Roxane Yap (Entrepreneuse) – ” Il était temps d’arrêter de mendier une place, une crédibilité “

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J’ai eu la chance de rencontrer Roxane il y a déjà quelques mois grâce à la magie des réseaux sociaux. Elle m’avait contacté dans le cadre du projet Reines Des Temps Modernes pour me parler du tout nouvel espace qu’elle s’apprêtait à ouvrir à Boulogne Billancourt : une librairie, salon de thé promotionnant la littérature afro. Vous imaginez bien que je n’ai pas hésité une seule seconde et qu’il me tardait d’en savoir plus.

Autour d’un bon verre et d’un bon petit plat, nous nous sommes rencontrées et avons échangé sur nos projets respectifs, nos parcours, nos combats. Au fur et à mesure de la conversation, je prends réellement conscience de l’envergure de son projet et de tout ce que cela représente en termes de travail, d’investissement mais surtout de passion. Je décide rapidement que Roxane sera mon prochain portrait RTM. Son amour des livres, sa persévérance et sa détermination à mener à bien son projet Lis Thés Ratures ne tardent pas à me convaincre.

Roxane Yap, 26 ans, libraire de profession et aujourd’hui entrepreneuse est ma Reine Des Temps Modernes de la semaine.

Wendie – Bonjour Roxane, on va commencer par le commencement. Qui est Roxane ?

Roxane – Bonjour Wendie. Je m’appelle Roxane Yap. J’ai 26 ans. Je suis née à Clichy, d’un père camerounais et d’une mère française. J’ai grandi en France jusqu’en 2000. Date à laquelle ma famille est partie s’installer au Cameroun. Mes parents avaient pour projet d’y ouvrir une école. Nous y sommes restés jusqu’en 2003. La même année, alors que nous passions nos vacances d’été dans le sud de la France avec ma mère, mon père a eu un accident au Cameroun et est décédé là bas. Nous n’y sommes jamais repartis et avons décidé de nous installer dans le sud avec ma mère.

A mes 18 ans, j’ai tout plaqué : mes études, mon appartement dans le sud… et je suis venue me réinstaller à Paris. J’ai commencé par des petits boulots, puis j’ai eu la chance de signer un premier contrat en tant que libraire. Cela fait maintenant 8 ans que je suis libraire.

Wendie – Tu es donc une passionnée du livre. D’où te vient cet amour pour les livres ?

Roxane – Le fait que ma mère soit professeur de français a sûrement beaucoup aidé. J’ai toujours aimé les livres, la lecture, l’écriture. A 19 ans, j’ai publié mon premier roman, une comédie romantique, qui s’intitule « Ils ne se marièrent pas, n’eurent pas d’enfants mais… ». Une expérience qui m’a d’ailleurs permis de mieux découvrir le monde de l’édition.

Cette année, j’ai sorti mon deuxième roman, dans un registre un peu plus sombre où je parle de harcèlement au travail. Une expérience qui relate une expérience personnelle vécue récemment.

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Wendie – Après 8 ans de loyaux services dans le secteur de l’édition et des librairies, tu décides de tout plaquer en juillet 2015. Que s’est-il passé ?

Roxane – Cela faisait déjà quelques années que je travaillais pour une célèbre librairie parisienne, ajoutée à cela mes expériences précédentes, et mon constat était toujours le même : un manque flagrant de propositions d’auteurs africains, afro-descendants et créoles dans les surfaces culturelles.

Suite à des discussions avec ma direction, j’ai décidé de changer un peu la donne à ma manière. Au début, j’ai pu installer une petit table tout au fond de la librairie pour la littérature africaine puis petit à petit, je me suis débrouillée pour insérer aux tables de littérature française, des auteurs afro-descendants, afropéens, maghrébins…

J’ai ensuite voulu diversifier les auteurs qui venaient en dédicace. J’ai invité des auteurs de BD, des romanciers, des essayistes… J’essayais à ma manière de rééquilibrer la visibilité que l’on accordait aux auteurs.

