Naïka Pichi-Ayers (Entrepreneur) – “C’est important que l’on apprenne à mieux travailler avec la Caraïbe”

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Le CV de notre portrait du jour est impressionnant. Naïka Pichi-Ayers fait partie de ces talents qui ont su se faire leur place à l’étranger. Sa terre d’accueil s’appelle Trinidad et Tobaggo, et même si elle est aujourd’hui de retour sur son île natale, la Guadeloupe, Naïka continue à travers ses projets professionnels et culturels de créer des ponts entre ces deux îles.

Intervenantes lors du dernier Ted X talk Pointe-à-Pitre, Naïka Pichi-Ayers, cette business woman au cœur tendre, cette entrepreneuse de talents a gentiment accepté de revenir sur son parcours et de nous parler de son amour pour la Caraïbe.

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WZ : Bonjour Naïka. On va directement rentrer dans le vif du sujet. Qui est Naïka et quelle est son parcours ?  

Naika : Je m’appelle Naïka Pichi-Ayers. Je suis une jeune guadeloupéenne qui suite à l’obtention de son BTS ES, a effectué une licence professionnelle en vente commerciale avec option merchandising. En 2001, je devais réaliser un stage à l’étranger et plus précisément aux Etats-Unis, sauf qu’avec les attentats du 11 Septembre mon stage a été annulé. Je me suis donc rabattue sur Trinidad… J’ai eu un véritable coup de cœur pour cette île. Je suis tombée amoureuse de l’air, des gens, de leur gentillesse, du patriotisme trinidadien. C’est à partir de ce moment là que je me suis dit qu’il fallait que je revienne dans ce pays. J’en ai parlé à ma mère à mon retour de stage qui n’était pas forcément pour au départ. Elle voulait que je termine ma licence avant de pouvoir partir. J’ai donc réalisé ma licence en alternance afin de mettre de l’argent de côté.

Tous les trois mois, je m’envolais pour Trinidad pour prendre mes marques, trouver un logement, visiter les écoles, passer des concours. J’ai été prise dans deux écoles (ce qu’on appelle « statuer » à deux écoles) : une où je prenais des cours d’anglais la journée et la seconde où je suivais des cours de business le soir (management, communication, marketing).

WZ : A quel moment démarre donc ton aventure Trinidadienne ?   

Naïka : L’aventure commence en 2004. Dès mon arrivée à Trinidad, je me suis dit que j’allais conquérir la Caraïbes, donner le meilleur de moi-même. Au début, les choses n’ont pas été évidentes. J’allais en cours d’anglais de 8h à 17h et ensuite en cours du soir de 18h à 22h. Ce n’était pas facile de se retrouver seule à l’étranger. Mais j’ai eu la chance de me faire de bons camarades qui m’ont motivé, encouragé, poussé. Si bien que j’ai obtenu une mention d’honneur en marketing lors de ma diplomation.

WZ : Comment ça se passe une fois que tu termines tes études ? Décides-tu de rester à Trinidad ?

Naïka : Oui, je n’avais pas l’intention de partir. Une fois diplômée, je décide de rester et d’effectuer des stages. Je me suis d’abord faite embauchée par la chambre de commerce de la Caraïbes. Une très belle opportunité, où en tant qu’assistante communication administrative j’étais en charge de tout ce qui concernait les relations entre les départements français et le CARICOM. Je devais étudier les domaines de collaborations possibles entre les îles de la caraïbes, penser des outils, des moyens de créer des liens, des synergies entre les différents secteurs. J’adorais ce que je faisais.

Ensuite, j’ai travaillé pour une assurance en tant que assistante de projet. Et quelques années plus tard, je suis devenue  responsable de bureaux d’affaires pour la  Trinidad and Tobago Manufacturer Association (l’équivalente de l’AMPI Guadeloupe) en collaboration avec le Groupe BERMUDEZ où je m’occupais des échanges entre Trinidad et la Jamaïque. C’est là que j’ai véritablement pris mon envol car c’était un poste à responsabilité où  ma mission consistait à identifier tous les conflits socio-économique et politique entre les deux pays à travers des enquêtes,  je devais identifier les raisons qui faisaient que telles ou telles sociétés ne réussissaient par à s’installer sur le territoire, rencontrer des personnalités politique.

Ce poste m’a permis de prendre en assurance. Je me retrouvais exposée dans les médias, à la télévision, j’avais envie d’être exemplaire et de représenter au mieux à la fois mon île natale, la Guadeloupe et mon île de cœur, Trinidad. Aujourd’hui, je suis responsable Export de la zone Antilles-Guyane, St Barth St Martin et Haïti pour le groupe Trinidadien leader du rotomoulage dans la Caraïbes depuis 40 ans. J’élabore la politique commerciale et je développe les ventes sur ma zone.

WZ : Et en parallèle de toutes ces activités tu décides de lancer ta société « Carribean Ikon Limited ». Peux-tu nous en dire plus ?

