anais | La spiritualité est importante dans ma vie !  Je suis une afro-descendante, en toute chose il y a une âme. Donc obligatoirement, la spiritualité est en moi. J’essaye en tant que guadeloupéenne, contemporaine, de faire l’équilibre entre les pratiques ancestrales de mes mères, grand-mères et de les mêler à nos pratiques contemporaines, de les sauvegarder. Nous sommes justes des vecteurs. J’ai décidé d’être vecteur de bonne chose, d’amour.

“La Guadeloupe sera réellement caribéenne le jour où elle sera réellement indépendante comme ses frères caribéens. Aujourd’hui les rapports ne sont pas équitables.”

RTM | Si tu devais nous citer une difficulté rencontrée pendant ton parcours, quelle serait-elle ? 

Anaïs | Le fait d’être une femme artiste. Dans les arts, comme dans bien d’autres domaines, il faut faire plus que les hommes pour simplement prouver que tu existes. Au début, on ne te prend pas au sérieux, on pense que tu pratiques la peinture par loisir, que tu fais du collage et du coloriage. On ne te prend pas au sérieux.

Certes les choses évoluent mais beaucoup trop lentement. C’est aussi à nous, femmes, de changer le game, ne pas attendre que les choses changent d’elles mêmes. La posture de femme artiste est importante. Combien d’hommes artistes ont arrêté leur carrière parce qu’ils étaient papa ? Aucun. Notre société ne pense pas aux femmes. Elle ne pense pas aux carrières des femmes. Il y a un vrai besoin de s’organiser en sororité. Demain, si on me propose une résidence, il ne faut pas que je me retrouve à refuser parce que je ne sais pas comment m’occuper de ma fille.

Il faut que le contrat prévoie une baby-sitter par exemple. C’est toute une vision que nous devons revoir. C’est à nous de bousculer les choses.

Je refuse le fantasme de la femme artiste qui a abandonné ses enfants. L’avantage d’être une femme artiste guadeloupéenne, c’est que tu as toute une tribu autour de toi, une organisation, une famille sur qui tu peux compter. C’est d’ailleurs pour cela que je suis rentrée.

Crédit : Anaïs Verspan
RTM | Comment l’as-tu surmonté ?

Anaïs | En donnant un coup de pied dans le monde de l’art. Chaque fois que je vendais une œuvre, je mettais de l’argent de côté pour monter mes propres expositions. Ma création ne peut pas attendre. Il y a une citation de Gérard Lockel qui dit : « Kwè san las ». “Ne cesse jamais de croire “. Ne rien lâcher. Jamais. Si c’est ce que tu veux, donnes toi les moyens. Je pense que l’univers aussi apporte des réponses mais il faut être prêt à les recevoir.

RTM | Qu’est ce qui fait de Anaïs, une Reine Des Temps Modernes ?

Anaïs | Heureusement que je suis noire, sinon j’aurais rougi. Je pense que je suis une Reine Des Temps Modernes car j’ai choisi d’être la somme de toutes ces Reines qui m’inspirent. Nous n’avons rien inventé. Il  y a tellement de grandes femmes dans le monde, tellement de grandes femmes chez nous, nous nous devons d’être des Reines. C’est un héritage.  En chaque femme sommeille une QUEEN. Donc comme disait mon aïeule : « Qui m’aime, me suive » !

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