Marie-Julie (Comédienne) – “Être afropéenne, c’est ne pas choisir entre mes identités afro caribéennes, parisiennes et afro descendantes”

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Notre QUEENSPIRATION de la semaine s’appelle Marie-Julie Chalu et se définit comme Afropéenne. Un « terroir mental » qu’elle explore au travers de son projet Afropea, un espace de réflexion sur les identités afropéennes dans une perspective inclusive et intersectionnelle. Afropéenne, comédienne et auteure, nous avons échangé sur ses multiples identités, ses projets et sa carrière. 

Crédit photo : Gael Rapon

RTM | Bonjour Marie-Julie, ravie de t’accueillir sur RTM. Pour commencer, pourrais-tu te présenter pour nos lectrices et lecteurs ?

Marie-Julie | Je m’appelle Marie-Julie. Je suis comédienne. J’écris également des textes courts, et de la poésie. J’écris aussi pour des médias, principalement pour les rubriques artistiques et culturelles.

J’ai créé le projet Afropea, qui interroge et met en avant l’afropéanité, à travers des œuvres artistiques ou des écrits postcoloniaux. Les identités afropéennes étant des identités postcoloniales. Bien que le terme Afropéen fasse débat, le mot m’intéresse.

Afropea appartient à un projet plus large qui s’intitule Iconoclaste, un espace où je réalise d’autres projets, un sur le zouk et un autre sur le R’n’B français.

« La musique créole est un véritable héritage, un héritage à la fois familiale et politique. »

RTM | Tu te définis comme afropéenne, tout en ayant des origines martiniquaises. Comment cohabitent tes identités multiples ?

Marie-Julie | Je suis une femme noire née en France qui a grandi avec la culture afro caribéenne. Ma mère m’a toujours parlé créole. La nourriture et la musique que nous écoutions à la maison me rappelaient ces origines.
La musique créole est un véritable héritage, un héritage à la fois familiale et politique. Je pense au zouk notamment.
Cependant, j’ai grandi dans l’espace hexagonal, et grandir en France raconte quelque chose de moi. D’où mon intérêt pour ce terme afropéen. Je me sens afropéenne.

RTM | Que signifie pour toi être afropéenne ou afropéen ?

Marie-Julie | Être afropéenne, c’est ne pas choisir entre mes identités afro caribéennes, parisiennes et afro descendantes, et inscrire cette multiplicité en Europe. L’Europe se voit comme blanche. Mais l’Europe a un passé esclavagiste et colonial qui raconte nos présences ici.
Se dire afropéen, c’est rappeler son histoire à l’Europe. Cela ne veut pas dire que j’oublie les Antilles, ou l’Afrique, car l’Afrique est là aussi bien que fantasmée car étant afro caribéenne.
L’Afropéanité rappelle le triangle. Afropéa s’inscrit donc dans cette histoire triangulaire, dans cette histoire afrodiasporique. C’est raconter une instabilité présente, une instabilité qui est la mienne et qui me fait créer et me questionner sur le monde.

RTM | À quand remonte tes premières questions sur ton identité ?

Marie-Julie | J’ai découvert que j’étais noire à l’âge de 3 ans, lorsqu’un enfant m’a dit « je ne veux pas jouer avec toi parce que tu es noire ».

Avant j’étais simplement Marie-Julie. Face à cette situation, je suis devenue noire.


Un peu plus tard, j’ai pris conscience de mon statut de femme. Pendant l’adolescence, mon corps était souvent « exotisé ». J’étais une jeune femme noire avec des formes. Puis mon corps a changé.  Je suis devenue plus fine. Je ne correspondais plus au cliché de la femme noire aux formes « généreuses ». À cette époque, je faisais également du théâtre. Je lisais beaucoup. Ce qui m’a valu les  fameux « tu fais comme une blanche ».
Je n’avais pas les mots pour expliquer ces situations racistes.
C’est à partir de mes 20 ans, lorsque j’ai commencé à lire et découvrir les écrits d’auteurs afro caribéens que j’ai pris conscience, au fur et à mesure. Puis, j’ai rapidement découvert l’afroféminisme. J’ai rencontré Amandine Gay, qui m’a proposé de participer à son film Ouvrir la voix.

