Notre QUEENSPIRATION du jour s’appelle Aude Nyadanu. A tout juste 25 ans, son CV mais surtout ses motivations en ferait rougir plus d’un. Et pourtant, c’est une jeune femme emplit d’humilité et de maturité que nous avons a eu la chance d’interviewer. Chimiste, entrepreneuse mais surtout rêveuse, rencontre avec une femme qui ose et qui donne envie d’oser.
RTM | Bonjour Aude, peux-tu te présenter pour nos lectrices et nos lecteurs ?
Aude | Je m’appelle Aude Nyadanu, j’ai 25 ans et je suis une rêveuse hyperactive ! J’aurais pu répondre à cette question en disant « je suis chimiste » ou « je suis entrepreneure », mais je n’ai pas envie de me décrire avec un métier. D’abord, parce que je ne veux pas m’enfermer dans une activité. J’ai toujours plusieurs projets à la fois et j’espère pouvoir continuer à le faire 😉 Ensuite, parce que je crois qu’on n’est pas autant défini par ce que l’on fait, que par ce pourquoi on le fait. Ce qui me porte, dans la vie, mon rêve, c’est d’avoir un impact positif sur le monde qui m’entoure. Et ce qui me passionne plus précisément, c’est la santé. C’est un enjeu qui nous concerne tous, quelque soit notre âge, nos origines sociales, nos lieux de vie… cela nous concerne directement et influence énormément nos vies. Mon obsession, c’est de trouver des moyens d’agir pour améliorer la santé des personnes. Je crois que ça vient en grande partie de ma mère, infirmière, qui s’est toujours démenée pour les autres. Après avoir travaillé pour Médecins sans frontières, elle s’est tournée vers la pédiatrie. Elle me parle souvent de ses projets pour améliorer le quotidien de ses petits patients. Je l’écoute et je me demande : et moi, qu’est ce que je peux faire pour être utile ?
RTM | A quand remonte tes premiers contacts avec la science ?
Aude | Probablement tellement loin que je ne m’en rappelle pas ! Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été la gamine insupportable qui demande toutes les 5 minutes « pourquoi ceci ? pourquoi cela ? ». Mes parents ont dû en avoir marre d’essayer de m’expliquer pourquoi le ciel était bleu et à quoi servaient les cheveux !! Alors ils m’ont collée devant Le bus magique, C’est pas sorcier, et toutes ces émissions auxquelles j’étais accro. Ils nous emmenaient, avec mes sœurs, à la Cité des sciences, au Palais de la découverte… ils m’ont abonnée à Sciences & vie junior… J’étais insatiable. Je le suis toujours en fait. ^^
« Si je devais retenir UNE chose que la recherche m’a apprise, c’est la résilience : arrêter de focaliser sur le nombre de fois où on tombe, et plutôt apprendre à se relever très vite ! »
RTM | Qu’est-ce qui t’a attiré vers la chimie plus précisément ?
Aude | A vrai dire, je ne sais pas ! J’ai eu un labo de chimie pour enfants quand j’avais, quoi, 8 ans ? Je l’avais installé dans ma chambre et j’étais surexcitée à chaque fois que je faisais une expérience. J’allais voir tout le monde dans la maison : hé regardez, j’avais une solution bleue, et maintenant il y a du cuivre au fond du tube ! C’est dingue ! Bon, j’ai vite remarqué que ça n’intéressait absolument personne d’autre que moi dans la famille !! (rires) Mais encore une fois, c’est une sorte de fascination. Je suis encore émerveillée quand je fais une réaction et que la solution change de couleur ! En plus, un peu plus tard, j’ai compris que c’était les chimistes qui découvraient de nouveaux médicaments et qui les fabriquaient, et là je me suis dit : jackpot ! Je peux jouer avec des tubes à essai et sauver des vies, c’est ça que je veux faire. J’ai fait un parcours très généraliste (école d’ingénieurs), j’aimais beaucoup la physique et la biologie aussi, mais c’est la chimie qui a gardé la première place !
RTM | Le secteur de la recherche scientifique n’est pas un secteur évident. On est constamment dans des remises en question. Qu’est-ce qui te motive tous les jours ?
