Être une femme en Iran

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Au cours de mon voyage en Iran l’été dernier j’ai pu voir ce qu’il en était de la situation des femmes dans ce pays rempli de merveilles. En tant que femme, ce fut très difficile pour moi de me sentir à l’aise et en sécurité pendant ces 10 jours de découverte…

Téhéran

Encore dans les airs, mon amie et moi nous sommes préparées à enfiler nos voiles afin d’être en règle en arrivant à l’aéroport. C’est à ce moment précis qu’un homme assit à nos côtés nous a sourit et affirmé que le voile était signe de liberté et que c’était important que nous le portions… Je me suis dis que nous n’avions pas tout à fait la même notion du mot “liberté” mais après tout je savais dans quoi je m’embarquais, ou du moins j’en avais une vague idée. Mon amie et moi nous sommes regardées avec nos voiles sur la tête, c’était affligeant, je n’aurai jamais cru ressentir ça en portant un voile, le fait qu’il soit imposé, qu’il soit supposé nous cacher du regard de l’homme, je me suis sentie impuissante et vulnérable.
En arrivant à l’aéroport, nous avons suivis la procédure de demande de visa sur place puis attendu sur le côté, attendu que presque tous les hommes reçoivent leur visa avant d’être nous mêmes servies. Parce qu’en Iran, l’homme est prioritaire.


Notre premier jour en ville fut une expérience inoubliable. Accompagnées de Bahar, notre charmante hôtesse, nous avons visité le fameux Palais du Golestan, siroté un excellent cocktail iranien dans les jardins, puis nous nous sommes aventurées dans le bazar où j’ai reçu une demande en mariage. Bahar s’est chargée de répondre au jeune homme d’environ 17 ans que l’Iran n’était pas un pays pour moi. En sortant du bazar, je commençais à me sentir mieux, à accepter le voile sur ma tête, à sourire et profiter du beau temps. À ce moment-là, un homme s’est approché de nous, a écarté mon amie afin de pouvoir m’atteindre plus facilement, puis a passé sa main au niveau de mon entre-jambe avant de s’enfuir… J’étais tétanisée, mon réflexe a été d’immédiatement repousser sa main (vous me direz, c’est normal, mais pas en Iran) un groupe de femmes voilées de la tête au pied s’est arrêté, scandalisées par mon acte (non le sien) elles ont commencé à faire de grands gestes, Bahar nous a rapidement emmené plus loin afin d’éviter un mouvement de foule. Le soir même j’ai hésité à écourter mon séjour, c’était presque traumatisant.


Après cette mésaventure, Bahar accompagnée cette fois de son mari Mohammad afin que tout aille pour le mieux nous a fait découvrir le reste de la ville de Téhéran. Accompagnées d’un homme, les balades en centre-ville étaient bien plus plaisantes, aucun homme ne s’adressait à nous, aucun regard pervers ne nous était adressé, nous étions “sa propriété”. Le reste de notre séjour à Téhéran fut plutôt plaisant, nos amis nous ont fait découvrir tout ce qu’il y a de plus beau dans la culture iranienne, la musique traditionnelle, les instruments perses, la poésie, la danse. Bien sûr, danser, chanter, faire la fête et boire de l’alcool est interdit en République Islamique d’Iran, cependant, la plupart d’entre eux s’y risque tout de même.

Un de nos amis, rencontré lors d’une soirée arrosée comme il se doit nous a confié « Vous savez, c’est interdit de chanter, de danser, de boire, en fait c’est interdit de vivre et de s’amuser, c’est pour ça qu’on doit partir ». Le plus éprouvant lors de cette soirée, c’était de voir les femmes vêtues d’une petite jupe, d’un tee-shirt moulant et portant des talons se trémousser sur le dancefloor, puis une fois la fête terminée, aller se changer et se cacher sous leur Chador. Je comprend pourquoi la plupart d’entre eux souhaitent quitter le pays.

Isfahan

Après notre séjour à Téhéran, nous nous sommes rendues à Isfahan, une ville magnifique, et très accueillante. Mon amie avait prit contact avec une jeune femme de 24 ans originaire de la ville via instagram qui nous a proposé d’être hébergées chez une amie à elle. À Isfahan, la population est bien plus habituées aux touristes que ne l’est la ville de Téhéran. Il a donc été plus agréable de s’y promener seules entre femmes.


