Notre QUEENSPIRATION de la semaine s’appelle Adeline Rapon. A travers une femme, un regard, mille vécus, mille âmes, mille femmes. Pendant la période du confinement, cette photographe de talent s’est notamment fait remarqué par sa série de portraits rendant hommages aux femmes antillaises. Un travail de réincarnation qui a su attiré l’oeil de bon nombre de médias. Avec plus de 10 ans de vie sur l’internet, elle nous raconte son évolution, sa passion, ses rêves, son militantisme.

Crédit : Adeline Rapon

RTM | Bonjour Adeline, nous sommes ravies de t’accueillir sur RTM. Pour commencer, quels sont les mots que tu choisirais pour introduire ?

Adeline | Adeline Rapon, 30 ans. Photographe habitant à Paris et d’origine martiniquaise et française.

RTM | Tu es présente sur Internet depuis près de 10 ans. Tu as commencé par la création et l’animation d’un blog lifestyle, puis un second de photographie. Aujourd’hui tu cumules des milliers de followers sur Instagram. Quel regard portes-tu sur ces plateformes qui permettent de s’exprimer et d’établir un lien direct avec son public ?

Adeline | Au début, ce qui était très beau avec le lancement des blogs, c’était cette possibilité de pallier à un certain manque, un manque de représentation. Jusque là, les femmes s’identifiaient essentiellement aux magasines de mode, qui ne présentaient qu’un seul profil de femme. Un profil de femme, auquel on se retrouve à aspirer, et qui s’avère extrêmement rare en réalité. C’était extrêmement oppressif.

Avec la création des blogs, c’était justement l’occasion de voir et de se montrer en tant que femme multiple, diverse par nos origines, nos morphologies, nos vécus. C’était l’opportunité de proposer un autre narratif, d’autres images, auxquels on pouvait s’identifier.

Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, ce qui est chouette également, c’est qu’il y a quelque chose d’un peu plus conscient, pas forcément politique, qui permet d’aborder tout un tas de sujets et de les faire avancer un peu plus rapidement.

RTM | Dès tes débuts, la photographie faisait partie intégrante de tes pratiques artistiques. Elle t’a suivi au fil des années. Peux-tu nous raconter ta première rencontre avec la photo ?

Adeline | J’ai commencé à faire de la photo dans le cadre d’un cours d’art plastique. A l’époque, je dessinais énormément, j’ai toujours dessiné. J’ai arrêté à partir du moment où j’ai commencé à vraiment prendre la photographie un peu plus au sérieux. Je devais avoir 17 ans.

Pour moi, la photo ce n’était pas un outil classique, je ne voulais pas simplement prendre les gens en photo. Je voulais utiliser l’appareil photo d’une autre façon. Au départ, mes photos étaient très abstraites. Je cherchais une autre manière de photographier les choses et de jouer également avec Photoshop.

RTM | Rêvais-tu d’une carrière artistique plus jeune ?

Adeline | Je ne pensais pas que les métiers artistiques étaient possibles. Je viens d’une famille modeste, autant du côté de ma mère que de mon père. On nous orientait vers des métiers dits rentables. Les métiers artistiques ? ça ne me semblait simplement pas possible.

J’ai eu envie de faire une école d’art, mais l’idée s’est arrêtée à l’envie. Ce sont des écoles qui coûtent chères. Quand tu rentres là dedans, tu te demandes si en sortant, tu trouveras un métier.

Je me suis retrouvée à faire de la photographie dans un seul but, qui était mon blog. C’est que depuis cette année, l’année de mes 30 ans, que je me suis dit qu’il est peut-être temps que je me consacre pleinement à la photo. Jusque là, je n’avais jamais osé.

Crédit : Adeline Rapon

RTM | Sur la page d’accueil de ton blog qui existe encore, tu écris qu’il est important pour toi de ne pas effacer cette version de toi, cette Adeline que tu as pu être, malgré les incohérences, et la méconnaissance sur certains sujets. Pourquoi était-ce important de laisser également de la place à cette Adeline là ?

Adeline | Pour moi, la pureté militante, c’est un peu un mythe qui est assez négatif au niveau de la santé mentale et même du militantisme tout court. On ne peut pas être né parfait. On ne peut pas être né avec tous les concepts déjà en tête. Ça ne fonctionne pas. On a forcément un vécu qui fait que l’on va se diriger, à vitesse variable, vers certains sujets.

Il ne reste pas grand chose en réalité de ce blog parce qu’il y a beaucoup d’images qui ont disparu. Mais si j’ai des casseroles, et il doit y en avoir dedans, je trouve que c’est important de les laisser.  Sans ces casseroles, je ne serai pas la personne que je suis aujourd’hui.