Être, c’est se découvrir un peu plus chaque jour, c’est un cheminement qui est encore en cours et qui continuera tant que je serai en vie.

RTM | L’écriture a une place importante dans tes différents projets …

Marie-Julie | Le théâtre m’a mené à l’écriture. Ou plutôt la lecture m’a mené à l’écriture. Je lisais beaucoup, et lire m’a donné envie d’écrire. Étant très timide et réservée, le théâtre m’a permis de trouver une place sur scène pour me dire au monde. Naturellement, j’ai voulu devenir comédienne. Mais je souhaitais également continuer d’écrire.

J’ai essayé d’écrire des pièces de théâtres, mais je ne pense pas être douée pour cela (rire). 

Jouer sur scène ou écrire participent selon moi à la même visée, celle de proposer des représentations plus diversifiées, des représentations qui disent le monde.

RTM | La plateforme Afropea est née en 2016. Qu’est-ce qu’elle raconte ?

Marie-Julie | Au départ, Afropea, c’était un compte Instagram. Je voulais rendre concret par des images ce « terroir mental » dont parle Léonora Miano, cette identité que l’on porte en soi mais qui est peu matérialisée. J’ai voulu trouver des œuvres, des histoires, des mémoires qui racontent l’afropéanité. Je me suis beaucoup inspirée de Sunu Journal. Un compte Instagram panafricain qui traverse l’histoire culturelle, politique, spirituelle de l’afro descendance.

Je fais donc beaucoup de recherches de travaux artistiques, de travaux universitaires. Mon objectif est de rendre le tout accessible au plus grand nombre car pour le moment c’est très « intello artistique ».  Je travaille d’ailleurs actuellement avec des ami.e.s profs pour la mise en place d’ateliers en école.

Aujourd’hui plus qu’un Instagram, Afropea, c’est également une plateforme en ligne, qui propose tout ce travail de curation en termes d’images et de recherches mais également des interviews d’afropéen.nes.

Dans un futur proche, j’aimerais proposer des expositions, une curation sur les créativités artistiques afropéennes.

RTM | En parlant d’interview, j’ai remarqué qu’il y avait essentiellement des femmes interviewées. Les femmes seraient-elles plus afropéennes que les hommes ?

Marie-Julie | Ce n’est pas volontaire. Simplement, je me suis rendue compte qu’autour de moi, ce sont essentiellement les femmes qui s’interrogent sur ces questions. Elles sont amenées peut-être plus tôt ou plus vite à se questionner sur leurs places dans le monde, sur ce qu’elles veulent donner au monde, selon leurs propres valeurs, créativités et personnalités.

Mais il y a l’interview d’un homme qui arrive (rire).

RTM | Tu es également à l’initiative d’un projet intitulé Zouk Vintage, l’encyclopédie du Zouk. D’où te vient cette passion pour le zouk ?

Marie-Julie | Le zouk est une musique qui m’a toujours habitée. Rapidement, j’ai eu envie de documenter cette période du Zouk des années 80/90 et début 2000. J’avais envie de parler du Zouk, de parler politiquement du Zouk. J’ai commencé en faisait des recherches de couvertures d’albums. Puis j’ai eu envie de développer.

Je prépare actuellement des sessions qui aborderont plusieurs thématiques : Paris et le Zouk, comment Paris, en tant que ville postcoloniale a participé à la rencontre de musiciens d’Afrique et des Antilles, et ainsi à alimenter le Zouk. Tout comme la musique Coupé-Décalé a été créé à Paris.

Paris a été une ville centrale pour les musiques noires.

