Je m’appelle Asiya Bathily, j’ai 27 ans. Pour beaucoup, j’ai été Tisha Ivana, romancière auto-éditée de plusieurs romans dont le jeune âge interpellait par rapport au nombre de livres produits. J’ai conté plusieurs histoires dans lesquelles je n’ai fait que dissimuler la mienne, afin de la dire à travers des personnages, plutôt qu’en mon propre nom. La vérité, celle qu’on devine peut-être dans Les vies volées ou La vérité en face c’est que j’ai été violée à l’âge de 7 ans, par un jeune adolescent de mon quartier.
C’est à ce moment-là qu’il a volé ma vie. À ce moment-là que j’ai cessé de vivre. Il m’a fallu vingt ans pour le reconnaître. 20 années au cours desquelles j’ai survécu à défaut de vivre. Mais c’est bien parce que ma vie m’attend quelque part que je me dois de dépasser ce traumatisme pour cesser de me définir par lui, pour cesser de le laisser m’envahir et pour Réapprendre à vivre tout simplement.
Avant d’écrire ce dossier, j’ai pensé le faire selon une approche social, avec des chiffres, des faits, des constats et des solutions. Mais j’ai réalisé que cet angle de vue avait déjà été exploité maintes fois et le reprendre n’apporterait rien de nouveau. De plus, cette perspective distanciée risquait d’être plate, en affirmant des vérités déjà dites mais peu entendues. De fait, pour faire entendre ces voix, je vais conter mon histoire pour transmettre la réalité du viol et ses répercussions durant de très longues et sombres années. Parce qu’il est temps de libérer MA parole, et de clamer haut et fort que la vie naît après le viol, qu’il est possible d’exister, même si le chemin est plus qu’obstrué.
Le viol
C’était un après-midi de printemps où il faisait beau. J’avais quitté l’appartement numéro 117 du 75 rue Maurice Grandcoing à Villetaneuse pour aller rejoindre ma copine d’enfance, Lucie. J’ai frappé à sa porte en milieu d’après-midi, il devait être 15 h. Je voulais qu’elle vienne jouer avec moi dehors. Son père ne rentrant du travail qu’à 17 h, elle devait attendre son retour avant de pouvoir venir. J’ai décidé de l’attendre sur les marches de son immeuble.
Il n’a fallu que quelques minutes pour B.S vienne vers moi. Je le connaissais, un jeune du quartier parmi tant d’autres, que je connaissais de « renom » plus que par sympathie. Il était connu pour ses multiples allers-retours au commissariat, notamment pour des vols ou des arrachages de sacs à de vieilles femmes. Aussi, dans l’esprit de la gamine de 7 ans que j’étais, il était quelqu’un de méchant.
Il m’a demandé de le suivre dans l’immeuble puis dans un local poubelle qui était à ce moment-là ouvert au public. Apeurée, je n’ai pas su le contredire. Je me suis exécutée. Assez naïvement, mais surtout parce que j’avais inconsciemment enregistré qu’il était méchant et que si je ne le faisais pas, il risquait de me faire du mal, de me frapper. J’ignorais que ce qui m’attendait en le suivant serait pire. À 7 ans, le mot « viol » ne faisait pas partie de mon vocabulaire, en dépit de tous les livres que je lisais déjà.
Dans le local, il m’a demandé de baisser mon pantalon. Même si je ne devinais pas ce qui allait m’arriver, je me doutais qu’il n’y avait rien de bon à ce qu’il me demande de baisser mon pantalon. Alors, il s’est emparé de chaînes arrachées à un vieux sommier présent dans le local et l’a agité dans l’air comme pour me menacer de ce qui m’arriverait si je lui désobéissais. Alors j’ai baissé mon pantalon, un jogging Adidas bleu foncé.
En dessous, je portais un short multicolore que ma mère m’avait acheté au marché. Il me collait à la peau, c’était le genre de short qu’on mettrait pour faire un jogging. Il m’a demandé de le baisser aussi. J’ai dit non de la tête et avec ma bouche. Il a de nouveau agité ses chaînes et je me suis exécutée. Il a demandé à ce que je baisse ma culotte bleu marine avec des points rouges sur le devant – en réalité c’était un slip d’homme que ma mère m’avait acheté – et j’ai encore refusé.
Son désir a du monté en lui avec force et rapidité car, sans même agiter son fouet ce coup-ci, il s’est précipité vers moi, a baissé d’un geste franc ma culotte et m’a pénétrée, avant même que je n’ai eu le temps de le voir se déshabiller.