Aude | En effet, ce n’est pas évident. Le principe-même de la recherche, c’est de chercher… et la plupart du temps, on ne trouve pas ! En fait, c’est logique hein, si on était certain de trouver, on ne chercherait même pas ! Quand je raconte ça pendant mes interventions en collège ça fait rire les élèves. Mais si je devais retenir UNE chose que la recherche m’a apprise, c’est la résilience : arrêter de focaliser sur le nombre de fois où on tombe, et plutôt apprendre à se relever très vite ! Au début, c’était très difficile, je me disais toujours un peu que c’était de ma faute quand une expérience ne donnait pas le résultat attendu, je me demandais ce que j’avais raté, je trouvais ça injuste. Et en effet, la recherche c’est injuste : on peut travailler comme une folle et ne rien obtenir pendant des mois, avoir envie de tout lâcher… puis avoir un gros coup de chance et avoir un autre projet qui réussit au bout de 3 semaines. Le secret, c’est d’apprendre à apprécier l’effort plus que le résultat. C’est une belle métaphore de la vie, finalement. Ce qui me motive, finalement c’est de relever des défis ! Et puis c’est d’apprendre, de progresser, et de contribuer à ce que l’humanité apprenne et progresse. Bon, je contribue de manière vraiment infime, mais je contribue !
« Je veux montrer qu’il n’y a pas besoin d’un diplôme particulier ou d’une expérience professionnelle de 15 ans pour avoir des bonnes idées, et que les meilleures idées ne sont pas forcément hyper technologiques. »
RTM | Des médicaments écologiques et économiques, ça ressemble à quoi ?
Aude | Au graal !! C’est un énorme enjeu, étant donné la quantité de médicaments qu’on produit et qu’on consomme ! Moi, mon projet concerne la manière dont on fabrique les principes actifs des médicaments. Ce sont souvent des molécules assez complexes, qu’il faut construire à partir de molécules plus petites qu’on assemble un peu comme des Legos. C’est le principe de la synthèse. Traditionnellement, on ajoute une brique à la fois, et une synthèse peut facilement atteindre la trentaine d’étapes. Le problème c’est que chaque étape de synthèse a un coût et un impact écologique, donc on essaie de réduire ce nombre d’étapes. Une des solutions possibles est de réussir à assembler plusieurs briques d’un coup : on appelle ça les réactions multicomposants. Ma thèse porte sur le développement de nouvelles réactions de ce type.
RTM | Tu es également la fondatrice de la start-up « Lowpital ». Peux-tu nous présenter vos actions ?
Aude | Lowpital, c’est un mouvement d’innovation collaborative pour améliorer l’expérience patient. On rassemble toute une communauté de gens qui ont envie de faire une différence sur les conditions de prise en charge des patients, leur bien-être au quotidien, à l’hôpital comme à la maison. Concrètement, on organise d’abord des immersions en établissement de santé pour comprendre comment on peut aider, quels sont les problèmes sur lesquels on peut agir. Et ensuite on réfléchit tous ensemble pendant un week-end à des solutions innovantes, simples et concrètes, qui peuvent résoudre ces problèmes. Tout le monde peut participer, nos seuls critères pour nous rejoindre : être sympa et motivé !! Je veux montrer qu’il n’y a pas besoin d’un diplôme particulier ou d’une expérience professionnelle de 15 ans pour avoir des bonnes idées, et que les meilleures idées ne sont pas forcément hyper technologiques. Le plus important, c’est l’empathie, c’est comprendre précisément le besoin de l’utilisateur : à partir de là, la solution proposée ne peut être que pertinente. Aujourd’hui, on en est à 2 événements, plus de 100 Lowpiters (nos participants), plus de 20 projets lancés sur différents sujets. Par exemple, l’équipe gagnante de l’an dernier a créé un robot téléphonique pour le suivi des personnes âgées diabétiques. Et on ne compte pas s’arrêter là !
« Les femmes scientifiques sont presque invisibles, on nous prend encore pour des exceptions, voire des aliens. Et alors les femmes noires scientifiques, j’en parle même pas. »
RTM | En 2017, tu as reçu la bourse France L’Oréal-UNESCO. Ce n’est d’ailleurs pas la première bourse que tu reçois pour tes travaux et ton parcours. As-tu conscience que tu renvois un message fort en termes de visibilité et de représentation ?
Aude | En effet, j’en ai conscience et j’en suis très heureuse. Au départ j’étais morte de trouille à l’idée de me retrouver dans les journaux, à la radio, à la télé. Mais en fait, c’est notre devoir de prendre la parole dès qu’on en a l’occasion. Les femmes scientifiques sont presque invisibles, on nous prend encore pour des exceptions, voire des aliens. Et alors les femmes noires scientifiques, j’en parle même pas. Je veux que tout le monde sache qu’on est là, qu’on existe, qu’on est normales ! Surtout les jeunes filles qui me ressemblent, qui sentent qu’elles sont faites pour cela et qui hésitent ! Je veux qu’elles entendent parler de nous, qu’elles sachent qu’une communauté bienveillante les attend, qu’elles ne sont pas « bizarres » et qu’elles sont et seront loin d’être seules. Grâce à la Fondation L’Oréal, je suis aussi devenue ambassadrice du programme « Pour les filles et la science » grâce auquel je rencontre des collégiens et lycéens pour discuter de la place des femmes dans les sciences : ces contacts directs sont très importants également à mes yeux.
