En janvier dernier naissait une nouvelle page Instagram qui se donne pour mission de dénoncer les violences quotidiennes faites aux femmes aux Antilles et en Guyane. La page se nomme FANM KA LEVE. Les femmes se soulèvent en guadeloupéen. Elles ont accepté de répondre à nos questions et nous en dire plus sur cette initiative.
RTM | Bonjour Mesdames. Nous sommes ravies de vous accueillir sur RTM. Pourriez-vous nous présenter le mouvement FANM KA LEVE que vous avez lancé ?
FANM KA LEVE | Bonjour, nous sommes heureuses de pouvoir répondre à vos questions. Fanm Ka Lévé est un mouvement qui prône la libération de la parole des femmes aux Antilles Guyane, concernant les violences dont elles peuvent être victimes. Il s’épanouit à travers Instagram. Le principe est simple : on recueille des témoignages de femmes racontant des récits de violence qu’elles n’ont pour la plupart du temps jamais raconté, et nous les repartageons de manière anonyme. L’objectif est concis : Mesdames vous n’avez pas à vous taire et à avoir honte ! Ce lieu digital se veut alors comme un espace safe, émouvant et libérateur où les conditions communes à notre vécu de femmes aux Antilles Guyane nous rassemblent.
RTM | Quelles ont été vos motivations ? Quelle a été la genèse de ce projet ?
FANM KA LEVE | Nous sommes deux amies qui en avions marre. Le ras-le-bol des violences récurrentes de notre quotidien, accentués par un travail au sein de l’espace public, nous a poussé à nous interroger sur comment agir. Dans le même temps, nous réalisions que les réseaux sociaux permettaient de libérer la parole, notamment des femmes en France hexagonal – puisque le concept n’est pas innovant en soi. Mais nous ne sentions pas réellement représenter. On désirait ardemment d’un lieu magique de marronage et de catharsis pour nos mots et maux. On l’a alors crée mais on n’imaginait pas qu’il prendrait cette ampleur !
RTM | Les témoignages que vous partagez sur votre page sont tous poignants. Comment gérez-vous ce flux de témoignages de femmes ?
FANM KA LEVE | Honnêtement, on était loin d’imaginer les tenants et aboutissants de cet Instagram. Au début, on ne s’en sortait pas et c’était vraiment très dur émotionnellement tout en étant chronophage. On répondait parfois à des messages à 2h du matin, de peur que les personnes regrettent et les suppriment ! Maintenant, on s’impose des règles et des horaires. On se déconnecte le week-end et lorsqu’il le faut, on prend une semaine afin que ça ne bouleverse pas trop notre quotidien. Pour pallier à l’impact émotionnel, le fait de ne pas être seule à gérer FKL nous aide vraiment, on se soutient mutuellement. On a par ailleurs une communauté bienveillante et un entourage proche qui sont là pour nous. Chaque témoignage et chaque violence nous motivent à persévérer et à lutter !
RTM | Pourquoi est-ce important selon vous de libérer la parole des femmes antillaises sur ces questions de violence ?
FANM KA LEVE | Le nombre de témoignage évoquant l’enfance et l’adolescence nous retourne l’estomac quotidiennement. La plupart des victimes se sont tues ou bien n’ont pas trouvé une oreille attentive. Les agresseurs sont responsables mais la société et ses mécaniques imposent le silence également. On accuse le système patriarcal de nous rendre malades… Nous sommes déjà au sein de nos territoires victimes d’une mise sous silence d’une partie de notre histoire, d’une partie de nos blessures. Taire les violences que nous subissons en tant que femmes sonne comme un poids supplémentaire qui ne date pas d’aujourd’hui. La libération de la parole permet de rendre visible des maux et de les dé-banaliser. On veut que chaque fillette, chaque femme, soit consciente qu’elle peut parler et qu’elle n’a pas à accepter une violence. On veut que chaque antillais.e prenne conscience des violences que subissent les femmes. On veut le crier, le chanter, le rabâcher ! Et à tous ceux.lles qui rétorquent que le silence est d’or et pacificateur, on leur répond que celui-ci l’est dès lors qu’il ne s’impose pas. Nous lui préférons le vacarme de nos paroles.