J’ai besoin également de me dire qu’il y a un narratif. On ne peut pas se retrouver là où je suis aujourd’hui sans ce blog là, qui raconte en sous marin celle que j’étais à l’époque. C’est également essayé d’aller à l’encontre de ce qu’est Internet, je ne suis pas qu’à un instant T. J’ai été, j’ai été une autre avant, et j’ai évolué. 

Ca reste une démarche extrêmement personnelle, bien que je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de monde qui regarde ce blog. C’est une façon d’avoir des archives et de pouvoir suivre une évolution.

RTM | Tu t’inscris dans le mouvement dit afro-féministe. Qu’est-ce qui t’a séduit dans ce mouvement et comment as-tu été introduite à l’afroféminisme ?  

Adeline | Fin d’adolescence, cette période où tu commences à avoir des idées politiques ou d’engagements, j’évoluais dans un milieu très blanc et bourgeois. J’étais dans un lycée catholique bourgeois, dans le 5e arrondissement. Les personnes non-blanches pouvaient se compter sur les doigts de la main.

Je ne sais plus trop si je me considérais féministe à l’époque. Je pense que oui. Mais c’était un féminisme très blanc, avec une vision assez bourgeoise des choses.

Jusqu’à ce que je fasse des rencontres et que je plonge également dans des bouquins. C’est le jour où j’ai lu Le ventre des femmes de Françoise Vergès que j’ai pu mettre les mots sur la notion d’intersectionnalité.  Je me suis intéressée aux différents mouvements féministes et notamment au mouvement afroféministe qui répondait à beaucoup de questions que je me posais.

A travers la notion d’intersectionnalité, on comprend que la place des femmes noires interroge énormément d’autres sujets : la place des femmes, des noirs en France et dans le monde, la colonisation, l’écologie…

C’est un changement de perspective.

Crédit : Adeline Rapon

RTM | Cette année parmi les sujets explorés à travers tes photos, il y a la question de ton identité martiniquaise, ton métissage. Quel a été le déclencheur de ces questionnements, et cette envie d’incorporer ces sujets à ton travail ?

Adeline | A mes 18 ans, j’ai cherché mon nom de famille sur le site Anchoukaj  et je suis tombée sur l’acte d’affranchissement d’une de mes arrière-grands-mères. C’est à partir de là que j’ai voulu creuser au sein de ma culture martiniquaise.

Je viens d’une famille martiniquaise qui est arrivée en France dans les années 70/80. Il y a eu très peu de transmission. Mise à part la musique, une passion que je partageais avec mon père, et la cuisine, il m’a transmis très peu de choses. Il refusait de m’apprendre le créole par exemple. Mon lien avec la Martinique, c’était : les congés bonifiés et les appels avec mon grand-père.

Je n’avais pas forcément les moyens de repartir en Martinique jusqu’à l’année dernière. Ca faisait 21 ans que je n’avais pas mis les pieds sur l’île.

Ce séjour m’a permis de réfléchir, il y avait en parallèle tous les mouvements sociaux que j’ai découverts et qui m’ont permis de me pencher sur la question coloniale et écologique vis à vis des Antilles.

RTM | Et pendant la période de confinement, tu lances une magnifique série de portraits inspirée des cartes postales antillaises…

Adeline | Pendant le confinement, j’étais au chômage partiel. Je voulais faire une série de photos, mais je ne voulais pas publier des photos classiques, sans trop de sens. C’était une période assez compliquée. J’avais envie de raconter des histoires, de raconter quelque chose de différent. C’est en parcourant mon Pinterest, et ce tableau de cartes postales, d’images anciennes des Antilles que je m’étais crée il y a quelques temps, et en ayant également en tête les gens qui reproduisaient des tableaux en photographie pendant le confinement, que je me suis dit que ça pourrait être intéressant de partir de ces images. Ce n’était pas forcément une série très réfléchie, mais ça l’est devenu au fur et à mesure.

Je me suis rendue compte que les photos que je faisais n’étaient pas innocentes. Je ne pouvais pas les partager sans contextualiser. C’était important de parler de la place des femmes aux Antilles historiquement, de la femme poto mitan, du colorisme, des différentes castes héritées…

Cela m’a permis d’avoir et de donner un point de vue féministe, moderne et hexagonal sur ces femmes.

RTM | Une de ces femmes qui t’a-t-elle plus marqué ou bouleversé que les autres ?

Adeline | Je dirai mon arrière-grand-mère. Ca a été assez compliqué de reproduire sa photo. Elle a une expression qui est quand même très particulière. Elle a eu une vie assez difficile. Elle a eu 13 enfants. Elle n’a pas une expression de femme qui pose pour des cartes postales. Elle est marquée.