RTM | Les femmes et notamment les femmes issues des minorités sont moins représentées dans bons nombres de domaines. Au delà de la représentation, elles sont également moins présentes dans certains secteurs. Qu’est-ce qui permettrait à la jeune génération de s’orienter vers le secteur des sciences et de la chimie selon toi ?
Aude | Je crois que les deux sont liés ! La représentation est essentielle pour permettre aux jeunes de se projeter ! Comment se projeter dans un environnement si on ne connait personne qui y évolue, si on n’a jamais vu quelqu’un auquel on s’identifie qui y évolue ? Et encore pire si cet environnement est totalement inconnu ! Il faut leur permettre de visiter les laboratoires, rencontrer les chercheurs, découvrir. Il faut multiplier les initiatives comme celle de la Science Académie de Paris Montagne (association qui permet à des jeunes de passer une semaine en stage avec un doctorant, pour laquelle j’ai été bénévole). Je crois qu’il est important aussi de leur donner confiance en elles et de dédramatiser l’échec. J’aimerais ne plus jamais entendre « Je n’ose pas me lancer, je ne vais pas y arriver. » Il faut qu’on arrive à remplacer ce refrain par « Je ne saurai pas tant que je n’aurai pas essayé. » et « Si je ne réussis pas dans cette voie, ça ne fait rien, cela voudra simplement dire que je n’ai pas encore trouvé le milieu dans lequel je peux m’épanouir. » Mais en France, aujourd’hui, on croit que perdre une année est un échec grave. On demande à des lycéens de tracer leur vie jusqu’à la retraite, de suivre une belle ligne toute droite et de ne jamais redoubler. Tu m’étonnes que c’est angoissant. On est assez vite dissuadé de choisir la voie qui parait difficile ! Si on pouvait juste se dire que se réorienter est tout à fait normal, que rater ses examens est une chance de rebondir vers un domaine qui nous conviendra mieux, que même si se sent nulle aujourd’hui, on pourra progresser demain… je pense qu’on aura gagné !
« Une fois que l’on a trouvé son objectif, on n’a plus peur, on est capable de tout, on grandit à toute vitesse et on emmène les autres avec soi. »
RTM | Si tu devais nous citer des travaux de femmes d’hier ou d’aujourd’hui qui t’inspirent, lesquels seraient-ils ?
Aude | Je ne peux pas m’empêcher de citer Marie Curie, au risque d’être originale !! Elle était une scientifique de génie mais aussi, et on l’oublie souvent, une femme d’affaires hors pair !
J’ai également envie de citer Hedy Lamarr, magnifique actrice hollywoodienne qui était également une grande inventrice ayant notamment contribué à ce qu’on ait aujourd’hui le Wi-Fi, le Bluetooth et le GPS ! Le documentaire Bombshell qui raconte sa vie m’a totalement bouleversée, cette femme était d’une humilité incroyable, elle a été sous-estimée toute sa vie et n’en a pourtant gardé aucune rancune… Dans le film, elle lit le poème « The Paradoxical Commands », que j’ai ensuite recopié et accroché au-dessus de mon bureau. Lisez-le, vous verrez, cela rejoint ce que je disais précédemment sur l’appréciation de l’effort plutôt que du résultat !
RTM | Quelles sont les femmes qui t’ont inspiré tout au long de ton parcours ?
Aude | Les premières, évidemment, ce sont celles de ma famille ! Ma grand-mère, qui était maire de son village, qui servait sa communauté. Ma mère, infirmière, dont je parlais tout à l’heure. Mes sœurs, qui ont une énergie créative folle, une combativité à toute épreuve, une grande générosité. Et puis de nombreuses femmes que j’ai eu la chance de rencontrer, parfois par hasard, qui m’ont conseillée, soutenue, élevée ! Il y a ma directrice de thèse qui est incroyablement bienveillante et intelligente, des femmes PDG à qui j’ai la chance de demander conseil pour ma startup, la directrice de la maison que j’habitais à la Cité internationale universitaire de Paris ; toutes les autres lauréates de la bourse L’Oréal-Unesco avec lesquelles je suis toujours en contact… et plein d’autres. Ce qu’elles ont toutes en commun, c’est qu’elles sont parfaitement alignées : elles savent ce qu’elles veulent accomplir, pourquoi elles veulent l’accomplir, et elles agissent au quotidien vers cet objectif. Une fois que l’on a trouvé son objectif, on n’a plus peur, on est capable de tout, on grandit à toute vitesse et on emmène les autres avec soi. Ce sont ces femmes-là qui m’inspirent.
