Stevy Mahy (Artiste) – ” Quand tu es artiste, le plus important c’est de créer”

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Chanteuse, réalisatrice, artiste … Stevy Mahy est le genre de femme qui n’aime pas les étiquettes. Femme polymathe, multitâche, au cours d’un entretien tout aussi captivant qu’enivrant, cette Reine Des Temps Modernes a accepté de nous faire partager son expérience de femme, de femme qui s’autorise à être.

Cette expérience de l’acceptation de soi, de l’acceptation du changement, Stevy Mahy a parfaitement su le résumer dans son dernier album de 12 titres intitulé Renaissance Woman.

Stevy Mahy est une Renaissance Woman et vous qui vous apprêtez à lire ces quelques lignes l’êtes aussi. La seule condition ? Accepter d’embrasser le changement et de tomber amoureuse de la meilleure personne qui soit… c’est-à-dire vous même !

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Wendie : Bonjour Stevy Mahy. Tu baignes dans la musique depuis ta plus tendre enfance. T’orienter vers une carrière musicale est-ce que ça a  toujours été une évidence ?  

Stevy Mahy : Ca a toujours été une évidence. Mais c’est aussi la raison pour laquelle j’ai pris beaucoup de temps à faire de la musique… C’était trop une évidence. Je voulais sortir de ma zone de confort et essayer de me découvrir autrement, autre que par ce qui m’était mis à disposition. La musique était certes une évidence mais elle ne m’était pas indispensable. Dans un premier temps, je me suis donc orientée vers d’autres formes d’expressions. Je suis revenue à la musique bien plus tard.

Wendie : Quelles sont ces formes d’expressions justement ?  

Stevy Mahy : J’étais beaucoup plus sensible à l’image. Je me suis orientée vers l’audiovisuel, la réalisation de documentaires, l’écriture, le film, le montage. Je préférais être derrière la caméra. Je n’avais pas forcément envie d’être au devant de la scène. J’aimais le fait de poser un regard subjectif sur le monde.

Wendie : Quel a été le déclic ? A quel moment as-tu décidé de revenir à la musique ?  

Stevy Mahy : A partir du moment où je me suis rendue compte que je me fuyais. J’ai vite compris que la musique me ramenait à beaucoup trop de choses, beaucoup trop d’introspection. Faire de la musique, c’était m’obliger à assumer tout ce que je n’assumais pas vraiment, assumer qui j’étais. Faire de la musique, c’est monter sur scène, c’est être sur la scène de sa vie. C’était plus simple d’être dans les coulisses. Le fait justement d’avoir grandi dans un univers musical et artistique m’a permis de me débarrasser des artifices liés à la musique. J’étais dans la « musique art », c’est-à-dire une « musique vérité » donc il m’a fallu du temps. Il a fallu que j’apprenne à m’assumer en tant que femme, en tant qu’être, afin de prendre mon courage à deux mains et de me dire « stop ! Arrête de courir ! Arrête de te cacher ». J’ai décidé de revenir à la musique en 2009 lorsque j’ai pris la décision de revenir en Guadeloupe. En revenant en Guadeloupe, je me suis sentie apaisée, je me suis retrouvée. C’est à ce moment là que j’ai vraiment commencé à avoir envie de retranscrire ma musique.

Wendie : Est-ce l’art qui t’a permis de justement te découvrir en tant que femme ?  

Stevy Mahy : Non, bizarrement. Ce sont mes expériences, mes rencontres, mes voyages. Les voyages te poussent à l’introspection surtout lorsque l’on voyage seul, on se confronte à de nouveaux regards, à de nouvelles cultures. Cela permet de questionner sa propre place. C’est ce qui m’a permis de m’interroger sur ma position de femme.

Wendie : Ou puises-tu ton inspiration pour tes projets artistiques ?

Stevy Mahy : Je suis très dans l’observation, dans l’écoute. Je pense réellement que l’on forme un tout. C’est la raison pour laquelle j’apprends beaucoup de l’autre parce que l’autre nous apprend des choses sur nous même. Mon inspiration vient souvent de mes « acquaintances » (connaissances), de mes rencontres, de mes rendez-vous et puis forcément de mon histoire personnelle.

