Cette semaine, notre QUEENSPIRATION nous plonge dans l’univers des comédies musicales. Artiste queer d’origine guadeloupéenne, Ophélie Joh s’est autorisée ses rêves d’enfants. Des beaux-arts à la comédie musicale, elle s’est donnée pour mission de mettre son corps et sa voix au service d’oeuvres artistiques qui racontent les mondes en marge.

 

Portrait Ophélie Joh

RTM | Bonjour Ophélie, nous sommes ravies de t’accueillir sur RTM. Quels sont les 3 mots que tu choisirais pour t’introduire ?

Ophélie | Je dirais solaire, militante et hors cadre. Egalement, multiple et dévouée aux causes des femmes.

RTM | Revenons sur ton parcours. Parle-nous de ton enfance et de tes rêves de jeunesse ?

Ophélie | Je suis née à Paris dans le 12ème arrondissement. J’ai soufflé ma première bougie en Guadeloupe, chez ma grand-mère. Jusqu’à l’âge de mes 6 ans, je vivais 6 mois en Guadeloupe et 6 mois en France. A mes 7 ans, nous sommes revenus en France avec mes parents, et je ne voyais désormais la Guadeloupe qu’une fois par an, en été.

Petite, je rêvais de danser, de chanter, de jouer. Les rares fois où la télé était allumée, je m’installais devant des clips, des séries, telle que « Un, dos, tres ». J’étais passionnée par ces jeunes qui allaient à l’école et dansaient en même temps. C’est ainsi que j’imaginais ma vie.

RTM | Quand on regarde ton parcours aujourd’hui, tu as l’air d’avoir réalisé tes rêves d’enfants.

Ophélie | Ma décision de suivre mes rêves d’enfant s’est prise en deux temps. Le premier, alors que je n’avais que 8/10 ans. Je bougeais beaucoup, j’avais énormément d’énergie. Mes parents ont décidé de m’inscrire au conservatoire et au centre aéré. J’étais tellement passionnée par ce que j’apprenais au conservatoire que je refusais d’aller au centre aéré qui est pourtant l’espace d’amusement par excellence des enfants. J’avais une soif d’apprendre la musique, la danse et le chant. Je suis restée inscrite au conservatoire jusqu’à mes 18/20 ans.

Le second, c’est lorsqu’à 20 ans, je suis rentrée aux beaux-arts. J’avais choisi ma branche. Je me suis tournée vers les arts plastiques et littéraires. Je me souviens du jour où j’étais partie faire mes courses de rentrée. J’avais acheté des pinceaux, de la peinture. J’en avais eu pour 30 euros.

En sortant du magasin, je tombe sur une affiche d’un stage de danse qui m’intéressait et qui était également à 30€. Je me souviens m’être dit « si seulement je n’avais pas eu à dépenser mes 30€ dans du matériel, j’aurais pu aller danser ».

A cet instant, j’ai compris qu’un ajustement était nécessaire. J’ai décidé que les arts plastiques feraient partie de mon développement humain et artistique, mais je savais que ce que je voulais réellement, c’étaient les arts de la scène, le fait de pouvoir danser et chanter.  C’est ainsi que je me suis finalement tournée vers une école de comédie musicale.

En parallèle, j’ai fait des stages de théâtre, j’ai travaillé sur mes premiers projets, j’ai même fait une formation en parallèle pour apprendre à gérer les costumes, créer des chorégraphies, monter des spectacles… Merci pôle emploi ! Les choses se sont naturellement alignées, bien que parfois dans la douleur, pour que je prenne cette voie professionnelle et artistique.

Portrait Ophélie Joh

RTM | Comment tes parents t’ont-ils accompagné dans ce cheminement ?

Ophélie | Je n’ai pas échappé à certaines questions et inquiétudes de la part de mes parents. Mais il y avait de la confiance. Quand j’étais encore dans le cursus littéraire, le cursus des beaux-arts, il y avait quelque chose de rassurant pour eux. Le fait que ce soit reconnu par l’état, il y avait quelque chose de palpable, un diplôme. « Au pire des cas », j’aurais fini professeur d’arts plastiques dans un collège ou dans un lycée. Je pense que c’est ce qu’ils se disaient.