Nous avions eu connaissance peu avant notre départ d’un mouvement féministe consistant à demander aux femmes en Iran de se prendre en photo sans le voile et de la poster sur les réseaux sociaux. Nous avons donc suivis ce mouvement avec plaisir, mais aussi avec un peu d’appréhension. Nous nous sommes rendues devant la Mosquée du Shah, puis chacune notre tour nous avons retiré notre voile pendant que l’autre prenait la photo. Soudain, une famille iranienne s’est approchée de nous et nous a demandé de prendre une photo avec elle, ma première réaction fut de remettre mon voile, mais le père de famille m’a fait signe de le laisser sur mes épaules. En regardant à ma gauche, j’ai aperçu une fillette d’environ 8 ans retirer le sien puis la mère aux côtés de mon amie sourire de toutes ses dents, elle avait l’air sincèrement heureuse. Ils nous ont ensuite remercié, tous, même les hommes, la mère nous a fait un câlin, puis il sont partis. C’était si émouvant, à ce moment-là j’ai pris conscience du fait que même les hommes sont contre le port du voile, et que ce moment passé avec nous leur avait sans doute donné comme une sorte d’espoir que les choses changent.

Un soir chez nos amies, impossible de dormir, nous avions tellement de choses à nous dire, à partager que nous avons passé une bonne partie de la nuit à bavarder. L’une d’entre elle étant très engagée dans le droit des femmes, nous avons décidé de lui poser quelques questions. Ce que nous en avons retenu relève surtout du droit, le droit musulman bien sûr.
• En Iran, si une femme est surprise en train de tromper son mari, celui-ci est en droit de la tuer et même de tuer l’amant. De toute façon, l’adultère commis par la femme est réprimé par lapidation.
• Les rapports sexuels étant interdits hors mariage (pour les femmes seulement), il existe une procédure de “mariage temporaire” qui consiste à épouser une femme pour une période de temps limité uniquement dans le but d’entretenir un rapport sexuel avec elle.
• Les femmes ne peuvent ni voyager, ni travailler, ni prendre quelconque décision sans l’accord de leur mari.
• Les femmes n’ont pas le droit de chanter ou de danser dans des espaces mixtes car leur corps ou leur voix pourraient provoquer des désirs illicites chez l’homme.
• Pour ce qui est du droit à l’héritage, une femme vaut la moitié d’un homme.
• Si une femme est violée et qu’elle souhaite porter plainte, il lui faut 4 témoins hommes autrement sa voie n’a aucune légitimité.
• Les femmes doivent se soumettre aux désirs et aux décisions de leurs maris que ce soit en rapport avec le choix de leur domicile ou avec leurs fréquentations.

Nous avons tenus à leur demander si elles aimaient porter le voile et si toutefois elles le porterait dans un pays où il n’est pas imposé. Deux d’entre elles nous ont répondu que le voile ne les dérangeait pas, parce qu’elles étaient déjà habituées à le porter, mais si elles venaient à vivre dans un pays où le port du voile n’est pas obligatoire, elles ne le porterait pas. La troisième nous a immédiatement fait savoir qu’elle détestait porter le voile, que si elle avait le choix, elle ne le porterait pas.


Le dernier jour passé à Isfahan fut plutôt mouvementé, j’ai perdu mon téléphone dans un taxi et un jeune inconnu est venu à ma rescousse, j’ai donc pu retrouver mon téléphone après à peu près 3 heures de disparition (merci Ali). Pour le dernier soir, nos amies qui nous avaient si gentiment accueillies nous ont emmené dans un bon restaurant afin de nous dire au revoir en beauté. Sur le chemin du restaurant, la chaleur était si intense que j’ai décider de retirer mon voile pour quelques instants, c’est là qu’une femme âgée d’une cinquantaine d’années s’est mise à me suivre dans la rue en en me demandant de remettre mon voile. Ne voulant pas causer plus de trouble en pleine rue, j’ai remis mon voile.

En arrivant au restaurant, nos amies nous ont demandé ce que nous pensions de l’Iran, aucune de nous ne savait quoi répondre, nous avons donc finit par raconter notre séjour à Téhéran. Et c’est en passant par l’épisode de l’agression que l’une d’entre elles m’a dit “Ah oui c’est moche que ça vous arrive en 10 jours de voyage, mais nous ça fait 24 ans que ça nous arrive, c’est normal”, en entendant les mots “c’est normal” j’ai été choquée au plus profond de mon âme, j’ai eu envie de crier “Non ! Ce n’est absolument pas normal !” mais au lieu de ça j’ai hoché la tête. Après le dîner nous sommes rentrées et nous nous sommes dit au revoir, le lendemain matin nous partions pour Shiraz, dernière ville de notre séjour.