Wendie : A travers tes projets, on se rend compte que tu as tissé un lien particulier avec Haïti. D’où te vient ton amour pour Haïti ?

Stevy Mahy : Je devais avoir entre 11 et 13 ans lorsque j’ai posé mon premier regard amoureux sur Haïti. Le coup de foudre a eu lieu lorsque j’ai lu « Adriana dans tous mes rêves ». C’est ce qui a ouvert mon imaginaire sur le pays, sur cette île, son mysticisme, sa culture. Ca m’a beaucoup intriguée et ça ne m’a plus jamais lâchée. J’ai toujours eu une forme d’admiration pour la « résilience » du peuple haïtien.

Je me rendais compte qu’il y avait un gouffre entre mon imaginaire, ce que j’entendais dire et la réalité. Mon amour pour Haïti a donc clairement commencé par de l’admiration, une admiration qui s’est ensuite transformée en amour profond lorsque je m’y suis rendue pour la première fois suite au tremblement de terre. J’ai enfin pu confronter mon imaginaire à la réalité. A mes yeux, Haïti est la grande sœur de la Guadeloupe, c’est la famille.

Wendie : Te sens-tu femme caribéenne ? Plus que femme guadeloupéenne par exemple ? Que représente la Caraïbe pour toi ?

Stevy Mahy : Je me sens femme afro-descendante. C’est ce qui nous lie à toutes les îles de la Caraïbe. C’est un lien géographique, historique. C’est un lien complexe qui veut dire tellement de choses. Etre femme afro-descendante, c’est être un peu d’ici, un peu d’ailleurs, un peu de partout. Je me sens femme guadeloupéenne. Se sentir femme signifie déjà tellement, se sentir femme guadeloupéenne c’est encore plus d’ambivalence. Ca rend les choses plus difficiles à définir mais ça les rend surtout plus belles.

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Wendie : Quelles sont les difficultés que tu as pu rencontrer au cours de ta carrière en tant que femme artiste ?

Stevy Mahy : La difficulté vient du système dans lequel on évolue en tant que femme artiste. Nous sommes dans une patriarchie, dans un domaine qui ne nous appartient pas, à priori. La difficulté a donc été de faire entendre ma voix sans avoir à utiliser des armes à priori « masculines », en essayant de rester moi-même, en imposant ma voix et ma vision.

Ce qui est intéressant c’est que très vite tu te rends compte que ce qui s’avère être une difficulté dans un premier temps s’avère être une force, tu réalises que le combat ne se fait pas à armes égales et donc naturellement tu t’élèves au dessus du combat, en disant « voilà ce que je suis, c’est à prendre ou à laisser ». Ca nous ramène à la vraie définition de l’art, à savoir une proposition intime, on n’impose rien. L’important c’est d’être le plus légitime avec soi même. En grandissant, on se rend compte que l’on est bien plus qu’un(e) artiste ou qu’une femme. Au début, on veut s’imposer en tant que femme, ensuite on veut s’imposer en tant que femme-artiste et puis au final tu te rends compte que tu es plus que tout ça, je suis un être, je fais ce que j’ai à faire et ma proposition dépasse tout cela, ma proposition dépasse votre entendement, dépasse la façon dont vous recevez les choses. J’ai juste besoin d’être pour être et de créer pour être.

Wendie : Quels conseils donnerais-tu à une personne qui hésite encore à se lancer dans une carrière artistique ?

Stevy Mahy : Lorsque l’on est guidé et mené par cette pulsion artistique, il n’y a pas vraiment de conseils à donner. Je pourrais donner des conseils à des performeurs, mais si on parle d’ARTISTES, je n’ai vraiment pas de conseil à donner. Quand tu es artiste, le plus important c’est de créer. Si ce n’est pas le plus important, il faut aménager sa vie et son temps différemment.  Le plus important c’est de faire ce dont on a envie au final, car même si ça ne marche pas dans l’entendement des autres ou dans ton propre entendement, l’important c’est d’avoir tenté. Je pense que c’est ce que l’on retient à la fin, on ne retient pas les échecs mais les efforts, les choses que l’on a tenté de faire. Et cela quelque soit le domaine, artistique ou autre.

