Tisha Ivana (Auteure) – “J’écrivais surtout pour exprimer ce que je ressentais ou ce que j’observais”

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Rencontre aujourd’hui avec une jeune romancière de 27 ans qui a décidé de faire entendre sa voix mais aussi celles des autres. Son dernier roman s’intitule “Les vies volées” et traite des traumatismes liés au viol et autres agressions sexuelles. Un sujet encore tabou dans notre société sur lequel elle a décidé de porter un autre regard. Tisha Ivana est notre QUEENSPIRATION de la semaine.

Wendie – Bonjour Asiya, peux-tu te présenter pour nos lectrices/lecteurs?

Tisha – Je m’appelle Asiya Bathily. J’ai 27 ans. J’habite l’île Saint-Denis. Pour parler un peu de mon parcours, suite à l’obtention de mon bac en 2008, je suis rentrée en école d’infirmière mais je me suis très rapidement rendu compte que ce métier n’était pas fait pour moi. Je ne savais pas trop vers quel autre métier m’orienter. En 2013, après l’obtention de mon diplôme, je me suis rendue compte que je voulais faire quelque chose en rapport avec l’écriture. Je me suis donc orientée vers une double licence en sociologie et en lettres pendant 2 ans. Ensuite j’ai fait un service civique pendant 6 mois à l’OMJA, une association qui aide la jeunesse d’Aubervilliers. J’ai adoré. Je trouvais que ce qu’ils proposaient aux jeunes était génial et ça m’a donné envie de m’investir, moi aussi, auprès des jeunes. J’ai ensuite été embauchée au sein de cette même structure pendant 2 ans en tant qu’assistance aux actions culturelles et j’ai terminé en mars dernier.

En parallèle, je suis aussi romancière. J’écris sous le nom de plume de Tisha Ivana.

Wendie – Avant de parler de ton dernier ouvrage. Est-ce que tu peux nous dire ce qui t’a poussé à écrire tes premiers textes ?

Tisha – Ce qui me plaisait surtout au départ c’était la lecture. J’ai toujours aimé lire et ça depuis toute petite. Etant de caractère réservée, j’écrivais surtout pour exprimer ce que je ressentais ou ce que j’observais. Mon premier roman, je l’ai écrit à mes 18 ans. Je n’avais pas forcément vocation à continuer mais mon entourage qui l’avait lu, m’a encouragé. Ils s’étaient attachés à mes personnages et souhaitaient que je continue de les faire vivre. Je me suis ainsi retrouvé à écrire les 4 tomes suivants.

Wendie – Tu as récemment sorti un ouvrage qui s’intitule « Les vies volées » où tu abordes la thématique du viol. Qu’est-ce qui t’a inspiré pour ce roman ?

Tisha – « Les vies volées », c’est l’histoire de deux jeunes femmes qui se font agresser sexuellement à deux moments différents de leurs vies. L’une à 7 ans et l’autre à 18 ans. La vie de ces deux femmes va se croiser car la première est mariée à l’ex compagnon de la deuxième. Au moment où la deuxième femme va revenir dans la vie de son ex-mari, la mémoire traumatique de la première va se réveiller.

J’ai voulu traiter cette thématique car je trouve que l’on a trop tendance à culpabiliser les victimes de viols. Elles sont systématiquement remises en question alors qu’il y a une sorte d’impunité qui s’installe autour de l’agresseur. C’est cette situation d’injustice qui pousse beaucoup de femmes à se taire et à ne pas porter plainte. Pour moi il s’agit là d’une seconde forme d’agression.

Je voulais écrire ce roman afin de lever le voile sur ce sujet qui reste encore tabou. Je voulais surtout que le grand public prenne conscience de la destruction provoquée par un viol dans la vie d’une femme ou d’un homme. A travers mes personnages, je souhaitais décrire psychologiquement leurs états d’âme, leur ressentie avant et après la tragédie. Ce ne sont pas des choses qui arrivent qu’aux autres malheureusement, et on serait étonné de connaître le nombre de femmes de notre entourage qui ont pu subir ce type d’agression. Il peut s’agir d’une amie, d’une mère, de notre fille, d’un frère, ça arrive beaucoup plus souvent qu’on le pense.

On ne se rend pas compte de tous les dégâts que cela entraîne. Un homme qui agit par pulsions ou autres raisons sera soulagé une fois l’acte accompli, la femme, elle sera traumatisée tout au long de sa vie. C’est un sujet qui nous concerne tous.