Shiraz

Dans le bus pour Shiraz, étant deux femmes voyageant seules, le chauffeur s’est montré particulièrement intéressé et n’a pas hésité à nous faire des avances pendant la pause sur l’aire d’autoroute en déboutonnant le haut de sa chemise afin de révéler son torse bien poilu, signe de virilité incontestable. Un acte que mon amie et moi avons trouvé tout à fait charmant… En arrivant à Shiraz, nous avons été accueillies par un jeune couple de mariés et leur enfant d’un an mignon à croquer. La femme étant guide touristique de profession, elle nous a conseillé sur les endroits à visiter, et nous a proposé de nous y faire conduire par son mari.


À peine arrivées, nous avons tenu à sortir afin de découvrir la ville de nuit. Nous nous sommes rendues au bazar et nous avons ensuite parcouru le grand boulevard, évidemment, deux jeunes femmes seules la nuit, ça attire les regards. Shiraz est la seule ville en Iran où je me suis sentie obligée de tenir mon voile d’une main afin de garder le tissu sur tout mon visage excepté mes yeux, j’avais l’impression de me sentir en sécurité si on ne me voyait pas. C’est incroyable d’en arriver là et quand on y pense c’est plutôt ironique. C’est la ville dans laquelle nous avons reçu le plus d’attention, les regards malsains, les hommes qui tentaient de nous toucher dans la foule, ou encore ceux qui nous montraient du doigts et rigolaient… une horreur. Nous étions des morceaux de viande.

Au bout d’une certaine heure nous avons décidé de nous réfugier à l’intérieur d’un salon de thé. Accueillies par un jeune homme d’une trentaine d’années, nous avons profité d’un bon thé pour nous requinquer, c’est là que le jeune homme est apparu avec deux énormes albums photos de famille, nous étions ravies. C’était si émouvant de voir à quel point les femmes étaient libres avant la révolution. Sur les photos, les femmes ne portaient pas de voile, elles s’habillaient comme vous et moi.
Lors de la dernière journée que nous avons consacré à la visite de la ville, un jeune homme nous a suivis en demandant à mon amie si elle était allemande et en lui montrant une séquence pornographique sur son téléphone. Apparemment la pornographie allemande est réputée jusqu’en Iran.


Le dernier soir, nous avons prit le temps de discuter avec la femme qui nous hébergeait. Samira est mariée à un jeune homme Turc qui, n’ayant pas effectué son service militaire en Iran ne peut pas travailler. Samira est donc le gagne-pain de la famille. Ce jour-là elle nous a expliqué que son mari lui reprochait sans cesse sa forte silhouette, qu’il lui disait que les femmes européennes étaient minces et belles, qu’il la comparait aux célébrités qui passaient à la télé, nous en avons d’ailleurs été témoin au cours d’un repas. La voix tremblante, elle nous disait “je viens d’avoir un enfant, c’est normal que j’ai pris du poids, mais là je dois faire du sport parce qu’il me le demande et quand on est marié et bien, notre corps ne nous appartient plus”, c’était déroutant, mon amie a tenté de la rassurer et de lui faire comprendre qu’elle était belle telle qu’elle était, que si elle se sentait bien comme ça, qu’elle ne change pas, et surtout qu’elle ne le fasse pas pour le bonheur de son mari, mais pour le sien avant tout. Le jour du départ nous avons tenu à lui dire qu’elle était belle et forte.

Le voile est censé nous cacher du regard de l’homme, mais finalement, voile ou non, en Iran comme dans la plupart des pays musulmans, ça n’a pas d’importance. Si l’homme est roi et qu’il a tout les droits, qu’il faut tant de preuves pour qu’il soit reconnu coupable, ce n’est pas le fait de porter un voile afin « d’être digne » qui va l’arrêter. Même si parfois, on a l’impression de se sentir plus en sécurité en étant plus couverte.

 

Photos :

Instagram : @petrikevich & @ines_soldado

5 Commentaires

  1. Ton article est à la fois beau mais bouleversant et si touchant…
    Nous ne réaliserons jamais assez la chance que nous avons. Le monde est si beau, dommage qu’il n’y en ait toujours pour le gâcher… Il faut se battre pour que chaque individu ait sa place.

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