Après avoir passé 6 concours pour les beaux-arts, je choisi une école au Mans, à 2-3 heures de Paris. Je me souviens de la réaction de mon père qui, en me regardant droit dans les yeux m’a dit « tu n’y arriveras jamais ». Avec le recul, je comprends que c’était la peur qui parlait. Aujourd’hui je le remercie pour ça, car ça m’a donné deux fois plus envie de me battre pour y arriver.

L’inquiétude s’est faite surtout sentir lorsque j’ai décidé d’arrêter les beaux-arts pour me tourner vers les arts de la scène. Ils ont paniqué tout en me laissant faire. J’étais tellement têtue que de toute manière je ne leur laissais pas vraiment le choix.

J’ai quand même épargné ma maman à ce moment-là. Je ne lui disais pas tout parce qu’elle était en rechute du cancer. J’en parlais surtout à mon père qui à un moment a lâché prise. Le plus important à ce moment-là, ça a été la santé de ma mère puis son décès. Mon père n’avait ni la force, ni l’énergie d’empêcher une vie de vivre alors qu’il voyait une vie partir.

RTM | Quel impact a eu la maladie de ta maman sur ta manière d’appréhender et de voir la vie à 22 ans ?

Ophélie | Je l’ai vécu en pleine face. Je voyais les rêves non accomplis de ma maman, tout ce qu’elle aurait voulu faire mais qu’elle n’a pu. Je réalisais que la vie était super courte. Je suis passée par de l’urgence. Je voulais tout vite, tout de suite, maintenant. Avec le temps je me suis calmée. J’ai quand même gardé en tête et dans mon corps qu’il faut vivre ses rêves, on ne sait jamais ce qui peut se passer.

RTM | Lorsque tu intègres cette école de comédie musicale à la suite des beaux-arts, quelles sont les questions que tu te posais vis-à-vis de ton identité ?

Ophélie | C’est en rentrant en école que j’ai réalisé que j’étais noire. Nous étions deux, voire trois personnes noires dans l’école. Je me souviens une semaine après la rentrée, en première année, on me dit qu’il y a l’audition pour le Roi Lion et qu’il faut absolument que j’y aille. Je suis à une semaine de formation. Je doute avoir les compétences pour une troupe telle que le Roi Lion, alors que je viens d’entrer en école professionnelle. Et vu le nombre d’audition que l’on m’a proposé après, c’est-à-dire proche de zéro, je me suis vraiment posée des questions. Les professeurs ont rarement été autant enthousiaste à me présenter en audition que pour cette pièce-là.

J’ai compris que j’étais souvent ramené à ma couleur de peau. Pareil au théâtre, on me proposait souvent d’incarner les personnages de Whoopi Goldberg dans Sister Act ou La couleur pourpre.

J’avais envie de tester de nouvelles choses, de vivre l’école comme un laboratoire. Et quand bien même j’ai adoré l’école pour sa taille humaine, pour les technicités, ça n’enlève pas les automatismes inconscients, les réductions, les stigmatisations. J’ai vu que j’étais noire, que j’étais réduite aux mêmes types de rôles.

Ça m’a motivé à ne pas chanter de soul, de jazz, de gospel. Toute cette frustration a fait naître chez moi mon goût pour la comédie musicale underground, qui n’est pas mainstream. Je me suis rendu compte que j’avais envie d’aller là où on ne m’attend pas. C’est né de toutes ces frustrations.

Portrait Ophélie Joh

RTM | A la sortie de ton école, quelles ont été tes premières opportunités professionnelles ?

Ophélie | Je sors de l’école comédie musicale et j’ose allez dans une scène ouverte de comédie musicale américaine (AMT Open Mic), et je chante “Everything I know ” de la comédie musicale “In the Heights” de Lin-Manuel Miranda.