Jusqu’au jour où un de mes collègues, à l’occasion d’une dédicace d’un auteur afro, me signifie devant d’autres collègues, qu’il trouve ma démarche communautariste car je n’invite que le même « types » d’auteurs.

C’est toujours assez drôle de voir que le communautarisme vient toujours du côté des minorités, jamais de l’autre.

Wendie – Comment réagis-tu à ce moment là face à ces remarques ?

Roxane – Je me sens humiliée. Surtout qu’au même instant, mes autres collègues viennent en renfort pour soutenir ses propos. A partir de là, ça a été la descente aux enfers.

Lorsque j’ai tenté de remonter la situation à ma direction, on m’a fait comprendre qu’il ne fallait pas que je sois parano, que j’étais sûrement trop émotive ou trop passionnée.

C’est à ce moment là que je me suis dit qu’il était temps d’arrêter de mendier une place, une crédibilité, une visibilité dans des espaces, des entreprises qui ne savent ni nous voir, ni nous respecter.  J’ai donc décidé de créer mon propre espace.

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Wendie – Peux – tu donc nous en dire plus sur ce nouvel espace que tu t’apprêtes à ouvrir qui se nomme « Lis thés ratures » ?

Roxane – Lis thés ratures, c’est une librairie-salon de thé  avec un espace de coworking. C’est un espace ouvert à tous : aux artistes, créatifs, cadres, porteurs de projets… Un lieu où chacun y trouve sa place et son espace.

J’avais envie de créer un lieu accessible à tous, un lieu pour mettre en avant les travaux des jeunes auteurs, de photographes, peintres ou designers moins connus. Un lieu qui permette de rééquilibrer la visibilité, le temps de parole et la possibilité d’échange notamment dans la communauté afro.

C’est aussi un espace pour les porteurs de projets, les créateurs d’entreprises qui cherchent un endroit cosy  et chaleureux pour travailler.

C’est un lieu à la fois de rencontre, de découverte, d’échanges, où l’on se mélange et où l’on s’ouvre à l’autre.

Wendie – Combien de temps a-t-il fallu pour que tu te lances ?

Roxane – Il m’a d’abord fallu quelques mois suite à ma démission pour me remettre sur pieds. J’avais besoin de prendre du recul sur tout ce qu’il s’était passé, du harcèlement que j’avais subi au travail. Il m’a fallu le temps de digérer.

J’ai démissionné en juillet 2015 et je me suis vraiment lancée 2 voire 3 mois après. Mais l’idée du projet était déjà en gestation depuis quelques temps.

Wendie – Comment à 26 ans, on parvient à ouvrir sa propre librairie? Quelles ont été les étapes clés de ton aventure ?   

Roxane – Une fois que l’idée et le concept étaient relativement clairs dans ma tête, je me suis rapprochée du réseau « le groupement des créateurs parisiens » qui m’a accompagné dans la réalisation de mon business plan. C’est une étape très pénible mais elle est nécessaire lorsque vous souhaitez trouver des fonds pour financer votre projet. Pendant environ 4 mois, période qu’ils appellent la phase d’émergence, j’ai dû budgéter, calculer, réaliser mon étude de marché afin de réaliser mon business plan.

Ensuite, j’ai suivi une formation qui s’appelle le DUCA (diplôme universitaire de créateur d’activités). Ce n’est pas obligatoire mais elle permet d’apporter des notions de comptabilité et de marketing supplémentaires.

Puis je me suis mise en relation avec ma banque pour leur faire part de mon projet afin d’obtenir un prêt. Je recommande de passer par sa banque personnelle car généralement ils/elles vous connaissent et peuvent apporter leur commentaire à votre business plan notamment. C’est une phase importante car il y va de la viabilité de l’entreprise.

En parallèle de cette phase d’échange avec ma banque, je me suis rapprochée du réseau France Active et de son antenne Haut de Seine Initiative qui propose un financement complémentaire au prêt bancaire et qui vient donc s’ajouter à l’apport. Ils se portent aussi garant du prêt que vous réalisez auprès de votre banque.