D’autres thématiques que j’aimerais aborder : le Zouk et le Panafricanisme, le Zouk et la place des femmes. À chaque session, je voudrais prendre un fait politique ou de société et le rapporter au Zouk.

Le R’n’B français m’intéresse également. J’ai d’ailleurs lancé une page Instagram @archivesrnbfr. Le R’n’B français est une musique intéressante sur les identités immigrées ou postcoloniales en France. On parle beaucoup du Rap français, beaucoup moins du R’n’B français. Il y a ce même cliché avec le Zouk, de la musique langoureuse. Quand tu écoutes le R’n’B français des années 90, il dit, il raconte une situation sociale et raciale de la France. C’est intéressant d’interroger ces musiques.

RTM | Quel regard portes-tu sur l’évolution de l’image du Zouk aujourd’hui ?

Marie-Julie | Je lisais une interview de Jocelyne Béroard qui disait que le Zouk d’aujourd’hui est intéressant, mais qu’il s’est concentré sur une seule version du Zouk : le zouk love. Alors que Kassav en avait proposé plusieurs. Le manque de transmission est peut-être à l’origine de l’appauvrissement du Zouk que l’on nous propose aujourd’hui. Le Zouk est selon moi une musique très inventive qui souffre malheureusement de certains clichés.

RTM | Si tu devais proposer 3 morceaux de Zouk dits militants, lesquels nous conseillerais-tu ?

Marie-Julie | An ba chen la de Kassav qui traite de l’esclavage. Le morceau Bel Kréati de Jean-Philippe Marthély où il parle d’amour en créole, je trouve que c’est très puissant parce que souvent le créole est vu comme une langue agressive alors que c’est une langue comme une autre, une langue qui dit l’amour. Et enfin, je dirai les titres de Lycinais Jean qui parle de l’amour lesbien. C’est une première dans le zouk. C’est symbolique.

RTM | Par l’art, tu questionnes le politique. En quoi l’art permettrait-il d’influencer ou d’orienter le politique ?

Marie-Julie | L’art touche et ouvre l’imaginaire. Il ouvre le champ des possibilités. C’est très sensible. C’est beaucoup plus fort selon moi. L’art permet d’exister, de continuer de croire, d’avoir de l’espoir, de partager avec d’autres, d’échanger. L’art fait le lien, crée du lien par le sensible.

Imaginer au-delà de sa situation, c’est une force. Une force sans limite.

RTM | En début d’interview, tu nous parlais de ta rencontre avec l’afro féminisme. Qu’est-ce que l’afro féminisme a modifié dans ta façon d’évoluer en France ?

Marie-Julie | L’afroféminisme m’a offert des clés de compréhension sur mon vécu, notamment pendant mon adolescence et l’exotisation qui était faite à mon corps. Ca m’a permis de dire mon expérience en France, d’interroger la société française par un autre prisme.

bell hooks dit qu’une femme noire en tant que telle réinterroge forcément les fondements de la société dans laquelle elle évolue, car elle fait face au racisme, au sexisme, et au classisme. Les expériences de vie des femmes noires sont amenées à montrer en quoi les sociétés occidentales sont marquées structurellement par les oppressions racistes, sexistes et classistes. Par conséquent, notre marginalité peut donner naissance à des solutions, des stratégies contre-hégémoniques inédites pour notre survie et celles des autres.

La femme noire étant au bas de l’échelle, peut réfléchir au monde de manière tellement radicale que cela sert avant tout les femmes noires, mais aussi tous les autres.

L’afroféminisme est un humanisme ultra puissant.

RTM | Le livre « Noire n’est pas mon métier » a fait grand bruit en France. Il met un coup de projecteur sur les actrices/comédiennes noires en France. En tant que comédienne évoluant en France, quel regard portes-tu sur la place donnée aux femmes noires ?

