Et si on parlait des castes ? Quand on entend « caste » on pense souvent à l’Inde alors que le système de castes est ancré dans les traditions africaines.
Si vous êtes originaire du Sénégal ou du Mali par exemple, le système des castes ne doit pas vous être inconnu : un tel ne peut pas se marier avec un tel car lui c’est un noble et elle une esclave et vice versa. Avec l’immigration et l’arrivée de nos parents en France qui ont donné naissance à des enfants français cette coutume est peut-être de moins en moins présente mais elle existe. Les castes peuvent même être au cœur de vrais drames familiaux et être responsable de la fin de beaucoup d’histoires d’amour.
Alors d’où viennent ces traditions, sont-elles compatibles avec l’Islam (nous parlerons ici de religion car je prendrai l’exemple du Sénégal pays majoritairement peuplé de musulmans), quelle place pour les castes dans notre société actuelle ?
Pourquoi cette catégorisation, l’exemple des sénégalais
Je prendrai ici un cas que je connais, le Sénégal, mon pays. Nous avons plusieurs castes qui vont de l’esclave au forgeron en passant par le poissonnier, le griot ou le noble. Par exemple, les esclaves ne peuvent pas se marier avec les nobles, les nobles ne peuvent se marier avec les poissonniers etc.
Les castes sont liées aux catégories socio-professionnelles et se décomposent en deux groupes : les artisans (forgerons, cordonniers, ébénistes) et les artisans de la parole les griots (gawol) qui constituent la caste « inférieure » et les nobles (entre autres les toorodos) qui sont censés représenter la caste supérieure et ne peuvent en théorie se marier qu’entre eux.
Les peuls sont très à cheval sur ces coutumes. Les parents pensent que si leur enfant se marie avec une caste qui n’est pas la sienne (surtout si un noble se marie avec une caste inférieure en fait) cela va nuire à la réputation de sa famille. Cela va jeter l’opprobre sur la famille et obliger le ou la marié e à devenir esclave à son tour.
Ces coutumes sont encore très ancrées au Sénégal et impactent même la vie politique. Par exemple, en 2012 le chanteur Youssou N’Dour a présenté sa candidature aux élections présidentielles sénégalaises. Outre le fait que la candidature de Wade a été trafiquée, quand on évoquait la candidature de l’homme au CV plus que remplit (star internationale, patron d’un groupe de presse, engagé socialement, etc. ) les hommes politiques évoquaient sa caste inférieure et prévoyaient déjà qu’il ne serait jamais président. En effet, les hommes politiques appartenant à une caste inférieure sont souvent « cantonnés » au second rôle. Dans les partis politiques on a souvent peur de les mettre en avant car on dit qu’ils portent la poisse. Autre histoire politique, le tollé provoqué par l’ancien président Wade quand il a « insulté » l’actuel président Macky Sall (appartenant à la caste des Seebés aka les guerriers, ils appartiennent à la noblesse sans être la crème de la crème). En substance Wade a dit « c’est un descendant d’esclaves (maccubés). Ses parents étaient anthropophages ( …) Ils mangeaient des bébés et on les a chassé du village (…) Jamais mon fils Karim n’acceptera que Macky Sall soit au-dessus de lui ». Ces propos ont été prononcés dans le cadre du procès de Karim Wade, fils de l’ancien président jugé notamment pour enrichissement illicite. Bref, cet incident a fait beaucoup de bruit et a remonté l’entourage du président Sall. On constate quand même qu’au sein de l’élite sénégalaise cette histoire de caste n’est pas un détail et même si le Sénégal est perçu comme une démocratie exemplaire, les castes restent importantes et structurent visiblement une partie de la vie politique. Les castes sont basées sur la spécialisation professionnelle même si aujourd’hui un griot peut accéder à n’importe quel métier en politique, les premières places restent quand même trustées par les nobles !
Que vaut vraiment la classification de nobles en France ?
En France, ces traditions se perdent de plus en plus. En effet, les parents immigrés qui ont quitté leur pays n’ont pas forcément transmis ces traditions, ces coutumes à leurs enfants. La classification de nobles est-elle pertinente quand dans un pays vous exercez la même profession, vous vous confrontez aux mêmes obstacles et aux mêmes discriminations. La notion de caste sociale devient très obsolète dans cet environnement hostile. A ma connaissance, le système de caste en France se manifeste seulement lors des fêtes ou lors de mariages pendant lesquels les castes inférieures doivent s’occuper des préparatifs. Même si votre caste vous marque à vie car la seule évocation de votre nom de famille peut donner un indice sur votre caste par exemple les Ba, les Diallo sont généralement des nobles, dans la real life cela n’a pas de grande incidence à part pour certaines personnes.
Récit d’une histoire
Récemment, j’ai assisté à une histoire mêlant amour et caste. Clairement c’est ce qui m’a donné l’idée de cet article. Récemment, j’ai donc assisté de loin à une histoire de caste. Moussa veut se marier avec Habby mais Moussa est esclave (maccudo) et Habby est noble (torrodo). Leurs parents se connaissent. Au début, tout commence comme une histoire de couple normal, ils se rencontrent sur les bancs de l’Université. Ils sont très pieux (ils sont musulmans c’est important de le préciser vous verrez pourquoi), ils décident de poursuivre leurs études et de se marier à la fin de leur parcours scolaire, dès qu’ils seront stables professionnellement. Le jour de la stabilité professionnelle arrive enfin. Habby parle de Moussa à ses parents, Moussa parle d’Habby à ses parents. Les parents d’Habby sont catégoriques, tu ne te marieras pas avec un maccudo. Du côté de la famille de Moussa, c’est plus nuancé: « oui pourquoi pas », « mais attention tu appartiens à une caste inférieure, cela risque de ne pas passer ». Les parents de Moussa ont raison. Suite à cette annonce, les parents de Moussa appellent ceux d’Habby pour discuter entre adultes et ils reçoivent des insultes. Il n’en faut pas plus pour piquer la fierté des parents de Moussa qui sont désormais contre cette union. Et au milieu de tout cela, un jeune homme, une jeune femme qui ont voulu faire les choses dans les règles, dans les règles de l’Islam.
Des mois passent, des intermédiaires également mais rien y fait les parents restent sur leurs positions. Puis la situation se décante au bout d’un an et demi, Habby tombe enceinte. Tout s’accélère les 4 parents sont bizarrement beaucoup plus disposés à marier les deux tourtereaux. Ils se marient dans la semaine. Les deux jeunes mariés sont tout de même tristes, avoir des relations sexuelles en dehors du mariage est un immense péché mais le mal est fait !
Alors pas de morale à cette histoire mais je pensais vraiment que ces histoires de caste appartenaient à un ancien temps. Les gens vivant au Sénégal sont de moins en moins attachés à cette tradition. Comment imaginer qu’en France des personnes soient encore attachées à cette tradition. Comment imaginer que des hommes, des femmes ayant immigrés dans un pays étranger au lieu de se rassembler, célèbrent leur différence !
Saffi