Le(s) féminisme(s) un humanisme ?

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Qu’est-ce que le féminisme pour moi ?

Cette question m’évoque d’abord un retour sur moi même, me repenser dans ma construction, le sociologue dirait dans ma socialisation primaire. En effet, je suis né et j’ai été « élevé », au sens littéral, par des femmes et une femme en particulier : ma mère.

J’ai été élevé par une femme célibataire qui selon moi est la définition même du féminisme à savoir un combat pour l’égalité pour soi et parfois même contre soi. En effet, ma mère fait parti de ces « mères célibataires » sur lesquelles un système socialement putréfié fait peser une bonne parti du fléau de violence de notre société. Mais faisons fit du politique (politique politicien) et revenons à cette définition du féminisme.

C’est donc mon expérience d’être confié corps et esprit à une femme : ma mère, qui me donna l’envie de faire de ce combat le mien. Qu’est-ce que l’éducation sinon la transmission de techniques d’autoprotection sociale ? Ces résistances passent par l’inclusion ou plutôt la participation et non pas par une intégration censeure (sans sœur).

Ma mère est l’incarnation de la formule « doubout pikan » car si mon père ne m’a jamais « abandonné », ma mère fut de facto à la fois pater et mater familial. Le féminisme, ce n’est pas être mère mais ma mère c’est le féminisme car elle a toujours inspiré ou imposé le respect à tous.

Par la suite d’autres femmes m’ont aidé à me construire. De Gerty Archimède à Angela Davis, de Madame Ismenoux (ma prof de français au Collège carnot) à Maryse Condé, de Solitude à Olympes de Gouges, de Lauryn Hill à Christiane Taubira, de ma mère à Man’ Tine….Des femmes artistes, militantes, politiques, et mèt a mannioc m’ont accompagné et continue de m’influencer. Par mèt’ a mannioc j’entends maître penser

…Yé kric ?!…Yé krak… !!!

Quand je dis mèt’ a mannioc j’entends Elsa Dorlin, philosophe et professeure à l’université Paris VIII, car elle fait parti des personnes qui, alors que j’avais essuyé deux revers en licence de Droit à Bordeaux IV, me donnèrent la force et l’envie de ne pas lâcher, et de poursuivre avec assurance ma formation académique… résister !

Always forward, forward always[1] !

Selon Elsa Dorlin, par féminisme on entend « cette tradition de pensée, et par voie de conséquence les mouvements historiques, qui, au moins depuis le XVIIe siècle, ont posé selon des logiques démonstratives diverses l’égalité des hommes et des femmes, traquant les préjugés relatifs à l’infériorité des femmes ou dénonçant l’iniquité de leur condition[2]»

Le féminisme c’est donc la résistance à un système d’oppression.

Toutes les luttes pour l’égalité, et le féminisme est peut-être la mère de toutes ces luttes tant l’oppression des femmes dans nos sociétés apparait au sein même du livre duquel nombreux se réclame : la bible, est un combat extérieur mais intérieur.

Intérieur, non pas parce qu’il y aurait “des femmes qui choisissent (de porter le voile comme ) il y avait aussi des nègres afric…américains qui étaient pour l’esclavage” comme le disait une ministre française, mais parce que dans tout système d’oppression, aux résistances font face des « nano-gains » personnels pouvant faire croire à certain(e)s que leur situation s’améliorant le système en question serait viable.

En clair, être une femme ministre de la famille dans un gouvernement qui se veut paritaire ne suffit pas à faire de vous une femme libérée et ce en dépit de la courtesse de vos vêtements. Précisément, le féminisme c’est se demander qui décide que la mini-jupe serait un marqueur de liberté ?

Il n’en est rien !

Les avancés pour l’égalité sont le résultat de résistance des premiers concernés qui parfois se trouvent des alliés. Ainsi, l’abolition de l’esclavage n’est pas le fait de la seule volonté d’un « prophète » Schoelcher mais des résistances permanentes, bien qu’invisibilisées des premiers concernés. De même, en France, l’entrée « officielle » des femmes dans le suffrage, qui était considéré comme universel malgré leur absence, apparaît non pas comme le résultat de la seule volonté d’un homme providentiel, le général de Gaulle, mais le résultat de la rencontre de luttes permanentes pour l’égalité et de contexte socio-politique.