RTM | Vous avez choisi de garder l’anonymat. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
FANM KA LEVE | Cet instagram est un espace communautaire. On veut que chaque femme puisse se projeter et à notre sens, l’anonymat participe à cela. Loin de vouloir créer du mystère, on cherche plutôt à ne pas réduire ce lieu à des individualités mais à un groupe de femmes qui se lèvent. Par ailleurs, on a conscience que dans la société actuelle, plusieurs facteurs, telles que le colorisme, des normes esthétiques etc… peuvent créer des barrières. Ce serait arrogant de penser qu’ils n’impactent pas le regard, même si on se déconstruit quotidiennement. Ils peuvent ainsi limiter l’expression des femmes. On souhaite juste optimiser la libération de la parole. Lorsqu’on devra se présenter, on le fera mais l’Instagram restera sous cette forme.
RTM | Vous êtes aujourd’hui présents sur la toile. Comment envisagez-vous le développement de FANM KA LEVE ?
FANM KA LEVE | On envisage un développement par plusieurs biais. On espère premièrement continuer de grandir et gagner en nombre d’abonné.e.s afin de faire retentir ce message le plus largement possible. On souhaite ensuite travailler en réseau et faire des partenariats. Nous n’envisageons pas le militantisme de manière isolé. Même si pour l’instant, nous n’avons pas encore pu nous organiser pour le faire, ça va venir. Et surtout, nous désirons sortir du champ exclusif des réseaux sociaux afin de mettre en place des actions sur le terrain, avec l’espoir de voir d’autres antillai.se.s nous rejoindre.
RTM | Vous partagez également de temps en temps des témoignages d’hommes qui prennent conscience de la violence dont ils ont pu être l’auteur. Quelle place souhaitez-vous donner aux hommes ?
FANM KA LEVE | On considère avec humour que cette instagram est un lieu de mixité choisie. Le mur ne s’offre que pour les femmes et nous nous adressons, la plupart du temps, aux femmes. Cela dit, on invite les hommes à lire, à s’interroger et à participer. Nous sommes ouvertes. Nous considérons que les hommes ont aussi la possibilité d’être des alliés qui peuvent utiliser leur voix, malheureusement plus crédibilisé que celles des femmes, afin de partager leurs témoignages et inviter leurs proches hommes à lire et à écouter.
D’ailleurs, nous tenons à le dire, les hommes qui nous soutiennent (on a 15% d’abonnés hommes) ont bien compris la démarche. Nous croyons, de par les messages qu’ils nous envoient en privé, qu’ils ont choisi, pour la plupart, cette posture d’écoute et d’attention qui fait un bien fou. Leurs messages nous montrent aussi que beaucoup n’avaient jamais compris les dangers spécifiques à la condition d’être une femme et donc l’importance de faire entendre nos voix, car heureusement il y en a beaucoup qui sont prêts à entendre.
RTM | Beaucoup de femmes victimes de violences n’osent pas envisager la voie de la justice ou simplement l’accompagnement psychologique pour se remettre d’un traumatisme. Libérer la parole est-ce une première étape vers la guérison ?
FANM KA LEVE | Il n’existe pas un modèle unique parfait de thérapie. Il y a de multiples procédés et c’est à la femme victime de choisir celui qui lui convient le mieux. Cela étant dit, la libération de la parole est une des conditions sinequanone à la guérison suite à un traumatisme. Il ne faut pas prendre celui-ci à la légère, il peut impacter le quotidien et la santé avec une force inouïe. Parler, c’est verbaliser un évènement de telle sorte que l’on passe d’une situation floue à éclairée. Cela ne veut pas pour autant dire que le traumatisme est guéri mais juste qu’on passe une étape. Le problème est qu’il y a beaucoup de facteurs générant une peur de parler et de ne pas se sentir légitime. La réaction d’une personne à qui vous confessez une agression dont vous avez été victime, qui nie votre douleur, est d’une violence accablante. Cela participe aux myriades de femmes silencieuses…
N’étant pas des spécialistes, le retour que nous avons de beaucoup de femmes est que le fait de nous raconter leur histoire a été important pour elles, que de voir leur parole en publique, sans censure et en plus avec le soutien que nos liseuses et liseurs leur partagent, a été important pour elles.
