Anaïs Colors (Photographe) – “Nous restons encore très peu de femmes photographes, mais j’essaie à mon échelle d’apporter ma pierre à l’édifice. “

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Aujourd’hui, direction la Guadeloupe, à la rencontre de celle qui se fait appeler Anaïs C. ou encore Anaïs Colors. Cette jeune photographe de 32 ans offre de par ses clichés, un regard à la fois neuf, sensible, cru et poétique sur celles et ceux qui font la Caraïbe, plus encore, qui font la culture caribéenne. Rencontre avec notre QUEENSPIRATION qui nous invite au voyage.

RTM | Bonjour Anaïs, avant de commencer peux-tu te présenter pour nos lectrices et lecteurs ?

Anaïs | Bonjour Wendie, je suis Anaïs C. alias Anaïs Colors, j’ai 32 ans.
Cela va faire bientôt 7ans que j’ai commencé à m’intéresser à la photo en tant qu’amatrice, en photographiant d’abord mes amis pour le plaisir, puis en me déplaçant dans des concerts sur Paris. De fil en aiguille, j’ai pris goût à l’exercice, et affiné mon style.
De retour en Guadeloupe, j’ai pu participer à plusieurs expositions durant des festivals (Éritaj, Cri de Femmes, Bleu Outremer) où cela m’a permis de présenter quelques uns de mes travaux, et surtout de me confronter au public.
Pour compléter mon apprentissage, j’ai décidé de passer un Baccalauréat Professionnel de Photographie que j’ai validé cette année.

RTM | Quels ont été tes premiers contacts avec la photographie ?

Anaïs | Mes premiers contacts avec la photographie ont été plus ou moins indirects. Ma mère aimait beaucoup la photographie plus jeune, elle m’a transmis de petites astuces, qui m’ont servi très tôt dans ma pratique.

Ce n’est qu’une fois adulte que j’ai voulu moi aussi me retrouver derrière l’objectif.

RTM | A quel âge as-tu reçu ton premier appareil ?

Anaïs | Comme tout le monde, j’ai eu le petit appareil photo jetable où il fallait attendre 2 semaines à un mois pour avoir des photos, parfois (souvent) ratées !
J’ai eu mon premier appareil (numérique) à 17ans, un Sony CyberShot, qui m’a duré des années, et avec lequel je faisais mes « reportages en immersion » quand je sortais avec mes amis, et aussi à l’école !

RTM | Comment définirais-tu ton travail ?

Anaïs | Mon travail est très lié à ce que je vis, ma sensibilité, et à ce que je reçois des personnes que je croise.
J’explore à la fois mes idéaux (la place et l’évolution de la femme dans la société, mais aussi dans l’imaginaire..), mais je travaille aussi avec d’autres artistes sur des projets qui recoupent mes réflexions. Je pense notamment à La Tchipie, auteure martiniquaise avec qui je travaille sur l’illustration de ses écrits autour de l’érotisme et l’amour aux Antilles.

RTM | Les femmes photographes caribéennes sont encore peu médiatisées. Comment te fais-tu ta place dans cet univers encore très masculin ?

Anaïs | Je ne vais pas mentir, les débuts ont été difficiles. En particulier à Paris, en tant qu’amatrice entourée de photographes professionnels, dans des cadres où je ne me sentais pas forcément à ma place. Je ne comprenais pas comment certains hommes pouvaient se sentir menacés par ma présence (lors des concerts par exemple), alors que nous n’étions clairement pas sur les mêmes créneaux…

Une fois en Guadeloupe, j’ai surtout constaté la répétition des clichés sur la femme, photographiées par des hommes. Cela commence à changer, mais on a des années de stéréotypes à déconstruire. Nous restons encore très peu de femmes photographes, mais j’essaie à mon échelle d’apporter ma pierre à l’édifice.

À côté de ça j’ai quand même eu la chance de croiser le chemin de photographes qui m’ont dès le départ considérés comme leur égale, et m’ont aidé à des moments clés de ma progression : Manu DORLIS, qui m’a vue évoluer à mes débuts, et a cru en mon travail, et Daniel DABRIOU, qui a été d’un grand soutien lors de la préparation de mon Bac Pro Photo.

“Au delà de ces héritages, j’observe et je m’inspire aussi des vestiges de l’esclavage, des traditions issues des métissages, et j’essaie d’en faire des parallèles avec ceux de mon île.”

RTM | Il y a t-il des femmes photographes qui t’ont inspiré ?

Anaïs | Je suis quelques femmes photographes sur les réseaux sociaux, donc j’apprécie beaucoup le travail :
Flora Negri, photographe brésilienne dont j’aime beaucoup la pratique, des photos assez crues, poignantes et dérangeantes ;

Alice des Merveilles, martiniquaise, qui travaille beaucoup sur les photos de familles et de grossesse. J’apprécie vraiment la douceur de ses clichés.
Samantha Clarke, américaine auparavant avocate et qui travaille maintenant à temps plein en temps que photographe. Je m’intéresse particulièrement à l’aspect pédagogique de sa pratique, et comment elle a mené à bien sa reconversion.