J’ai dû faire des recherches, interroger ma tante, et d’autres membres de ma famille pour retranscrire une image fidèle, qui soit un hommage. C‘était la photo la plus difficile à faire.

RTM | A quoi ressemblerait une carte postale de la Martinique réalisée par Adeline Rapon en 2021 ?

Adeline | Ce serait une carte postale représentant une militante. Une militante qui aura choisi ses vêtements, sa représentation, et le lieu où elle souhaite être photographiée. Elles sont le vrai futur de la Martinique. Elle bouscule les autorités, le discours policé. Elles interrogent de véritables problématiques.

Ce serait Alexane Ozier-Lafontaine et Jay Asani.

RTM | Ce que je trouve intéressant avec les photos que tu proposes, c’est qu’elles ont une voix, des sons. On est capable de les entendre. Je pense notamment à la photographie réalisée pour l’association Amazones Martinique. Conscientises-tu la résonnance de tes images ?

Adeline | Je m’exprime beaucoup mieux visuellement. La photographie, c’est une façon de parler.

Ce que je voulais vraiment avec la photographie de cette Amazone, c’est qu’on puisse lire qui elle est, qui je voyais et comment je la ressentais. C’est clairement le but recherché. Je suis contente si ça fonctionne.

RTM | A 30 ans, tu as déjà eu plusieurs vies : DJ, joaillère, photographe, blogeuse… Te voulais-tu multiple ?

Adeline | Je pense que je m’en suis rendue compte que beaucoup plus tard. Ca n’a jamais été une démarche consciente. J’ai fait des photos, mais sans trop y réfléchir. J’ai ouvert un blog sans trop y réfléchir. Je me suis un peu laissée pousser par la vie jusqu’à très récemment. Même ma carrière de joaillère, il fallait que je commence à gagner des sous et je ne voulais pas être vendeuse. A l’époque, on ne gagnait pas d’argent en étant blogueuse. C’était les débuts. Ce n’est qu’aujourd’hui, à 30 ans, que je prends conscience de tout ça.

RTM | J’ai lu que ton rapport à l’esthétique et notamment à tes cheveux avaient évolué. Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui tu les assumes ?

Adeline | J’ai commencé à les détester suite aux railleries que je subissais à l’école. Ce qui a beaucoup changé, c’est que je me vois très différemment. Jusque là je me voyais comme une parisienne très classique, qui rentrait dans les codes. Quand on me regardait, les gens pouvaient se dire que j’étais vaguement de quelque part et encore trop sans trop se le dire, alors que maintenant c’est beaucoup plus clair.

Aujourd’hui, j’ai simplement l’impression d’être moi. Je me sens mille fois mieux. Je me sens beaucoup plus jolie. J’ai aussi appris à prendre beaucoup plus soin de moi. Tout ça m’a appris le self-care.

RTM | De quoi rêves-tu pour les 10 prochaines années ?

Adeline | Je rêve d’un studio, un petit studio et d’une petite maison à la campagne. Je rêve de continuer à faire des photos et vivre de mes photos.

RTM |  Si tu devais nous citer trois femmes qui ont fait celle que tu es aujourd’hui ?

Adeline | Ma mère. Toutes les femmes de ma famille. Toutes les femmes artistes et autrices. Je n’ai pas de personnalités particulières à citer parce qu’il y en a beaucoup trop.

Crédit : Adeline Rapon

RTM |  Que dirais-tu à une jeune fille qui aimerait se lancer dans la photo, mais ce qui ne se l’autorise pas ?

Adeline | Ce jour où l’on regrette de ne pas avoir fait ce dont on rêve, peut devenir le pire jour de sa vie. Il faut profiter d’être jeune pour faire mille choses. Je me rends compte aujourd’hui à 30 ans que j’ai un peu plus de mal à enchaîner les sorties, le boulot. Il faut profiter de cette capacité qu’on a jeune. Je sais que c’est un discours très validiste, car ce n’est évidemment pas la même réalité quand on a un handicap par exemple.

Mais je pense qu’il faut se lancer, surtout quand on est une femme. On a tendance à se dire qu’on n’aura jamais la force.

Ce syndrome de l’imposteur, il faut absolument le faire voler en éclats.

RTM | Et enfin, qu’est-ce qui fait d’Adeline une Reine Des Temps Modernes ?

Adeline | Je ne dirai pas que je suis une reine des temps modernes, parce que je ne suis  pas pour l’ascendance humaine. Je dirai plutôt que je suis une femme des temps modernes, parce que je suis quand même blogueuse. Est-ce qu’il y a plus moderne que ça ? (rire).

J’aimerais rester quelqu’un qui est lié au moderne, ne jamais devenir une vieille conne. C’est vraiment quelque chose qui m’effraie. J’espère ne jamais devenir une vieille conne !  

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