La question de la non censure est très importante, surtout dans nos contextes néo-coloniaux qui imposent des narratives qui ne correspondent pas forcément à celles choisies par les concerné.e.s. Nous ne changeons pas les histoires, et nous publions toutes les histoires sans critères, il suffit simplement que ces histoires se passent aux Antilles ou en Guyane, ou avec des femmes originaires de ces régions (nous acceptons des histoires des autres DOM TOM mais ils ne sont pas notre cible). Beaucoup de messages commencent par “j’espère que vous allez publier mon histoire” ou “je ne sais pas si mon histoire est pertinente”. Pour nous, toutes les histoires sont importantes.
RTM | Comment passer selon vos des mots à l’action pour lutter plus justement et efficacement contre ces violences ?
FANM KA LEVE | Quand on pense aux moyens de lutte, le marronnage nous intéresse particulièrement. Celui-ci offrait une promesse d’un espace radical à travers les convocations de gestes multiples que ce soit dans le cadre du Gwo Ka ou dans un affrontement direct avec d’anciens maitres… A nos yeux, il existe une multitude de manières étoilées de résister. Il faut surtout considérer que nous sommes légitimes, que nos voix comptent et que tout est politique. Alors trouvez votre voix et résistez en parlant, en consommant, en partageant, en manifestant, en créant, en chantant, en criant… Des gestes infimes peuvent avoir un impact hallucinant.
Il y a cependant une forme d’action qui nous tient à cœur : la prévention auprès des enfants et des jeunes, ces nouvelles générations de femmes et hommes qui sont l’avenir de nos sociétés. Comme nous avons dit avant, nous recevons beaucoup de témoignages d’événements qui se passent ou se sont passés pendant l’enfance ou l’adolescence et c’est criant de réaliser à quel point le manque d’informations contribue à la mise en danger des jeunes générations.
RTM | Si vous deviez donner un conseil à une femme qui aimerait parler d’une violence vécue mais qui n’ose pas le faire ?
FANM KA LEVE | Premièrement, on te croit, ta souffrance est légitime et quelques soient les réactions, rien ni personne ne peut te retirer le droit à être une survivante. Tu as le droit de prendre ton temps et de choisir ton moment, et ce, même si la violence date de plusieurs années. Si tu souhaites que ça reste dans le cadre intime, choisie une personne en qui tu as confiance et que tu sais sans jugement. Et si cette personne réagit mal, n’oublie pas que tu n’es pas fautive. Si tu veux porter plainte, n’hésite pas à y aller en groupe afin de te sentir moins seule.
RTM | Si vous deviez nous partager 3 pages Instagram féministes qui vous inspirent ?
FANM KA LEVE | Whaouh… difficile de choisir.
- Fania Noël, militante afroféministe, écrivaine et fondatrice du collectif mwasi est vraiment un compte à suivre ;
- Soulfood by celine, une martiniquaise activiste qui aborde les questions du féminisme mais pas que, avec une écriture incisive et envoutante ;
- Fanm ka chayé Ko ! Guadeloupéennes animant des podcasts féministes, décolonial qui s’interroge sur la place des femmes aux Antilles.
RTM | Et enfin, qu’est-ce qui fait de la team FANM KA LEVE des Reines Des Temps Modernes ?
FANM KA LEVE | Comme l’a dit Aimé Césaire, l’heure de nous-même a sonnée alors il est temps de considérer chaque femme dans son mouvement-devenir.
Fanm Ka Lévé.
Nous sommes toutes des Reines des Temps Modernes.
Merci à vous et à votre merveilleux média de nous donner du temps pour l’exprimer.