Sans résistance point de liberté.

Je ne suis pas spécialiste du féminisme mais depuis longtemps j’ai la conviction que nous devrions tous être féminisme. « We should all be feminist » comme dirait Chimamanda Ngozi Adichie !

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Oui, nous devrions tous l’être car le féminisme est avant tout une lutte pour l’égalité, l’équité comme le précise Elsa Dorlin. En d’autres termes, les féminismes, car ils sont multiples, libèrent non seulement les femmes mais également les hommes. Ce constat est d’autant plus vrai pour nous afro-descendants.

Le sexisme résume les femmes à leur appareil reproducteur mais les hommes également. Et personnellement je ne souhaite pas être résumé à un phallus. Au sein du système d’oppression raciste, le sexisme est roi. De plus, comme le montrait Frantz Fanon dans les damnés de la terre, à propos du colonialisme et des tortures en Algérie, le système d’oppression étreint le « dominé » mais aussi celui à qui on fait croire qu’il est « dominant ».

On en revient donc à la face sournoisement sympathique des dominations : le dominant se voyant comme gratifié alors même qu’il est enchainé lui aussi à une condition, une case qu’il n’a bien souvent même pas choisi.

Alors, libérez-vous, résistez !

Le féminisme pour un homme est une lutte contre sa propre position de dominant. Un homme ça s’empêche dirait le père d’Albert Camus, le combat féministe est avant tout l’expérience de l’écoute. L’homme féministe doit accepter les actions non-mixtes au lieu de se draper dans un hypocrite universalisme.

Souvenez-vous d’un simple fait : la colonisation fut au nom d’un universalisme car il fallait faire rentrer ces démons Incas, Bantou, Cherokee, Peuls, Vietnamiens, Haoussa, Caraïbes, Berbères, Arawak, Aborigènes…dans un système qu’il n’avait pas choisi, leurs faire adopter des mœurs et coutumes inconnus et ce au prix de massacre, de Génocide. Au XIXe siècle les Gobineau, les Ferry, les Stanley et autres colons se drapèrent d’universalisme et de « progrès » pour piller, détruire, et tenter d’effacer des civilisations humaines pluri centenaires au nom d’un capitalisme naissant.

Les mots ont un sens mais plus important encore ils ont une histoire que le temps ne suffit pas à légitimer. Dès lors, ne reprenons par mimétisme des termes usités, stigmatisés et stigmatisant…Détournons, Inventons, innovons…

Bien évidemment, être l’objet de domination ne suffit pas à ouvrir aux dominations des autres et ce quand bien même nous les appelons « sœurs », « mères » ou « tati ». En effet, je me rappelle encore de ce « militant  panafricain » qui ne comprenait pas, à une conférence de l’ADEAS sur l’Afro-féminisme, en quoi l’afroféminisme était un combat à mener à part entière et s’inscrivait dans les objectifs de luttes véritablement panafricaines. Pour lui, ce combat perçu comme secondaire devait se fondre dans la grande lutte qu’il menait lui pour lui. Pourtant il me semble que le panafricanisme se pense comme la rencontre de tous les africains et afro-descendant. Or nous ne sommes pas des Sayans[3], ou des schtroumpfs[4] : les femmes afro existent !

Ce monsieur était certainement un grand militant pour la « cause » mais ne voyait pas en quoi il pouvait être utile à libération de ses « sœurs » face à la double oppression sexiste et raciste dont elles étaient non pas victimes mais l’objet.

Pourquoi parler de cet épisode alors que le champ médiatique français et international foisonne d’exemple de misogynie ? Parce qu’aucun d’entre nous ne s’identifierait à Donald Trump « l’attrapeur », et il est facile, évident de tirer à boulet rouges contre l’homme à la houppette mais nous devons être capable de nous regarder en face.

Nous devons rendre hommage à Malcolm X, à Césaire, à Fanon mais nous devons être aussi capable d’aller plus loin que nos ainés comme Sankara l’a fait. Leur rendre hommage ce n’est pas les singer mais poursuivre la réflexion en admettant que bien des fois ils sont passés à côté de certaines thématiques. L’afro-féminisme en fait clairement parti.