Naïka : Oui en effet, depuis 2011, je suis aussi à la tête de ce cabinet de conseil en stratégie qui a pour objectif principal de proposer des plans d’actions internationaux à des entreprises et institutions antillaises en leur permettant de se développer commercialement dans la Caraïbe anglophone par exemple. Je travaille aussi de manière ponctuelle sur des opérations et actions culturelles. Et cette année, d’ailleurs, j’ai ouvert IKONE Caraibes, filiale de Carribean IKON Limited en Guadeloupe.

Depuis 13 ans, je suis aussi agent pour étudiant à bord. J’organise des séjours linguistiques et touristiques pour des jeunes qui souhaitent découvrir Trinidad, ou y effectuer un stage. Ces séjours sont aussi organisés pour des groupes de retraités ou des groupes de professionnels qui souhaitent découvrir leur métier dans un pays étranger.

C’est vrai que je fais plusieurs choses, de la communication, du marketing, j’organise des séjours, je fais du développement commercial… parce que je considère que toutes ces choses sont liées. C’est important que l’on apprenne à mieux travailler avec la Caraïbe, à mieux se connaître. J’aime tout ce qui me rapproche de la Caraïbe et tout ce qui rapproche la Caraïbes entre elles.

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WZ : D’où te vient cette rigueur de travail ? D’où te vient cette volonté de toujours trouver la force d’en faire plus et surtout de le faire bien ?

Naïka : Cette rigueur me vient de ma mère et de l’éducation que j’ai reçue. J’ai grandit dans un quartier difficile et ma mère me répétait toujours : « Instruis toi, lis, ton livre sera toujours ton premier mari ». Ma mère était très stricte et très cool à la fois. Par exemple la première fois que je suis allée en boîte c’était avec mère… Elle ne m’a jamais privé de rien. Elle a toujours crée un climat de confiance, de respect et d’amour. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, j’ai toujours envie de bien faire les choses, de la rendre fière car elle s’est sacrifiée pour que je sois là où je suis aujourd’hui. Elle a toujours fait en sorte que je ne manque de rien, elle m’a accompagnée dans toutes mes étapes de vie, elle m’a appris la valeur de l’argent, la valeur du travail.

Toutes ces valeurs, je les applique aussi au monde du travail. Je travaille uniquement avec des personnes qui partagent ces valeurs. Je préfère refuser des gros contrats parfois et privilégier les petits porteurs de projets car ils seront en adéquation avec ce que je suis et ma manière de voir le travail. C’est ce qui me pousse à beaucoup travailler en réseau.

WZ : As-tu ressenti de vraies différences en termes  d’éducation entre Trinidad et la Guadeloupe ?

Naïka : J’aime à dire qu’ici nous sommes formatés pour être des exécutants. A Trinidad, dès 12 ans, les jeunes stressent et pensent à l’avenir car ils ont un concours d’entrée pour le collège. Si tu te loupes, tu ne rentreras jamais dans une bonne école par la suite. Et à partir de 16 ans, ils sont déjà orientés vers leur métier. Ils n’apprennent pas 20 matières, ils en apprennent 3, ils se spécialisent. Et je pense que cela permet de ne pas se disperser. En Guadeloupe, et pour le système français en général, je trouve que l’on disperse beaucoup trop les jeunes. On n’aide pas les jeunes à se créer, à se faire.

Par exemple, à Trinidad, ils ont ce qu’on appelle les « Juniors Minister ». Ce sont des ministres qui ont entre 14 et 15 ans. Ils montent des plans touristiques, économiques et sociaux pour leur pays et ils se confrontent aux autres ministres des autres îles. Les îles de la Caraïbe investissent dans leur jeunesse. Un jeune trinidadien qui part faire ses études à l’obligation de résultat et quand il revient un poste l’attend. Et je ne parle pas d’un poste sans trop de responsabilités, je parle d’un poste au gouvernement, à l’université… Ils savent récupérer leur élite, ils créent pour les jeunes, ils forment.

En Guadeloupe, on motive les jeunes à partir. Les plus âgés ont du mal à partir à la retraite et à laisser la place aux jeunes. On a vrai un travail à faire pour créer cette passerelle intergénérationnelle afin de donner une place aux jeunes.

WZ : Quelles sont les difficultés que tu as rencontré au cours de ton parcours ? Est-ce que le fait d’évoluer en tant que femmes entreprenantes dans les Caraïbes ça t’a posé des problèmes ?

Naïka : Jamais. Mais je pense que c’est par rapport à mon caractère. Je n’ai que peut faire de ce que les gens pensent généralement.

Ce qui a été difficile, c’est la distance avec ma familles et mes ami(e)s. Trinidad, c’est certes la Caraïbe mais ça reste différent de la Guadeloupe : au niveau culturel, gastronomique, même dans notre manière de faire la fête, de travailler. Il a fallu s’adapter. A Trinidad, tout le monde est très consciencieux au travail, très assidu. En revanche, lorsqu’arrive le vendredi soir, tu peux voir ton patron au bar du coin méconnaissable avec sa bouteille de Carib entrain de winer (danser). Ils ont cette façon bien à eux d’être sérieux sans se prendre au sérieux.

