Il y a de ça très longtemps, un bateau était amarré prêt des côtes d’une île. Ses trois mats pointaient vers le ciel et ses voiles blanches se gonflaient déjà au rythme du vent. Sa coque imposante flottait sur l’eau cristalline.
Il y avait là deux voyageurs qui n’attendaient qu’un signe du Ciel pour embarquer. Fatigué d’attendre, l’un deux s’avança sur la passerelle et monta sur le bateau. Il regarda rapidement l’embarcation, puis se dirigea spontanément vers le gouvernail. Il n’avait jamais dirigé une embarcation de cette taille, mais son désir de voir les océans était grand, alors il s’installa à la barre, prêt à partir. L’autre voyageur, plus craintif, s’avança sur la passerelle. Lorsqu’il arriva sur le navire, il fut frappé par la hauteur des mats et l’odeur de sel qui envahissait déjà ses narines. Il commençait à avoir peur, pensant à l’immensité de l’océan qui allait bientôt l’entourer. Il s’avança sur le pont et s’accouda à la rambarde qui le séparait des eaux. Le premier voyageur, tourna le gouvernail et le bateau se mit à avancer. Il glissait très vite sur les vagues et en quelques instants, l’île n’était plus qu’une tâche noire au milieu des eaux. Celui qui était au commande regardait devant lui . Il sentait le poids du navire sous ses mains. Ses gestes étaient imprécis mais il avait confiance. Un grand vent s’engouffra dans les voiles, faisant tanguer dangereusement le bateau. Il s’accrocha à la barre et tourna légèrement la manivelle. Petit à petit il prit plus d’assurance et compris comment diriger le navire. Il était si heureux d’avoir la chance d’admirer la mer et le ciel. Lorsque la nuit tomba, il demanda à l’autre voyageur de venir le rejoindre. Lui était toujours sur le pont , scrutant la mer. Il lui dit : « Rejoins moi d’ici la vue est bien plus belle » . L’autre leva la tête et lui dit : « Je suis bien ici, je te rejoindrai plus tard». En vérité, il avait peur de quitter sa rambarde pour monter les escaliers qui menait au pont supérieur. Il commençait tout juste à apprécier la traversée. « Très bien » lui répondit le premier voyageur.
Quatre jours passèrent ainsi et le premier voyageur commençait à se sentir bien seul devant le gouvernail. Les merveilles qu’il voyait lui semblait maintenant banales et il se sentait triste. Il rappela l’autre voyageur « Voici quatre jours que tu es accoudé comme ça à la rambarde, à baisser la tête pour voir la mer. Monte avec moi tu la verras de face ». Toujours pas rassuré, le second voyageur lui répondit «Non pas encore, mais ne t’en fait pas je viendrai ». Agacé et attristé, le premier voyageur décida de lâcher le gouvernail et de quitter le pont supérieur. Il descendit les marches, se dirigea vers la proue du bateau, s’assit là et ne bougea plus. À ce moment là, le tonnerre gronda et un vent violent se leva. De gros nuages gris se dirigeaient vers le navire. Les vagues frappaient maintenant sa coque, de plus en plus fort. Les voiles se débattaient tandis que des bourrasques de vent giflaient leurs toiles blanches.
Le second passager se retourna affolé. Il vit qu’il n’y avait personne à la barre. Le bateau dérivait dans tous les sens. Les deux voyageurs étaient propulsés de chaque côté du bateau, leurs têtes cognant contre le sol. Le navire vira brusquement à droite. Le premier passager roula sur le pont, frappa la rambarde et tomba à l’eau. Le second passager qui avait vu la scène hurla en appelant son compagnon. Comme il était prêt du mat, il prit son courage à deux mains et s’agrippa au mât pour se redresser. Là, il détacha l’une des cordes qui entourait le poteau de bois et la lança à la mer, dans l’espoir que son compagnon puisse l’attraper. La tempête redoublait de force et le navire risquait de chavirer à tout moment. Le second passager se mit alors à courir vers le pont supérieur. Le vent lui faisait perdre l’équilibre, il tombait sur le pont, glissait, trébuchait, mais chaque fois, il se relevait dans l’espoir d’atteindre le gouvernail. Après de nombreuses chutes, il parvint enfin jusqu’à la barre. La mer était déchainée, les vagues se dressaient comme des murs gigantesques pour se répandre violemment contre le pont du bateau. Le vent secouait les voiles, et le second passager avait beaucoup de mal à rester accroché à la barre. Il tourna avec force vers la gauche. Le bateau se redressa mais presque aussitôt une vague le repoussa vers la droite. Il vira de plus belle sur la gauche et le navire se redressa difficilement. Au bout de plusieurs minutes d’une lutte qui lui parut interminable, il réussit finalement à stabiliser le bateau. Plus loin, il distinguait le ciel qui commençait à se dégager. Les vagues se faisaient plus douce, et les claques du vent sur son visage se transformaient peu à peu en de légères et rassurantes caresses.
Il était là. Debout devant l’immensité. Le gouvernail à la main. Son cœur battait la chamade. Il n’aurait jamais pensé se tenir un jour, debout face à l’océan. « C’est magnifique » pensa-t-il. Cette pensée s’arrêta nette lorsque ses yeux tombèrent sur la rambarde, à l’endroit ou son compagnon de galère avait basculé quelques instants plus tôt. «Maintenant que je suis debout, tu n’es plus là. Pardonne-moi. ». Au moment même où une larme commençait à rouler sur sa joue, la corde qu’il avait lancée frémit et il vit la main du premier voyageur s’accrocher à la rambarde. Il fit un mouvement pour venir l’aider, mais se ravisa sachant désormais que le gouvernail ne pouvait être abandonné. Son cœur était serré, torturé par l’envie de courir au secours du rescapé. C’est alors que celui-ci lui cria « Tout va bien, je remonte regarde. » Le premier voyageur que l’on croyait perdu, s’agrippa de ses deux mains à la rambarde, passa une jambe par-dessus, puis l’autre. Il était sauvé des eaux et regardait le second passager l’air étonné. Pendant la tempête, il pensait sincèrement que la fin était venue. Et quand la corde lancée par le second voyageur lui toucha la tête, il s’accrocha à elle de toutes ses forces, luttant contre le vent et la mer agitée qui tentait de le faire sombrer.
Le soleil commençait à se coucher, et les étoiles pointaient déjà dans le ciel. « Allez viens, tu avais raison la vue est plus belle d’ici. » Le premier voyageur sourit, grimpa les escaliers de bois qui menait au gouvernail et s’installa aux côtés de l’autre voyageur. Tout deux regardaient désormais vers l’horizon, scintillant mélange entre la mer et le ciel. Le premier voyageur dit alors : « Quelque chose à changer maintenant, c’est encore plus beau qu’avant. »
Auteure : PoetikeProzaik