S’il y eut Césaire, Senghor, Gontran Damas, c’est en partie parce qu’il y eut les sœurs Nardal. Ces hommes étaient des militants pour les droits humains. Ne participons pas à l’invisibilisation des combats afro-féministes sous pretexte que certains combats seraient universels.

Dès lors, on pourrait penser que l’humanisme ou l’humaniste est un féministe de facto. Cependant, de la même façon que les grands universalistes tel que Montesquieu, Voltaire, Hugo, J. Ferry (si chère à MM Fillon, Sarkozy…) ne voyaient pas de problème à légitimer l’oppression raciste, esclavagiste et coloniale français, jamais il ne dire mots de la libération des femmes par les femmes pour les femmes dans leur diversité.

Quand vous entendez un commentaire sexiste, antiraciste on parle de vous !!!

Le féminisme est un combat contre soi quand on est un homme car les micros agressions apparaissent toujours à celui qui en bénéficie comme des petits plaisirs ou des petites blagues sympathiques.

Comme dirait un certain Luke Cage : l’esclavage est toujours plaisant à celui qui en bénéficie. Mais comme me disait ma chère mère adorée : lesklavaj’ aboli ba tout’ moun an pa bonn’ aw…ay lavé vésèl la !!! Pour les non-initiés : l’esclavage a été aboli pour tout le monde, je ne suis pas ta bonne, va faire la vaisselle !!! (ps : apprenez le créole !!!)

J’ajouterai que l’esclavage a été aboli par tout le monde, un monde fait de femmes et d’hommes. Point d’Ignace sans Solitude, Point de Barack sans Michelle. Il ne s’agit pas de dire que « la femme » doit rester en retrait dans l’ombre de l’homme mais plutôt que l’expérience afro-féministe est une nourriture pour nos esprits hommes et femmes. Apprenons de nos différences plutôt que de pérenniser un système qui se sert de cette petite différence comme d’un moyen de nous affaiblir.

Le féminisme ou plutôt les féminismes doivent exister et être perçu pour les combats qu’il défendent. La diversité n’est pas synonyme de problème en dépit des visions monothéiste, monopolitique, monoethnique, monopolisitique dont nous avons hérité à nos corps défendant :

1+1+1+1+1+1+1+1+1+1+1+1+1+1+1+1+….. ne fera jamais 1 et c’est bien comme ça.

Pour finir, il n’est pas évident d’être féministe dans un système qui nous pousse à l’individualisme. De plus, selon moi être féministe ce n’est pas le crier partout en empêchant aux premières concernées de définir leur lecture de ce combat. Dire tu es libre ce n’est pas libérer. Une fois de plus : Un homme ça s’empêche…si l’humanisme existe il est féministe ou n’est pas.

Libérez vous les gars, soyons Féministes…remettez en question les vérités révélées, soyons féministes…pour l’égaliberté[5]. SOYONS FÉMINISTE !

Par Mathieu Balagne

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[1] Motto de Luke Cage, hérité de son maitre à penser Pop, selon la version webdiffusée des studios Netflix.

[2] Elsa Dorlin, Sexe, genre et sexualités : introduction à la théorie féministe, Paris, PUF, coll. « Philosophies », 2008, 153 p. Je conseille ce livre à toute personne qui souhaite approfondir mon humble propos. C’est selon moi une introduction intersectionnelle au feminism. L’intersectionnalité est un concept de Kimberlé Bradshaw et qui qualifie par exemple la situation des femmes noires qui sont l’objet à la fois de l’oppression sexiste et raciste.

[3] Dans Dragon Ball Z, les Sayans super guerriers de l’espace naissent et vivent sur la planète Végéta jusqu’à sa destruction. Bizarrement on ne fait jamais état de l’existence de femme Sayan.

[4] Chez les Schtroumpfs la parité n’existe clairement pas seule une « schtroumpfette » y est représenté.

[5] Etienne Balibar, La proposition de l’égaliberté, PUF, 2010.

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