RTM | Peux-tu nous citer une difficulté rencontrée pendant ton parcours et surtout la manière dont tu y as fait face ?
Aude | En 2014, je suis partie faire un échange à Singapour. Je devais y rester un an. Cela ne m’a pas plu, ni les cours que j’avais choisis, ni le laboratoire où je devais faire des recherches, ni l’environnement global dans lequel je me trouvais. Gros coup dur. J’avais préparé mon départ depuis un an, je rêvais de partir vivre à l’étranger, et finalement je ne me sentais pas du tout à ma place. J’ai d’abord cherché à comprendre ce qui n’allait pas, plus précisément, et à trouver des solutions : j’ai demandé à changer de programme, à changer de logement, etc. Rien n’a fonctionné. Cela n’allait pas. Au bout de 4 mois, je suis rentrée en France. Le plus dur n’a pas été de partir, puisque je n’étais pas heureuse là-bas. Le plus dur a été d’accepter que j’avais renoncé. Les gens me demandaient pourquoi j’avais « abandonné » Singapour, pourquoi j’avais « perdu » 4 mois de ma vie. Et pourtant ce que j’ai d’abord pris pour un échec a été une excellente occasion de rebondir : à mon retour j’ai commencé un stage dans un laboratoire… où je suis toujours en thèse aujourd’hui, avec des encadrants exceptionnels. Dans l’urgence, je suis allée vivre à la Cité internationale universitaire de Paris, où je suis finalement restée 3 ans avec une vie associative extrêmement riche qui a révélé mon âme d’entrepreneure. Aujourd’hui je suis convaincue que partir a été la meilleure décision de ma vie. Et je me suis rattrapée en partant vivre au Canada pendant 6 mois l’an dernier, cette fois dans de meilleures conditions ! La plus grande leçon que j’en retire : il faut savoir s’écouter. Il faut aussi savoir s’en aller quand on sent au plus profond de soi que l’on n’est pas à sa place. C’est un signe de force plus que de faiblesse. Maintenant je prends toutes mes décisions avec mon cœur, même si ma tête n’est pas d’accord. Et je n’ai plus peur de l’échec. Je me répète que chaque échec est une opportunité.
RTM | Dans des périodes de surmenages et/ou de grandes fatigues, as-tu une petite routine « Self-care » pour te ressourcer et te re-booster ?
Aude | Rien de très original : si j’ai besoin d’un break je rentre chez ma mère, dans le Pas-de-Calais, je vais marcher sur la plage et je passe du temps en famille. Et plus généralement mon arme secrète pour décompresser c’est la musique. Jouer de la musique et chanter, c’est absolument vital pour moi, ce sont des moments où j’oublie tout le reste.
RTM | Que dirais-tu aux jeunes femmes qui évoluent (ou souhaitent évoluer) dans le secteur des sciences ?
Aude | N’ayez pas peur, foncez, ne vous retournez pas et ne regrettez pas vos choix. Il n’y a pas d’échec, il n’y a que des épreuves et des rebondissements. Plutôt que chercher à tout faire parfaitement, apprenez à vous relever très vite quand vous tombez, car ça arrivera forcément. N’hésitez pas à demander de l’aide, vous en obtiendrez plus que vous ne vous y attendiez. Aidez en retour dès que vous en avez l’occasion. Mais surtout, croyez en vous, écoutez votre intuition, et rappelez-vous qu’on est toujours douées quand on travaille avec passion ! Le monde a besoin de vous 😉
RTM | Qu’est-ce qui fait de Aude une Reine Des Temps Modernes ?
Aude | Je dirais simplement que j’essaie d’agir chaque jour en accord avec mes idéaux et mes valeurs, que je suis quelqu’un sur lequel on peut compter, que je fais de mon mieux et que je suis un peu plus proche chaque jour de celle que je veux devenir. Je refuse de simplement me laisser porter par la vie, je crée la vie que je veux mener. Comme dans le poème préféré de Nelson Mandela, Invictus : « Je suis le maître de mon destin, le capitaine de mon âme. »
[…] que cela faisait désormais partie de moi. Je ne pense pas pouvoir arrêter un jour. Certains chercheurs ont la possibilité de travailler à 100% sur leur recherche, ce n’est pas mon cas. Malgré tout, […]