A la fin de ma prestation, il y a une jeune fille qui s’approche de moi et qui me dit que pour leur comédie musicale, leur troupe cherche une chorégraphe, une coach vocale et une comédienne interprète pour jouer un rôle.

Le rôle, c’était un personnage de princesse noire qui revendique le fait qu’elle n’est pas assez « visibilisée » et dont on ne connait pas le nom. Il s’agissait de Tiana, du film « la princesse et la grenouille ». J’ai tout de suite accroché.

Denis Giasino, le créateur avait pensé des personnages de princesses queer qui revendiquent leur position, qui veulent sortir des carcans et qui ne sont pas ok avec ce que l’on a écrit de leur histoire. Et cerise sur le gâteau, il s’agissait d’une compagnie LGBTQIA+ !

Je ne pouvais rêver mieux comme première expérience. “Disenchanted !”, c’est le nom de la pièce. Blanche Neige faisait trois fois ma taille en largeur et aussi grande que moi ;  Cendrillon est amoureuse de Mulan….j’adore !

Le créateur et le producteur de la pièce sont même venu nous voir ! Cette première opportunité professionnelle m’a permis de mettre à profit aussi bien mes qualités de danseuse, de chanteuse, que ma pédagogie. Et en plus j’avais le rôle qui revendiquait dans la pièce ce que j’ai pu constater pendant mes 3 ans d’école de comédie musicale..

J’ai beaucoup de reconnaissance. Cette expérience a changé ma vision de l’amateur. Amateur, ça veut surtout dire, quelqu’un qui aime faire quelque chose, qui le fait par amour. Ça m’a permis de découvrir la MPAA, la maison des pratiques artistiques amateurs qui nous a professionnalisé jusqu’au bout. On a fait deux productions en deux ans. C’était génial !

RTM | En quoi cette expérience a impacté tes choix artistiques, tes choix de projets par la suite ?

Ophélie | Ça a donné la couleur. Je suis restée dans des projets engagés, qui parlent à des personnes qui peuvent vivre des discriminations, des injustices. Aujourd’hui, je joue au théâtre de Paris (1100 places !)…ah là on est plus dans du off Brodway…

Ça reste néanmoins une comédie musicale qui parle de la protection des animaux, de la planète. Il y avait des “petites” peurs de ne pas jouer dans de grandes salles. J’ai appris à débloquer cela avec le temps. Même si je ne le cherche pas tout le temps, les projets dans lesquels je suis sont engagées autour de la queerness, des questions raciales, du sexisme, de l’afro féminisme, du féminisme, des inégalités.

Je remarque que je ne joue pas que dans les théâtres. Je joue également dans la rue, dans les hôpitaux. Ça fait partie de moi. J’œuvre pour tout cela. Du coup les projets en ce sens viennent à moi, sans véritablement chercher.

 

Portrait Ophélie Joh

RTM | As-tu des envies de créations de pièces ? Et si oui, as-tu des projets en cours ?

Ophélie |J’ai pas mal de projets. Je co-écris une pièce, avec l’artiste féministe Annabelle Ricono, qui mêle théâtre et danse sur les violences faites aux femmes. J’ai également chorégraphié quelques passages.

Je n’ai pas encore de projets d’écriture de comédie musicale, mais j’ai écrit un personnage de Drag King qui s’appelle Joh Lala

C’est un peu le même principe que les Drag Queens, sauf que ce sont des femmes qui se transforment en homme. Il y a des scènes à venir avec Clark Ken avec qui on a créé un groupe sur Facebook qui rassemble les Drag King noirs pour créer ensemble.

Ça fait parler une partie de moi. Il y a des choses sur scènes que je me vois dire que comme ça: à  travers Joh Lala.

RTM | Quelles sont justement ces parties de toi qui ne peuvent s’exprimer qu’à travers Joh Lala ?  

Ophélie | Les sujets abordés dans mes scènes à venir avec ce personnage parle de ma masculinité et des masculinités qui m’entourent, des masculinités noires. J’ai envie de parler des papas, des tontons. C’est l’alter ego qui parle. J’ai souvent rêvé ou senti un jumeau masculin qui a des choses à dire. Je pense qu’il est mieux placé que moi pour s’exprimer sur ces questions.