RTM | La Caraïbe est un sujet très présent dans tes œuvres que tu explores via différents thèmes. Qu’est-ce que le fait d’être caribéenne t’inspire ?

Anaïs | Effectivement, mes derniers voyages, tous dans la Caraïbe, ont beaucoup influencé mon travail. A chaque fin de voyage, je fais un bilan de ce que j’ai appris, retenu de l’île et de ses habitants, et très souvent j’en apprends toujours un peu plus sur moi. Je suis Guadeloupéenne certes, mais aussi Française et afro-descendante. Ces facettes influencent clairement mon travail.

Il n’y a pas eu une île où je ne me sois pas sentie comme chez moi, que cela soit grâce à la nourriture, la danse, l’art, la musique…
Au delà de ces héritages, j’observe et je m’inspire aussi des vestiges de l’esclavage, des traditions issues des métissages, et j’essaie d’en faire des parallèles avec ceux de mon île.

Ma série Manman Dlo a pris son influence dans les contes que je lisais enfant, mais mes recherches m’ont amené à regarder vers Haïti, le Nigéria, et le Brésil. Idem pour la série Black Blood qui m’a permis de faire un parallèle entre le Jabjab grenadien et les groupes à po.

“Je différencie le fait d’être critique avec son travail, au fait de se comparer, et déprécier ce que l’on fait.”

RTM | Quel shooting réalisé en 2018 t’a le plus marqué ? Pourquoi ?

Anaïs | Le shooting qui m’a le plus marqué en 2018 est celui que j’ai fait à Grenade en Août. J’étais partie pour fêter le carnaval, et je tenais à prendre des photos durant le Jabjab tout en défilant. Je n’avais aucune ambition quant au rendu de cette série, j’étais principalement là pour m’amuser. L’émotion et les clichés que j’ai pû saisir m’ont juste scotchée, je ne m’y attendais vraiment pas. À chaque fois que je les regarde, je me vois de nouveau parmi toutes ces personnes, enduite d’huile, en train de chanter à tue-tête et de danser.

RTM | Plus couleur ou noir et blanc ?

Anaïs | Définitivement noir et blanc ! Mais suivant l’émotion que je veux transmettre, il peut être plus pertinent de capturer le moment en couleur..

RTM | Quelles sont tes sources d’inspirations ?

Anaïs | En ce moment, ma principale source d’inspiration est le corps. Le corps noir, le corps masculin, féminin, le corps qui évolue.. Le corps et son expression dans l’espace, la peau, les regards, les textures. Notre société tourne depuis très longtemps autour de cette thématique, mais d’une manière très réductrice, et ma réflexion se fait justement sur les moyens d’en détourner les travers, en apportant un regard différent.

RTM | Quel conseil donnerais-tu à une jeune femme qui souhaite se lancer dans la photographie ?

Anaïs | Se lancer. Même si on croit ne pas avoir le bon appareil, le tout est de prendre des photos. Ne jamais se comparer à autrui. Nous sommes des entités uniques, avec un parcours qui nous est propre. Je différencie le fait d’être critique avec son travail, au fait de se comparer, et déprécier ce que l’on fait. Oui, au début, on peut ne pas aimer son travail, c’est normal. Mais, comme tout, il faut trébucher, apprendre, et nourrir son art. S’écouter. C’est normal d’avoir des passages à vide, des doutes, nous sommes humains, donc amené à évoluer dans un environnement qui lui-même évolue. Le tout est d’accepter ses propres fluctuations.

RTM | Si tu devais nous citer une difficulté rencontrée pendant ton parcours, quelle serait-elle ?

Anaïs | Sortir de ma zone de confort, tant dans ma pratique, que dans mon rapport aux autres. Je suis assez ouverte dans la vie de tous les jours, mais lorsqu’il s’agit de prendre des photos dans une situation inhabituelle, j’ai beaucoup de mal à oser demander, capturer, de peur de déranger, d’aller trop loin, et de perdre la spontanéité que mon œil avait saisie. Ça me demande donc un vrai effort, par exemple lorsque je voyage.

RTM | Comment l’as-tu surmonté ?

Anaïs | En rentrant dans le tas ! C’est très souvent lorsque je fais marche arrière, parce qu’un projet me semble trop ambitieux, que je me fais violence et que je dis oui. Dans le doute, je m’entoure aussi de personnes qui me donnent le coup de boost dont j’ai parfois besoin !

RTM | Quelle est ton actu à venir qu’il ne faut surtout pas manquer ?

Pas d’actualité en ce moment, je suis dans une phase de création, mais j’espère bien vous présenter quelque chose d’ici quelques mois, mais aussi à la fin de l’année !

RTM | Qu’est ce qui fait de Anaïs, une Reine Des Temps Modernes ?

Anaïs | Je dirais que j’apprends au fil du temps à connaître ma valeur, en tant que femme, loin des standards réducteurs de la société , tout en grandissant au mieux de mes expériences..

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