Cette semaine, direction la Guadeloupe à la rencontre de Nadine, une camerounaise qui a posé ses bagages sur l’île papillon, il y a plus de 10ans. Chef d’entreprise, styliste, elle est la créatrice de la marque N’Afrikart Premier qui s’est donnée pour mission de faire briller l’artisanat africain au coeur de Pointe-à-Pitre. Rencontre avec notre QUEENSPIRATION de la semaine !
RTM | Bonjour Nadine, bienvenue sur RTM. Est-ce que tu peux te présenter à nos lectrices et lecteurs ?
Nadine | Bonjour Wendie, je suis Nadine C., styliste designer camerounaise, installée en Guadeloupe depuis près de 10 ans maintenant.
RTM | Le métier de designer est arrivé progressivement, avec le temps. Peux-tu nous raconter ton histoire ?
Nadine | Je rêvais de devenir styliste depuis mon plus jeune âge. Je me souviens des émissions que je regardais enfant. Je suis née dans une famille de 6 enfants, et ma grande sœur, qui vit actuellement au Cameroun, avait alors pris cette voix. Mes débuts dans la couture, je les ai fait à ses côtés, lorsque je partais en vacances chez elle notamment.
Mais il a fallu plusieurs années avant que je me lance.
J’ai arrêté l’école assez tôt. Mon père est décédé lorsque j’étais très jeune, et ma mère n’avait plus les moyens de m’envoyer à l’école. Je suis partie vivre avec ma sœur qui ne m’a jamais lâché malgré les difficultés.
Mes premiers jobs, c’était dans le secteur de la coiffure. Puis j’ai intégré des centres de formation de couture, j’ai également eu l’opportunité d’aller me former au Nigéria. Puis j’ai enchainé les petits boulots. J’ai ouvert un restaurant. Il fallait vivre. J’ai mis la couture de côté pendant quelques années.
RTM | Ton rêve te rattrape finalement à ton arrivée en Guadeloupe ?
Nadine | Clairement. Je me suis mariée et avec mon mari nous sommes venus nous installer en Guadeloupe. J’avais 28 ans. Je voulais reprendre les études, mais je me trouvais trop veille pour retourner à l’école. J’avais un CV plein, mais pas de qualification. Je savais coiffer, coudre, vendre… De petits boulots en petits boulots, j’ai ouvert une petite galerie d’art africain. Je vendais des arts africains que je chinais sur le continent.
J’exposais de la décoration d’intérieur, et je mettais également en avant quelques créations que je réalisais mais que je ne vendais pas. Au fur et à mesure, les clients me demandaient si mes créations étaient à vendre. J’ai compris qu’il y avait une demande. Je me suis dit pourquoi ne pas me lancer.
C’est comme cela que j’ai renoué avec la couture et le stylisme.
La galerie d’art s’est transformée en une boutique de prêt-à-porter, et j’ai lancé ma marque N’afrikart Premier.
RTM | Que raconte les créations proposées par N’Afrikart Premier ?
Nadine | N’Afrikart Premier, c’est la mise en valeur d’une mode afro chic. C’est la valorisation des tissus africains et guadeloupéens, à travers des pièces uniques. La mode africaine, ce n’est pas que le wax. Je puise dans la richesse de mes origines pour offrir des pièces modernes inspirées de coupes traditionnelles. N’Afrikart Premier, c’est également le regard d’une camerounaise qui vit en Guadeloupe depuis une dizaine d’années maintenant, et qui retranscrit son expérience dans ses créations.
RTM | Comment s’est passé ton installation et ton intégration sur la scène artistique guadeloupéenne ?
Nadine | Je considère la Guadeloupe comme ma terre d’accueil. Ce qui m’a marqué à mon arrivée, c’est que je pouvais passer pour une guadeloupéenne. Je venais d’ailleurs, mais je me suis tout de suite sentie chez moi.
Au lancement de la marque, il y avait déjà de nombreux créateurs et créatrices antillais ou africains qui travaillaient les tissus africains.
Je me suis faite ma place, en essayant de compléter l’offre avec ma vision, ma touche, mon style, ma signature.
Mon travail est aujourd’hui apprécié et reconnu. Je continue de travailler, de donner, d’évoluer, en prenant en compte les remarques, les retours.
Si l’aventure continue, c’est que je dois persévérer.
RTM | As-tu l’impression que le regard sur la mode africaine a évolué aux Antilles depuis le lancement de ta marque ?
Nadine | Bien sûr. L’engouement autour des tissus africains ne cessent de croitre. Tout le monde se sent de porter des créations inspirées par l’Afrique, quelque soit la culture ou l’origine de celles ou ceux qui les portent. Nos tissus parlent au plus grand nombre. Je trouve simplement dommage qu’il ait fallu attendre que les stars afro-américaines les portent pour que la tendance explose. Nous devons nous approprier nos tissus.