C’est toujours moi qui parle mais à travers ce personnage.

Ça a été une véritable révélation. J’ai participé à un atelier avec un Drag King anglais qui est également comédien, qui nous a parlé de la démarche, de l’incarnation, du mouvement, du souffle. Ça m’a beaucoup parlé. Je me suis trouvée. J’ai rencontré Joh Lala qui va peut-être changer de prénom…

C’est ma démarche queer qui a nourrit ce nom. Il y a très peu de noms d’hommes qui finissent par « a ».

RTM | De quoi rêves-tu pour les dix prochaines années ?

Ophélie | Je rêve d’avoir mon espace de vie et de création dans la nature. Je rêve d’avoir la possibilité de créer encore plus, d’avoir l’espace pour, de contribuer à plus de projets qui font avancer les choses, qui aident les personnes dans le besoin, qui aident plus de femmes à se révéler, moi inclut.

Je rêve d’un mieux être collectif.

Dans 10 ans, je me vois en meilleure santé par rapport à l’endométriose. J’espère même qu’il n’y aura plus d’endométriose.

Je rêve que dans 10 ans les personnes racisées et particulièrement noires puissent réaliser leurs rêves à 100% sans aucune résistance. Je veux œuvrer pour rendre cela possible. Je suis persuadée que la créativité permet le lien, le mieux-être, et l’élévation.

RTM | Si je te dis le mot amour, tu me réponds ?

Ophélie | La première chose qui me vient à l’esprit, c’est que c’est un droit. On a le droit à l’amour.

 

Portrait Ophélie Joh

 

RTM | Est-ce qu’il y aurait 3 femmes qui ont marqué ton parcours et à qui tu aimerais rendre hommage ?

Ophélie | Ma mère et mes deux grands-mères que je vois comme des entités. Paix à leurs âmes.

Il y en a beaucoup plus que trois en vrai.

Je ne pourrai pas toutes les nommer, c’est impossible. Le premier nom qui me vient parce que je pense à elle, c’est Anna Tjé. J’ai rencontré cette personnes particulièrement inspirante.

Je ferai un également un Femmage aux femmes noires qui ont fait de moi et de nous ce que nous sommes aujourd’hui, et qui nous permettent de réaliser encore plus qu’il est temps. Je les remercie. Je les remercie pour leurs écrits, leurs musiques, leur créativité.

RTM | Que dirais-tu aux femmes qui ne s’autorisent pas leurs rêves ?

Ophélie | Prenez à bras le corps vos rêves. N’attendez aucune validation. Soyez têtues avec les pensées limitantes. Dites leur merci et que cela puisse vous booster.

Soyez têtues avec vos propres pensées destructrices. Personne ne peut t’empêcher à part toi. On est beaucoup plus grandes et puissantes qu’on imagine. On n’est jamais seule. Il y a un nombre innombrable de femmes, d’êtres qui nous accompagnent tous les jours, qui nous supportent, même si on ne les voit pas.

Demande de l’aide si tu en ressens le besoin.

J’ai cette croyance qui m’appartient: La matérialisation, l’invocation, l’extériorisation, l’expression, c’est fort. On peut demander et obtenir. Tout ça c’est possible. Si vous avez peur, c’est ok. C’est normal : Grande peur, grand projet.

RTM | Et enfin, qu’est-ce qui fait d’Ophélie une Reine Des Temps Modernes ?

Ophélie | Je suis une femme qui se voit, et va là où on ne l’attend pas. Je vais là où j’ai envie. Je crée au-delà de ce qui est attendu de moi. Ce que j’entends dans Reine, c’est souveraine. Je me sens souveraine de quelque chose. Ce n’est pas arrivé seul. J’ai reçu un héritage de toutes ces femmes avant moi. C’est en cela que je me sens Souve-Reine des temps Modernes.

 

 

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