Wendie – Comment as-tu récolté les informations et témoignages qui t’ont permis de nourrir ton roman ?

Tisha – Je passais beaucoup de temps à lire des témoignages sur des forums, pas uniquement des victimes mais également les témoignages des conjoints ou de l’entourage. Je lis également beaucoup de livres à ce sujet notamment des ouvrages de l’auteur Boris Cyrulink qui s’intéresse aux traumatismes de l’enfance liés au viol ou autre agressions/tragédies. Ils y parlent de la dépersonnalisation, de l’amnésie traumatique, du refoulement… Ce sont toutes ces notions que j’essaie de réinjecter dans mes romans. Ce qui m’intéressait essentiellement, c’était de comprendre le traumatisme psychologique lié au viol.

Wendie – Qu’est-ce qui selon toi était le plus difficile en écrivant sur cette thématique ?

Tisha – Réussir à être juste. Trouver le bon équilibre entre le fait de parler d’un sujet délicat, sans rentrer dans le pathos. Il faut réussir à trouver une certaine ambiance, les bons mots, réussir à décrire les sentiments et ressentis. Trouver la bonne justesse sans tomber dans le pathos et la pitié afin de ne pas desservir l‘histoire.

Wendie – Ton roman « Les vies volées » a été réalisé en autoédition. As-tu tenté d’approcher des maisons d’édition ?

Tisha – J’avais tenté d’approcher des maisons d’édition dans le cadre de mon tout premier roman lorsque j’avais 18 ans. J’avais d’ailleurs reçu une réponse positive d’une maison d’édition qui souhaitait le publier. En me penchant un peu plus sur le contrat, je découvre qu’il s’agit en fait d’un contrat à compte d’auteur et que je dois donc avancer la somme de 3490€. Ca m’a très vite découragé.

Aujourd’hui, on a la chance d’avoir Internet et de pouvoir avoir une totale indépendance quant à la publication de ses ouvrages. J’imprime et j’édite moi-même mes romans. Je travaille avec une correctrice qui s’occupe de la relecture et des corrections. Ensuite je les publie en ligne, sur ma page Facebook et mon site internet. Je démarche aussi des librairies qui acceptent de me les mettre en dépôt vente.

Wendie – « Les vies volées » est une trilogie. Il y en a deux autres qui vont suivre. As-tu déjà une date de sortie ?

Tisha – Ils sont déjà écrits mais je préfère les laisser reposer pour le moment afin de pouvoir prendre de la distance avec les textes.

Wendie – Il y a-t-il des auteurs qui t’ont inspiré ?

Tisha – Quand j’ai commencé à écrire, il y a un auteur qui m’a particulièrement inspiré, Harlan Coben. Un auteur américain qui écrit des thrillers. Mais il écrit essentiellement sur les secrets de famille. Ses livres sont faciles d’accès et se lisent plutôt facilement.

J’ai aussi été influencé par Thierry Cohen, un auteur français qui s’intéresse au mystique. Il y a un roman en particulier qui m’a marqué. C’est l’histoire d’un jeune homme qui subit un accident de voiture avec sa copine. Elle survit et lui se retrouve dans le coma. A son réveil, il se rend compte que l’homme qui a provoqué l’accident se retrouve dans son corps. C’est complètement surnaturel mais je trouve ça très intéressant.

Dans un autre registre, il y a l’auteure Sophie Kinsella qui propose des comédies romantiques. Elle a d’ailleurs réalisé la série « L’accro du shopping » qui est assez connu. C’est très loufoque et léger.

J’apprécie également Grégoire Delacourt et Virgine Despentes. Dans un autre registre, Maya Angelou et Chimamanda Ngozi Adichie sont de grandes figures d’inspiration.

Wendie – Et quelles sont les personnes qui t’inspirent au quotidien ?

Tisha – Ma mère est la première personne qui m’inspire car c’est une femme forte. Elle m’a élevé avec mes frères et sœurs sachant que j’ai une petite sœur handicapée. Ma mère a toujours été présente. Elle dégage une force naturelle et elle ne se plaint jamais. Je ne me rendais pas compte de la quantité de travail que cela demandait. Ma petite sœur m’inspire aussi beaucoup. Lorsque ma mère était enceinte, les médecins souhaitaient qu’elle avorte à cause du handicap de ma sœur mais ma mère ne voulait pas. Aujourd’hui ma sœur a 18 ans et c’est juste incroyable. Petite elle n’arrivait pas à manger seule, aujourd’hui elle peut. Elle est très autonome même si elle ne peut pas parler. Elle peut s’habiller et se laver toute seule, toutes ces choses qu’on nous a dit qu’elle ne pourrait pas faire. Je la trouve forte et très attentionnée. Elle donne énormément d’amour.