RTM | Qu’est-ce qui inspire tes créations ?
Nadine | L’instant, les femmes, le climat, mon environnement… Les tenues traditionnelles du Cameroun, les tenues que portaient nos mamans que je modernise. J’aime casser les barrières, essayer, innover. Ma terre natale m’inspire, les tissus de la Guadeloupe, le Madras mais aussi le Ndop tissu traditionnel de l’ouest du Cameroun.
J’aime mélanger les genres, les looks, les styles.
RTM | Quel lien gardes-tu avec le Cameroun ?
Nadine | Je suis en contact avec le Cameroun tous les jours. Par whatsapp, pour échanger avec d’autres designers, pour échanger avec mes fournisseurs, pour travailler sur mes nouvelles connexions, être à l’écoute du pays, savoir ce qui se fait là bas, quelles sont les dernières tendances, nouveautés. Et puis évidemment, j’y ai encore ma famille. Le lien ne peut pas être coupé.
RTM | Ta marque parvient-elle à se faire sa place sur la scène caribéenne ?
Nadine | N’afrikart Premier reste une jeune marque, qui apprend à faire face à la concurrence et aux nouveaux modes de communication. C’est challengeant. Mais on avance étape par étape. Je me suis fais une place déjà sur Pointe-à-Pitre (sourire), pour le reste j’y travaille avec mon équipe. On espère prochainement pouvoir toquer aux portes des îles caribéennes.
RTM | Tu as également crée une association qui fait le lien entre la Guadeloupe et le Cameroun. Peux-tu nous la présenter ?
Nadine | J’ai crée l’association « Ntouopce Pouah Nieup » qui signifie « En appui aux enfants de Bangou.
Bangou, c’est le nom du village dont je suis originaire, qui se situe à l’ouest du Cameroun.
Cette association a pour volonté de créer un pont entre la Guadeloupe et le Cameroun. D’un côté, on se donne pour mission d’être un support aux enfants du village en soutenant financièrement des forages afin de leur fournir de l’eau potable. De l’autre coté, on souhaite dire aux femmes qui ont connu des parcours de vie difficiles qu’elles ont aussi droit à la beauté, à l’estime et à la confiance. On propose ainsi des programmes d’accompagnement pour des femmes, des mères qui ont malheureusement perdu confiance en elle suite aux épreuves de la vie.
RTM | Quelles étaient tes motivations ?
Nadine | Ma maman et les enfants du village. Pour l’initiative en Guadeloupe, c’est ma maman qui m’a inspiré, sa vie, son parcours. Quand mon père est décédé, elle n’a jamais refait sa vie, elle est devenue très réservée. Rares sont les fois où je l’ai vu exprimer ses émotions. J’avais l’impression qu’elle n’avait plus réellement goût à la vie, plus d’espoir. J’ai envie de dire aux femmes qui, comme elle, ont traversé des épreuves, qu’elles sont belles et qu’elles ont le droit de se sentir belles.
Pour le projet de puits au Cameroun, ce sont les enfants de mon village qui m’ont inspiré. Il y a quelques années, je suis partie au village en vacances, je devais y rester 2 semaines, j’ai tenu 4 jours… Il n’y avait pas d’eau. La seule eau accessible était celle des marigots. Je me souviens de la naïveté et la maladresse dont j’ai fait preuve. En rentrant, j’ai décidé de lancer une cagnotte.
Dans la vie, il y a un temps pour recevoir, et un temps pour donner. Je sentais que j’avais besoin de donner en retour.
RTM | Peux-tu nous citer 3 femmes qui t’ont inspiré ?
Nadine | Je commencerai pas Monique Koumaté. Cette femme a donné la vie en étant décédé. Il s’agit d’une jeune femme camerounaise, qui a été éventré il y a 3 ans. Arrivée à l’hôpital, faute de moyen, on ne l’a pas prise en charge à temps. Elle était enceinte de jumeaux. Son histoire m’a touché, et c’est ma manière de lui rendre hommage et de lui dire qu’on ne l’oublie pas.
La deuxième, c’est ma grande sœur. Une femme forte, mais également renfermée, comme ma maman, qui a toujours été là pour moi. Elle s’appelle Solange Virginie.
Et la 3ème, c’est moi. La Nadine qui à ses 19 ans a eu un premier enfant avec un homme qui l’a enlevé. La Nadine qui n’a jamais oublié ce premier enfant, et qui l’a retrouvé il y a 2 ans grâce à Facebook. C’est une longue histoire que j’espère pouvoir raconter un jour, mais cette femme là m’inspire aussi.
RTM | Qu’est-ce qui fait de Nadine une Reine Des Temps Modernes ?
Nadine | Je suis bio comme on dit chez moi. Je m’assume, et j’aide d’autres femmes à s’assumer de part les créations que je propose. Je m’assume et j’accepte ce que je suis et ce que je fais.