Marie-Julie | Être comédienne, c’est prendre deux fois plus de risque de se retrouver dans la précarité. Je ne sais pas si j’en avais conscience au début. Simplement, j’aimais beaucoup le théâtre et c’est ce que je voulais faire. J’avais conscience d’être noire, pas réellement d’être et femme et noire. C’est venu après.

Rapidement, j’ai décidé de faire des choses à côté, de créer à côté. D’abord pour nourrir mon art théâtral, mais également pour ne pas attendre des rôles. J’aime écrire, j’aime réaliser.

Pendant longtemps, j’ai eu un job alimentaire, je survivais grâce à ça et en même temps je travaillais sur des projets artistiques et théâtraux qui étaient en accord avec mes valeurs. Je ne voulais pas correspondre à des clichés. Évidemment tout le monde ne peut pas se le permettre. Chacun a sa réalité.

J’ai cependant eu la chance de rencontrer des artistes sensibles aux questions raciales et de genre qui m’ont offert des rôles intéressants. Comme Emmanuelle Jacquemard avec qui j’ai travaillé sur une adaptation scénique de King Kong Théorie de Virginie Despentes. Depuis 3 ans, je travaille avec Matthias Claeys (Compagnie mkcd), qui m’a permis de jouer Phèdre dans un de ses spectacles. En ce moment je travaille également avec la Compagnie Ktha, une compagnie d’une vingtaine d’années dont le metteur en scène, Nicolas Vercken s’interroge également sur ces questions.

Dernièrement, l’artiste-performeuse Rebecca Chaillon a organisé un casting pour son prochain projet. Nous nous sommes retrouvées, un après-midi, entre une vingtaine de comédiennes noires et métisses. C’était super fort. De cette après-midi a découlé un groupe Facebook et une envie de s’entraider. J’ai de l’espoir dans ces initiatives. Peut-être un peu naïvement.

Crédit : Gael Rapon

RTM | Est-ce que parfois on se dit « La France ne nous mérite pas ? »

Marie-Julie | Souvent même. Mais je ne sais pas où aller d’autre pour l’instant. J’ai pensé à la Martinique, mais ce sont d’autres problèmes : la situation coloniale, le chlordécone… Je ne sais pas encore. Amandine Gay nous avait posé la même question lors du tournage d’Ouvrir la Voix et à l’époque je ne savais pas non plus.

RTM | Quels conseils donnerais-tu à une femme noire qui souhaiterait faire carrière dans ce milieu ?

Marie-Julie | Je lui dirais de ne pas mettre de côté cette envie forte qu’elle porte en elle. Il faut toujours écouter ce que l’on a au fond de soi. Je crois que c’est ce qui compte. Si tu le fais pour les bonnes raisons, si c’est ton chemin alors vas-y à fond. Je sais que ce n’est pas évident à assumer face à sa famille, surtout lorsque l’on vient de familles précarisées car pour nos familles, un travail c’est un salaire qui te permet de payer ton loyer. Donc il faut avoir les épaules pour faire face. 

J’ai la chance personnellement d’avoir une mère tolérante. Même si elle ne comprend pas tout ce que je fais, et qu’elle est inquiète, elle me voit heureuse et surtout elle m’accompagne.

Et enfin je leur dirais également d’être curieuse, d’éveiller leurs connaissances et si elles souhaitent jouer de grands rôles, elles sont à leurs places !

RTM | Qu’est ce qui fait de Marie-Julie une Reines Des Temps Modernes ?

Marie-Julie | J’essaye d’être fidèle à ce que je crois et surtout j’essaye de défendre ce en quoi je crois. Je tente de créer des espaces de relation, des espaces de partage qui mettent en avant les identités dont on parle peu mais qui interrogent de manière inédite nos sociétés. Je veux donner de la voix à ces identités parce que j’en fais partie tout simplement. J’essaye de ne pas être là où on m’attend, d’explorer qui je suis pleinement et de le partager avec les autres.

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