Il y a aussi deux artistes que j’aime beaucoup. Wallen qui m’a beaucoup influencé lorsque j’étais jeune et Kayna Samet dont j’aimais bien le penchant dépressif. Certains de ses textes étaient vraiment très intéressants et touchants.

Wendie – On a encore cette image élitiste de l’univers littéraire. A quel moment tu t’es dit que c’était aussi fait pour ? Qu’est-ce qui t’a permis de franchir le cap ?

Tisha – Je me suis dit que c’était possible grâce à un programme auquel j’ai participé lorsque j’étais au lycée. C’était un programme encouragé par une fondation culturelle. Trois comédiens, Pierre, Abder et Jean-François, et Charlotte la coordinatrice, nous accompagnaient tout au long de l’année afin de préparer des sketchs, des spectacles. On apprenait à travailler des textes, à faire de l’improvisation. Ils étaient tous géniaux. Ils nous poussaient à nous dépasser, à repousser nos limites.

Si je n’avais pas participé à ce programme, je ne pense pas que j’aurais osé écrire. Avant, je pensais que l’écriture n’était pas fait pour moi, que cela était réservé aux autres, je m’auto-censurais. Je me mettais moi même des barrières, en plus de celles que nous met la société. J’avais tous les soi-disant mauvais indicateurs de mon côté : je suis une femme, noire, musulmane et je viens de banlieue. Qu’est-ce que je vais faire à écrire un livre ? Ces personnes là m’ont énormément inspiré.

Je dois beaucoup à cette femme Charlotte qui a réussi par son approche et sa générosité à décloisonner toutes les barrières que je me mettais. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle j’ai travaillé à Aubervilliers. J’avais envie de rendre ce que l’on m’avait donné.

Wendie – Aujourd’hui quel regard portes-tu ces arts dits élitistes ?

Tisha – A mes yeux, l’art n’est réservé à aucune catégorie sociale. Je pense que le problème vient de l’accessibilité à l’art. Lorsque j’avais 13 ans et qu’on m’emmenait voir une pièce de théâtre, j’avais juste envie de rentrer chez moi car à aucun moment je n’avais eu d’explication sur le monde du théâtre. Forcément, par la suite, je n’ai pas souhaité réitérer l’expérience tout simplement parce que je n’y comprenais rien à cet univers.

Malheureusement, à l’école, on nous donne accès qu’à une seule forme de pratique culturelle, très élitiste, que ce soit en littérature ou en arts plastiques… Les arts, qu’on appelle arts populaires, on n’en parle jamais. Ils ne sont pas pour autant illégitimes.

Il faut aussi se rendre compte que tous les grands organismes culturels sont principalement gérés par l’Etat. Il y a donc très peu de liberté de création. Tu ne peux pas faire ce que tu veux en termes de contenu, de production. Et on ne tient malheureusement pas assez compte de la pluralité de notre société surtout dans une ville comme Paris.

Tout n’est pas négatif non plus. Il y a aussi beaucoup de lieux à Paris qui ne sont pas du tout élitiste : les centres d’animation, les MJC… A mes yeux, le problème vient justement du fait qu’on ne prend pas assez en compte les populations locales pour proposer des animations ou des structures qui leur permettent de s’intéresser et de s’impliquer dans la vie culturelle.

Wendie – Et qu’est-ce qui fait de toi une Reine Des Temps Modernes ?

Tisha – Je dirais que ce qui fait de moi une reine des temps modernes, dans un premier temps, c’est le fait que je porte le prénom d’une reine égyptienne, Asiya. De plus, je me sens reine en cela que je ne me laisse jamais abattre. Je suis toujours plein de projets. J’ai une ambition au service des autres, dans le sens où mes projets sont toujours tournés vers les autres et que mon succès n’a de sens que s’il profite au plus grand nombre. J’aimerais pouvoir rendre ce monde meilleur et moins injuste, plus joyeux. Il y a 7 ans, je rêvais d’être infirmière, comédienne et écrivaine pour rendre les gens heureux. C’est en cela que je me sens reine : je vais œuvrer, à mon niveau, pour les autres, en espérant que par un effet boule de neige chaque personne reproduise cela et qu’ensemble on parvienne à changer le monde.

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