WZ : Pourquoi c’est important selon toi que la Guadeloupe de créer ces liens avec la Caraïbes ?

Naïka : C’est important parce que c’est notre bassin proche. Je trouve cela inconcevable de connaître le monde mais de ne pas connaître la Caraïbe. Notre culture est si proche, on a tant de choses à apprendre les uns des autres au niveau de la santé, de la formation, de la géothermie, des technologies de l’information, l’énergie solaire. Au niveau linguistique, les jeunes peuvent  y apprendre l’anglais et l’espagnol. Et sur le plan touristique n’en parlons même pas. On a tout dans la Caraïbes.

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WZ : Comment allies-tu tes ambitions professionnelles et ta vie personnelle, ta vie de famille ?

Naïka : C’est difficile. Je suis obligée de freiner sur mes ambitions personnelles et professionnelles. Si je devais répondre à mes ambitions professionnelles, je serai dans un avion deux semaines sur deux, comme ce que je faisais lorsque je n’avais pas encore d’enfants.

Ma priorité aujourd’hui ce sont mes enfants. Rien ne passe avant mes enfants et ma famille.

Je parle beaucoup avec mes filles. J’essaye de leur expliquer ce que je fais, pourquoi je travaille autant. Allier familles et business, c’est une question d’organisation et de volonté, l’envie de bien faire les choses. Il faut être positif, il faut savoir créer des opportunités et ne pas toujours être dans la planification.

Il y a forcément des sacrifices à faire et pour le moment le sacrifice, c’est moi car quand tu as des enfants, le « nous » prime sur le « je ». Il faut donc essayer de trouver un équilibre. Mais les choses se font avec le temps.

WZ : Quel conseil donnerais-tu aux jeunes qui voudrait mener des carrières à l’internationale tout en contribuant à développer leur pays ?

Naïka : Je leur dirait qu’il être prêt à faire des sacrifices car ce n’est pas simple. Entreprendre, en plus à l’international, c’est coûteux, ça demande beaucoup de temps, d’énergie.  Mais je leur dirais surtout d’aller au bout de leur rêve, de ne jamais se fier à l’avis et aux opinions des autres. Même s’il compte, il ne doit pas être la priorité. Il faut savoir s’isoler et écouter cette voix qui vous dit d’y aller à fond. Il faut être prêt à s’investir à fond, à 2000%. PATIENCE ET PERSÉVÉRANCE.

En ce qui me concerne, c’est l’une des plus belles choses qui me soit arrivée. Et je n’ai absolument aucun regret. Je suis entrepreneuse depuis 2011 et j’ai même l’impression de m’être lancée tardivement. Mais je pense que c’est une question de maturité. Il n’y a rien de mieux que de faire vivre ses idées, sa vision, de pouvoir travailler selon sa manière de voir les choses.

Et puis il n’y a pas de secret, il faut travailler. Il faut accepter de grandir, d’apprendre des autres, ne pas être hautain, rester humble.

WZ : Quelles sont les prochaines échéances qui arrivent d’un point de vue professionnelles ?

Naïka : J’ai pas mal de petits projets sur lesquels je travaille dans différents domaines sur la Guadeloupe et la Caraïbe. Je me suis entourée de jeunes qui ont envie de faire bouger les choses et qui ont pleins d’idées. J’accompagne deux jeunes femmes aussi qui ont de belles idées et auxquelles on va essayer de donner vie pour 2017.

Je vais essayer de faire perdurer les projets déjà enclenchés, tels que le « Karribean Beauty Fest » que l’on a lancé avec Johana Morvan en 2016, mais aussi les « SOCAS Master Class » qui existe maintenant depuis 2014. Nous travaillons donc sur la 4ème édition. L’objectif est de rendre tous ces projets pérennes.

En bref, plein de choses se préparent. 2017, ne sera pas de tout repos mais il y a tellement de belles choses à faire en Guadeloupe et pour la Guadeloupe, que je fais de mon mieux pour apporter ma pierre à l’édifice.

 

8 Commentaires

  1. Lorsqu’on veut, on peut! Merci pour ce témoignage qui devrait permettre de stimuler beaucoup d’entre nous. Personnellement j’en tire profit pour moi même car il a suscité de nombreuses idées. Merci pour cet excellent parcours qui contribue à élargir notre champ des possibles.

    • Flavie, je vous remercie pour votre message qui est vraiment très touchant. Comme j’aime le dire, si je peux inspirer quelqu’un à aller dans le bon sens et contribuer à ce qu’il poursuive son rêve, cela ne peut être que positif. Bonne continuation à vous également. Continuons ensemble à véhiculer de belles valeurs pour les générations futures.

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