Wendie : Selon toi, d’où te vient cette vision de toi-même ? Cette lucidité sur ce que tu es ?

Stevy Mahy : Je pense que tout part d’une soif. J’ai toujours eu soif de comprendre, de comprendre les autres mais surtout de me comprendre, comprendre mon fonctionnement, comprendre mes cycles, comprendre pourquoi je revivais les mêmes choses, pourquoi j’attirais les mêmes choses. Je n’ai pas le tempérament d’une victime, je pense que l’on est acteur de sa propre vie et en tant qu’artiste, c’est important d’avoir le plus de données possible pour essayer de comprendre la vie. J’ai envie de comprendre pourquoi nous sommes là, pourquoi nous agissons comme cela. On est bien plus que « se lever,  aller travailler ». On a choisi d’être cela, mais on peut être autre chose.

Je sais aussi qu’être femme guadeloupéenne, caribéenne, afro-descendante, ça veut dire un certain nombre de choses. Nous sommes conditionnées différemment, dans notre inconscient collectif, il y a quelque chose de différent. Il faut le comprendre et l’accepter pour prendre conscience des armes et des faiblesses que cela entraîne. Notre vision n’est pas la même si l’on nait homme, si l’on nait majorité ou minorité, ou minorité dans la minorité.

Wendie : Penses-tu que le fait de grandir avec des parents artistes cela offre une certaine liberté ? Une manière différente d’appréhender le monde ?

Stevy Mahy : Je pense que ce qui aide, c’est avoir des parents ouverts, plus que des parents artistes. Ce qui aide c’est d’avoir des parents qui comprennent que leur parcours a été le leur et que le tien est le tien. J’ai eu la chance d’avoir une mère qui a toujours fait ce qu’elle voulait faire. Elle a été la première, même sans rien dire, à me prouver que dans la vie on peut faire ce dont on a envie même si ça va à l’encontre des croyances et de la volonté des autres. Elle m’a aidée à voir le monde de cette manière, à expérimenter.

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Wendie : J’ai envie que l’on parle de ton projet « Renaissance woman ». Peux-tu nous en dire plus sur le choix de ce titre ?
Stevy Mahy : « Renaissance woman », dans un premier temps, parce que cela fait écho à la période de la Renaissance, et plus précisément aux femmes polymathes de la Renaissance. Une période où les femmes prennent artistiquement leur envol et peuvent être plusieurs choses à la fois. Je trouvais le concept intéressant car j’ai souvent culpabilisé d’être plurivalente. Je ne me sens pas aujourd’hui plus chanteuse que réalisatrice par exemple, et je ne comprends pas pourquoi on me forcerait à sacrifier une partie de moi-même que j’affectionne. Sauf que dans la société française actuelle, c’est mal vu de vouloir être multitâche. Et pourtant dans cette même société, on glorifiait à l’époque les femmes polymathes. Ce sont mes voyages qui m’ont appris à ne pas sacrifier mes potentialités. Lorsque l’on ose dire que l’on excelle dans plusieurs domaines, on a l’impression d’être gonflée d’orgueil alors que l’excellence est certes vérifiée par les autres mais est d’abord mesurée par soi.

Puis, j’aimais l’idée qu’un francophone entende « renaissance » comme le fait de naître de nouveau. Et c’est aussi ça. J’aimais l’ambivalence, les deux possibilités car la femme renaissante c’est aussi moi. J’embrasse le changement. Je voulais dire aux femmes de ne pas avoir peur du changement, de ne pas avoir peur de renaître et donc ne pas avoir peur de mourir, de mourir de ce qu’on était hier, de nos envies qui ne sont plus en adéquations, de nos manquements, de la culpabilité… Je me suis rendue compte que les choses qui valaient pour moi valaient aussi pour d’autres : savoir lâcher prise, laisser les choses mourir, repartir dans un nouveau cycle. Je savais par mes rencontres avec d’autres femmes que ce message, elles avaient aussi envie de l’entendre : l’autorisation d’être soi !