Mon projet a été validé par le réseau. J’ai donc obtenu le financement de France Active et mon prêt bancaire a été accepté fin août 2016. Depuis septembre 2016, les travaux ont commencé et sont actuellement en pleine phase de finalisation car nous prévoyons d’ouvrir nos portes fin janvier 2017.

L’une de mes missions actuellement est de justement commencer à créer ce réseau d’auteurs et d’artistes qui viendront se produire ou exposer dès l’ouverture des lieux.

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Wendie – Est-ce qu’il y a des auteurs ou des artistes que tu aimerais accueillir ?

Roxane – Je rêverais de recevoir l’auteure franco-marocaine Saphia Azzedine. Elle écrit beaucoup sur la condition des femmes. Ses romans mettent souvent en scène des femmes qui doivent faire face au poids de la religion, de la tradition dans les sociétés modernes dans lesquelles elles évoluent.

J’apprécie aussi énormément le travail de la réalisatrice Amandine Gay. Son film « Ouvrir la voix » est selon moi d’utilité publique.

Je cite beaucoup de femmes, mais c’est vrai que les auteures  m’inspirent beaucoup. Je pense aussi à Léonora Miano ou encore Marie Ndiaye. Ce serait un véritable honneur que de les recevoir.

J’aimerais aussi accueillir des auteurs de BD, de beaux-livres, toutes ces catégories littéraires que l’on ne connait pas forcément.

Wendie – J’ai une dernière question. C’est un peu le passage obligé sur le blog. Quelle est ta définition d’une Reines Des Temps Modernes ?

Roxane – Selon moi, c’est une femme qui, quelque soit sa couleur, sa religion ou son âge réussit à briser le plafond de verre. Ce sont toutes ces femmes qui parviennent à devenir avocate, scientifique, écrivaine, astronaute malgré les barrières imposées par la société.

Ce sont toutes ces femmes qui se lèvent tous les matins, qui partent à la recherche d’un appartement ou d’un emploi avec la boule au ventre parce qu’elles ne savent pas si les refus auxquels elles font face sont dûs à leurs compétences, à la couleur de leur peau ou à leur religion.

Ce sont toutes ces femmes qui « dealent » avec ces craintes tous les jours, des femmes que l’on ne voit pas, qui sont souvent invisibles mais qui ont de magnifiques projets et qui se battent pour les réaliser.

7 Commentaires

  1. BRAVO Roxane,
    Tu es une vraie fille de Bogso, la chefferie dont est issu ton père, Alain YAP,
    BRAVO Roxane, c’est avec un réel plaisir que nous passerons à Lis Thés Ratures et ferons connaître cet endroit.
    Fière de ton parcours.

  2. A l’attention de Madame Roxane YAP,

    Bonjour,

    Je me présente je suis Sabeshan, représentant de Monsieur KAMTCHUENG.

    Je fais suite à votre article qui est très intéressant, en tenant à vous présenter l’écrivain M. KAMTCHUENG qui est en pleine promotion de son livre : Le Manifeste de la Raison Objective. Et éventuellement il souhaiterais vous rencontrer afin d’échanger sur une potentielle collaboration concernant votre librairie.

    Liens pour le connaître un peu plus : https://www.facebook.com/ckamtchueng/
    https://www.youtube.com/watch?v=N2kZUQGxJ0g&t=45s
    christiankamtchueng.fr

    Cordialement,

  3. C’est magnifique ce qu’elle est entrain de faire. Trouver les livres à travers le pan-Afrique est difficile au moins, pourtant très important pour notre développement. Mes propres parents ont fait pareil (mais ici aux États-Unis) quand ils avaient environ le même âge. Je sais le niveau de travail et dévouement nécessaire pour réussir à quelque chose comme ça donc si je me trouve en France, visiter sa librairie sera la première chose que je ferai. Je lui souhaite tout le meilleur.

  4. Bravo Roxane,
    C’est une idée géniale que tu as eu.Je suis fier de toi depuis le Congo-Brazzaville.
    De mon coté, je suis écrivain indépendant ; en effet, je voudrai avoir des conseils de votre part a propos des publications de mes revus a l’étranger.Votre Feedback me serai très profitable.

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