Il s’est vidé les couilles en moi durant quelques minutes, en gémissant « oh, c’est bon » à plusieurs reprises. Non satisfait de me voler ma virginité, mon innocence et ma vie, il m’a aussi volé un baiser. Je restais de marbre, impassible, regardant le mur devant moi, me détachant de la scène. J’apprendrais quelques années plus tard que je m’étais à ce moment-là dissociée de mon corps pour que la violence de l’acte me soit supportable.
Après avoir pris son pied pendant dix minutes et brisé ma vie pour toujours, il est sorti de moi. Je me suis rhabillée lentement. Je ne l’ai pas vu faire. Où peut-être que je ne m’en souviens pas. Il m’a alors dit de n’en parler à personne sinon il me frapperait. J’ai acquiescé. Qu’aurais-je pu dire ? À qui ? Il venait, en plus de tout ce qu’il m’avait déjà volé, subtilisé les mots pour le dire. Je me souviens m’être dit pour me rassurer « quand j’aurai 20 ans – à 7 ans, 20 ans paraissent loin et un âge de grand – et que je serai mariée, je le dirais à mon mari qui viendra te défoncer la gueule. Tu vas voir. »
Et j’ai quitté le local, pour rejoindre la cité Victor Hugo où j’habitais. Il y avait moins ses habitudes, je risquais donc de moins le croiser.
Que nenni ! Après m’avoir baisé une première fois, quelques heures après, il pensait pouvoir faire de moi son « vide-couilles permanent » car autour de 17 h, il est venu me chercher à la cité Victor Hugo, m’a entraîné dans un autre local poubelle pour me violer une seconde fois. J’ai prétexté que je voulais faire pipi. Il m’a demandé de le faire sur place. Autrement dit, dans ce minuscule local poubelle, il était prêt à ce que je pisse sur le sol comme une vulgaire chose pour qu’il me pénètre ensuite au milieu de mes urines. Je n’étais décidément plus humaine à ses yeux, si tant est que je l’ai déjà été.
J’ai prétendu que je ne pouvais faire pipi que sur des toilettes, qu’il fallait que j’aille chez moi mais je reviendrais ensuite. Il m’a laissé partir. Je suis bien rentrée chez moi et je suis même allée aux toilettes, croyant à mon mensonge. Pas d’envie d’uriner mais une envie de me nettoyer le sexe. J’ai nettoyé au papier toilette ce qu’il pouvait me rester de lui… quand il a sonné à la porte.
J’ai ouvert, ne me doutant pas que ça puisse être lui. Estomaquée à l’idée qu’il vienne me chercher jusque chez moi pour se vider les couilles. J’ai dit que je ne viendrais pas, il a insisté en me disant que si je ne l’écoutais pas, la prochaine fois qu’il me verrait dehors, il me taperait. J’ai fermé la porte sur lui et j’ai rejoint mes parents, seuls, au salon, assis devant la télé. Il a toqué une deuxième fois. Je l’ai reconnu dans le judas donc je n’ai pas ouvert la porte et je me suis rassise auprès de mes parents. Il a toqué de nouveau une troisième fois. Mon père avait entendu, nous avait demandé, à ma mère et moi, si ça avait frappé. J’ai feint de ne rien avoir entendu et il est allé ouvrir. En découvrant B.S sur le palier, ce dernier a feint d’être venu chercher mon grand frère. Quand mon père a dit qu’il n’était pas là, B.S est reparti.
Il ne m’a plus reviolée depuis.
Le lendemain, quand je me suis réveillée, j’avais déjà oublié le viol. Il faudra attendre cette nuit du samedi 11 juillet 2009 pour que mon amnésie traumatique se réveille, après que j’ai vu une scène de viol dans un téléfilm sur France 2.
C’est à l’aube de 19e anniversaire que j’ai pu écrire pour la première fois les mots « j’ai été violée ».
Je comprends et partage ta peine. C’est horrible.
Ce sont des êtres malades qui vivent en toute impunité.
Dieu merci, j’ai pu atténuer la peine… d’autres articles arrivent pour dire comment j’y suis parvenue, au prix de quels efforts et par quelles ressources… afin de donner l’espoir aux autres victimes de s’en sortir. Car c’est possible.
Mais l’impunité, elle, n’a aucune vraie raison d’être. Je l’aborderai dans un autre article où je raconte comment et pourquoi j’ai porté plainte.
Merci pour tes mots, ils réconfortent