Wendie : Combien de temps a-t-il fallu pour réaliser ce projet ?  

Stevy Mahy : Il m’a fallu 3 ans. En 2012, je pressentais qu’il me fallait un changement fort dans ma vie. J’ai décidé de partir m’installer à Miami. Je ne connaissais personnes là bas, et intuitivement j’ai choisi l’environnement de ma renaissance car il fallait que j’aille dans un endroit vierge. Je me rappelle à cette même période avoir reçu le mail d’un jeune homme haïtien qui me disait « On aime beaucoup vos chansons, vous venez tout le temps en Haïti mais en fait vous ne venez pas vraiment en Haïti. Vous allez dans les beaux quartiers, vous allez chanter dans des clubs auxquels on n’aura jamais accès. Quand est-ce que vous venez vraiment en Haïti ? ». Ca m’a marquée. J’ai pris conscience que ma musique devait avoir du sens, encore plus de sens.

J’étais encore pleine de pudeur pour le premier album. Pour cet album, j’ai décidé d’aller au bout de moi-même, de me poser les vraies questions, de prendre du recul sur la relation que j’étais entrain de vivre, sur les gens que j’attirais dans ma vie, sur le rôle que je jouais dans ces situations, sur toutes les fois où je me suis laissée tombée, où j’ai eu honte, où j’ai culpabilisé. Je me suis surtout dit, plus jamais ça.

J’ai donc décidé de me réconcilier avec moi-même, de tomber amoureuse de moi, de me reconquérir, de me demander pardon, du moins j’ai essayé dans un premier temps. Ce qui est magnifique, c’est que tu te rends compte que tu te pardonnes très vite car tu connais toutes tes circonstances. J’étais partie en guerre avec les mauvais soldats. J’avais avec moi les soldats de la culpabilité, du doute, de la peur au lieu d’avoir les soldats de la joie, du courage, de l’amour et de la paix. Tout naturellement mes chansons ont commencé à changer, mon écriture aussi.

J’ai une chanson sur mon dernier album qui s’appelle « Show me » où je dis « I would love you better than that and I’m gonna show you, give me one more second, and I would do my best to love you » où je me parle à moi même. Je dis « donne moi encore une chance, une seconde et je te montrerais que je peux t’aimer plus que cela ». C’est à la fin de la phase d’écriture que je me suis rendue compte que cet album représentait mon cycle, le cycle du changement. Il y avait ma période de deuil, de déni, de lâcher prise et d’éveil. Renaissance woman, c’est donc le jour où je prends la décision révolutionnaire de m’aimer, de regarder mon corps avec tous ses défauts et de lui dire merci pour toutes ces années, merci de me permettre de respirer, de dormir, de rêver, de marcher, de parler.

Renaissance Woman, c’est une expérience d’amour.

Wendie : Pensais-tu qu’il y aurait autant de femmes sensibles  à ces messages ?

Stevy Mahy : Honnêtement oui, car Renaissance Woman ce n’est pas un album, ce n’est pas un projet musical, ce sont des rencontres, des discussions, des échanges.  On passe toutes par les mêmes difficultés. Combien de femmes ont un jour essayé de le « laisser partir », alors que la personne que tu dois laisser partir, c’est toi. La personne que tu dois laisser grandir, c’est toi. Je ne sais pas si ça touche toutes les femmes, mais je sais qu’on a toutes nos blessures.

Mes lectures et mes recherches sur le sujet me ramenaient toujours au même point, tout est lié à un déficit d’amour. Tant que ce n’est pas réglé à ce niveau là, on tourne en rond et ça fait mal. Il faut apprendre à s’affranchir de la souffrance.

Wendie : Est-ce que la Stevy Mahy d’aujourd’hui se sent en accord avec elle même ?

Stevy Mahy : De plus en plus, et bizarrement chaque jour plus. Je suis de plus en plus à l’aise avec moi même, je suis plus en paix. Je prends plus de recul sur tout, sur tout ce « je », ce « jeu » là.

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