Je suis tombée sur cette image publiée sur Facebook un matin de septembre, un matin pluvieux. (Mais peu importe, j’adore la pluie. La pluie me rappelle qu’il n’y a rien qui puisse résister. Elle chasse le beau temps, chasse les odeurs, les passants, elle vide les rues et les cœurs, nous fait rêver de la douceur d’un lit.) Et comme la plupart des gens, je me suis demandée
Que dirait l’enfant que j’étais en me voyant maintenant ?
L’enfant que j’étais – ou que j’ai toujours été peut-être – n’avait pas de conseils. Elle avait des rêves mais pas des projets. Elle avait des doutes, des questions, des secrets bien gardés. De l’amour à revendre. Des bonnes intentions, aussi. De la colère, trop de colère. Des choses que tous les enfants ont eus à cet âge de l’insouciance. Le problème c’est que cette enfant a grandi trop vite. Et comme je me plais à le préciser, nous passons très vite du mot grandir au mot vieillir. J’ai donc grandi trop vite, puis trop vieilli.
Mais avant que je vieillisse, il y a eu quand même cette période où je ne voulais pas blesser les autres, ne pas les contrarier, ne pas apprendre autre chose que ce que les adultes m’apprenaient, ne pas contester les normes d’une société. Ne pas ceci, ne pas cela. Très courte période. Alors j’appris très vite, malheureusement, à combler par la suite un manque de confiance par un besoin lourd de s’affirmer. Le besoin de se trouver une place. Et cette enfant-là précisément, vous voyez, me dirait que je reviens de loin. Elle me dirait que je n’ai pas réellement changé, que je suis toujours aussi sensible au Monde, aux problèmes de l’humanité. Que je n’ai pas effacé mon sourire, gâté mes dents. Que mes fossettes sont encore là. Que la vie me réservait de bonnes et mauvaises surprises comme je l’avais deviné. Que je n’ai pas perdu, que je n’ai pas encore tout gagné. Que chaque instant a servi de pierre à l’édifice. Autrement dit, elle me dirait que chaque galère a contribué à l’épanouissement de la Femme que je suis aujourd’hui. Elle ajouterait qu’elle a parfois eu du mal à me suivre, me comprendre. Qu’il y a des choix que j’aurais pu éviter, des décisions que je n’ai pas eu le courage de prendre. Que certaines fois, j’ai manqué d’audace ! Peut-être que cette enfant me ferait des reproches, sans se soucier de ma susceptibilité. Me dirait-elle qu’elle est fière de moi ? Oui. En fait, elle pourrait penser « non » pour les nombreuses erreurs commises. Mais ce « oui » symbolique signifierait que j’ai su réparer ces erreurs, améliorer, concevoir d’une nouvelle manière, construire, détruire et reconstruire jusqu’à ce que tout me paraisse « mieux ».
L’adulte que je suis – ou que je serai dans quelques années – a beaucoup plus de projets définis, de plans exécutés que de rêves. Elle a des réponses, des certitudes et moins de choses à cacher. Moins d’amour à donner, moins de temps à perdre. Moins d’amis. Moins d’intentions, bien qu’elles soient toujours aussi bonnes. Parce que cette adulte a passé le cap de l’insouciance et de la naïveté. C’est une femme dure qui goûte à une existence croquante. En fait, plus le temps passe et plus le fossé se creuse. Il y a une distance entre ce que j’imaginais être et ce que je suis maintenant. Parce que l’idée que je me faisais de Moi à l’âge de vingt-trois ans était née d’une conception erronée de la vie. Je voulais être en fonction des normes, en fonction des règles, des préjugés, des critiques. Et donc j’imaginais un Moi comme ils voulaient que je sois, un Moi en accord avec les autres. Alors c’est mon tour, je voudrais également avoir la parole sur une enfance brisée et parler à l’enfant d’autrefois.
Que dirait l’adulte que je suis à l’enfant que j’étais ?
Merci. Merci de m’avoir libéré, de m’avoir offert l’accès au monde des adultes. Merci d’avoir posé des questions auxquelles j’ai pu répondre par la suite, et des questions dont je n’ai toujours pas trouvé les réponses. Je la remercierais parce que je ne le fais jamais et qu’il me fallait cette image pour réaliser que le dialogue a été rompu entre nous. Je lui dirais que l’abandon n’est pas le truc des faibles, mais que l’abandon n’a jamais sauvé personne non plus. Qu’il vaut mieux s’armer de patience et de volonté. Qu’il y aura des chutes, et plus souvent qu’elle ne le pense. Qu’il y aura des moments forts, des drames et qu’il faudra s’accrocher. Bouger les choses, bousculer les faits. Bâtir. Partir. Garder la tête haute, pas parce que cette expression sonne bien, mais parce qu’il n’y a aucune solution plantée au sol. Que le fait de regarder devant soi motive. Le fait de regarder plus loin incite à l’action. J’ajouterais qu’elle devra briser le silence, écrire, apporter aux autres ses connaissances. Qu’elle devra éclairer, rayonner. Sortir de l’indifférence très tôt. Parcourir. Et pour finir : prendre le temps. Prendre le temps de grandir. Prendre le temps d’aimer. Prendre le temps et aimer le fait d’avoir du temps.
Et vous, que diriez-vous ?